Après sept mois de gouvernance, le régime en place enregistre de nouveaux « alliés », en réalité des « transhumants », anciens cadres et députés de l’Alliance pour la République, parti au pouvoir jusqu’en mars 2024.
« Transhumance », ce mot, emprunté au langage pastoral, désigne la migration de troupeaux à la recherche d’endroits plus favorables à leur alimentation. Comme chaque nouveau régime, celui en place aujourd’hui, par la voie de son président, par ailleurs Premier ministre, Ousmane Sonko, avait, quand il était opposant, violemment dénoncé ce phénomène : « Je rappelle la position historique de notre parti.
Le Pastef reste ouvert à collaborer avec tous les Sénégalais convaincus par le projet et soucieux de son succès. En revanche, il reste fermé à toute personne impliquée dans une gestion scandaleuse d’une responsabilité publique ou ayant fait montre d’un zèle excessif dans l’inimitié contre le parti, ses leaders ou ses membres».
Puis le discours s’est plus ou moins adouci : « Que ceux qui veulent nous rejoindre, restent dans leur base ». Aujourd’hui, dans le camp qui préside aux destinées du pays, les transhumants sont appelés « alliés ». Pour la plupart, ces nouveaux alliés sont soupçonnés de vouloir échapper à la justice tandis que d’autres sont interdits de sortie du territoire.
La quête d’une majorité dans la future Assemblée nationale à l’issue des législatives anticipées du 17 novembre a-t-elle fait perdre aux responsables du nouveau régime les valeurs d’éthique et de morale en politique toujours prônées, qui avaient trouvé un écho favorable et qui ont été pour beaucoup dans leur ascension au pouvoir ? Cette interrogation à tout son sens au regard de la vague de ralliements et de soutiens des dignitaires de l’ancien régime du Président Macky Sall au parti Pastef.
En effet, depuis le démarrage du processus électoral en vue de ces premières législatives anticipées de l’histoire politique du Sénégal, pas une seule semaine pour ne pas dire, un jour qui passe sans que l’on enregistre des déclarations de ralliement ou de soutien d’anciens responsables du régime déchu de la coalition Benno bokk yakaar.
La dernière en date est le soutien à la liste Pastef annoncé hier, jeudi 7 novembre de l’ancienne vice-présidente du groupe parlementaire Benno bokk yakaar, Adji Mergane Kanouté et de son parti, l’Union pour le Développement du Sénégal Authentique (UDS/A) qu’elle dirige.
Très critique à l’égard des responsables de Pastef, Adji Mergane Kanouté, qui est investie en 24e position sur la liste nationale de la coalition Takku Wallu (qui regroupe le Pds et l’Apr) a défendu la motion de censure qui était brandie contre le gouvernement de Ousmane Sonko, Premier ministre que l’Assemblée nationale attendait pour faire sa Déclaration de Politique Générale qui était prévue le 13 septembre 2024. L’occasion ne s’est pas présentée, puisque l’Assemblée nationale fut dissoute, la veille.
Ousmane Sonko, un revirement à 360 degrés
Derrière ce vaste mouvement de transhumance des dignitaires de l’ancien régime se cache l’ombre du Premier ministre et président de Pastef, Ousmane Sonko. En effet, parmi les responsables de l’ancien parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr) qui ont annoncé ce qu’ils appellent pudiquement leur soutien ou leur ralliement au Pastef, en prenant le prétexte de la présente campagne des législatives anticipées, certains ont été directement reçus et « accueillis » Ousmane Sonko lui-même et d’autres par ses émissaires dûment mandatés.
Et parmi ces nouveaux soutiens ou adhérents, nous pouvons citer entre autres, le président du mouvement Kolda Debout, Doura Baldé. Monsieur Baldé qui à l’origine était un cadre du Pastef quand ce parti était dans l’opposition, avait rejoint l’ancien président de la République Macky Sall qui l’avait nommé à la direction de la Lonase, la société nationale des jeux.
A la veille du lancement de la campagne, Doura Baldé annonce son soutien à son ancien parti et à Ousmane Sonko et depuis lors, fait campagne pour eux. Dans le même sillage, 14 maires du département de Mbacké, dont Gallo Ba, ancien ministre de la Fonction publique et maire de la commune de Mbacké ont intégré le Pastef. A ceux-là on peut rajouter ceux qui ont été accueillis par des camarades du leader de Pastef dont l’actuel Secrétaire général par intérim du Pastef, Ayib Daffé. Il s’agit du maire de la commune de Tambacounda, Pape Banda Dieye, de l’ancien ministre de la Justice, Malick Sall. La liste est loin d’être exhaustive.
Que dire du cas Déthié Fall du Prp ? Troisième sur la liste de Samm sa kaddu (une coalition de l’opposition dont il serait même à l’origine de l’appellation), il a décidé en pleine campagne électorale de soutenir la liste Pastef. Une attitude qui n’a pas seulement déboussolé ses compagnons de coalition dont Barthélémy Dias, Bougane Guèye Dany et autre Thierno Bacoum mais également beaucoup de citoyens sénégalais qui se sont demandé ou était la valeur de la parole donnée (Samm sa kaddu littéralement).
L’avenir de la reddition des comptes en question
Cette vague de ralliements des responsables de l’ancien régime à laquelle on assiste ces derniers jours suscite des interrogations.
Qu’on le dise ou pas, certains craignent que ce virage à 360 degrés de Ousmane Sonko sur ce phénomène de la transhumance qu’il avait toujours dénoncé quand il était encore dans l’opposition n’impacte négativement sur la concrétisation de la promesse de réédition des comptes faite par lui et l’actuel chef de l’Etat lors de la campagne électorale. Et pour cause, parmi les transhumants, certains sont sous le coup de la mesure d’interdiction de sortie du territoire national prise par les nouvelles autorités. C’est le cas du maire de Nabadji Civol, Abdoulaye Sally Sall.
Aujourd’hui, on s’interroge sur la suite qui sera réservée aux accusations qui pesaient sur la tête de toutes ces personnes qui ont décidé de rejoindre le camp de pouvoir en place après les législatives ? Le Président Diomaye et son Premier ministre Ousmane Sonko vont-ils laisser la « justice faire son travail » dans le cadre de la politique de réédition des comptes ou choisiront-ils de mettre leurs dossiers « sous le coude » ?
En attendant que le temps nous édifie, du côté de l’Apr, aujourd’hui dans l’opposition, on semble déjà tirer la conclusion de cette situation. Dans un communiqué rendu public le 26 octobre dernier, le Secrétariat exécutif national (SEN) de l’Apr a dénoncé cette saignée de ses militants. Mieux, il accuse le Pastef d’avoir « orchestré un processus de déstabilisation » en initiant des dossiers judiciaires contre ses responsables et élus afin de les pousser à transhumer.
NANDO CABRAL GOMIS
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