Point de vueVie numérique

Vers une dictature numérique ?

On savait le cerveau capable de bien de prouesses, mais on n’imaginait pas à quel point il était devenu l’objet de tant de convoitises commerciales et politiques.

Depuis que les neurosciences nous aident à comprendre les mécanismes des émotions, on ne s’étonnera pas d’apprendre que les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) en savent plus que le commun des citoyens sur la manière de tirer profit de ce que nous possédons sous notre crâne.

Quelques procès internationaux engagés en 2017 par des lanceurs d’alertes courageux et un Parlement britannique très scrupuleux du droit privé ont toutefois permis de prendre la mesure de la gigantesque exploitation de nos données personnelles.

Résultat, Facebook a été enfin sanctionné pour avoir obtenu et manipulé illégalement celles de 87 millions de ses utilisateurs.

Nous le devinions « à l’insu de notre plein gré » car la personnalisation troublante des informations que nous réceptionnons à chaque instant sur nos écrans avait déjà de quoi jeter la suspicion. Le professeur Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’lnserm en explique le processus dans son dernier ouvrage et conclut (1) : « Il est grand temps de repenser les limites que nous voulons fixer à une industrie des neurotechnologies qui s’est littéralement accaparée notre cerveau pour l’influencer. »

Comment mieux expliquer le désarroi du chercheur quand nous-mêmes constatons, éberlués, qu’entre les géants du numérique et les citoyens, se sont immiscées des entreprises inconnues (Cambridge Analytica ou Six 4 Three par exemple) pour matraquer par voie publicitaire des populations dites « influençables » à partir de leurs seules données personnelles.

Extrême vigilance
C’est dans ce contexte, qu’en 2016, l’élection présidentielle de Donald Trump et le référendum sur le Brexit au Royaume se sont joués… dans un mouchoir de poche. Étayé en 2018 au cours de plusieurs procès et à travers un éloquent documentaire (2), le degré de sophistication de la manipulation met en lumière la fragilité extrême de nos démocraties.

Car plus des intentions de vote sont serrées et l’électorat hésitant, plus la possibilité de faire basculer une consultation démocratique dépend d’une stratégie offensive de publicité ciblée et personnalisée.

Quelques milliers de « points » de données récupérés illégalement par des kleptomanes numériques appointés suffisent pour être ensuite analysés, séquencés, altérés, finir en algorithmes et faire pencher la balance. Surtout quand, cyniquement, Steve Bannon, l’ancien conseiller du président américain, également ancien vice-président de Cambridge Analytica, affirmait alors que « les milliards de données personnelles qui nous concernent ont désormais plus de valeur que le pétrole ».

On ne s’étonnera pas non plus que, dès lors, des régimes autoritaires comme la Russie, le Brésil ou la Birmanie n’aient aucun scrupule à passer commande. Alors vigilance, extrême vigilance même.

Qui donc à l’origine aurait pu penser que des outils aussi novateurs que Facebook et Google pouvaient un jour transformer le « rêve d’un monde convivial et connecté » en un projet de société plus liberticide encore que celui d’Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes ou de George Orwell dans 1984 ?

(1) Notre cerveau, un voyage scientifique et artistique des cellules aux émotions Ed. L’Iconoclaste- 2019.

(2) « Great Hack » de Karim Amer et Jehanne Noujaim – Netflix- 2019.

Jean-Michel DJIAN, journaliste et écrivain
Avec Ouest France

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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