Ça se passe ailleurs

Une nouvelle loi pour lutter contre l’argent sale adoptée à Monaco

Depuis janvier, pour toute opération en espèces à partir de 10.000 euros, les commerçants qui travaillent sur le «Rocher» sont tenus à des mesures de vigilance.

À Monaco, place financière offrant un concentré de l’économie du luxe, beaucoup d’argent circule y compris en cash. Pour lutter contre le blanchiment, la Principauté a durci la loi et les contrôles mais les résultats judiciaires «tangibles» sont longs à obtenir.

Sur 2 km2 au bord de la Méditerranée, le Rocher compte une cinquantaine de fonds d’investissement, trente banques et une soixantaine de sociétés de gestion, sans compter les assurances et le secteur prolifique des intermédiaires de commerce de gros, brassant d’énormes chiffres d’affaires notamment dans le trading de produits pétroliers.

Depuis janvier, pour toute opération en espèces à partir de 10.000 euros, les commerçants sont tenus à des mesures de vigilance. Dans un pays comptant 30% de résidents millionnaires attirés par une fiscalité douce, de tels paiements en liquide sont fréquents.

La loi impose dorénavant de vérifier l’identité de l’acheteur et de faire une déclaration de soupçons en cas de doute sur l’origine des fonds, voire de vérifier «l’arrière-plan socio-économique» du client lorsqu’il s’agit d’une relation d’affaires suivie.

Le plafond des paiements en espèces reste à 30.000 euros mais, à compter de 2022, quiconque entre ou sort de la Principauté avec 10.000 euros ou plus en liquide (ce qui inclut les métaux précieux comme l’or) pourra faire l’objet d’investigations de police et de saisies conservatoires si la provenance est douteuse. «On met beaucoup l’accent sur les infractions économiques et financières», a indiqué la procureure générale Sylvie Petit-Leclair.

Effectifs doublés
La proportion importante d’intervenants étrangers à Monaco complexifie les dossiers. Si la justice a sanctionné ces dernières années des Italiens venus dans les années 2000 blanchir leur argent, notamment l’épouse d’un député et deux gros joueurs du casino, condamnés à un minimum d’un an de prison et à la confiscation des fonds, beaucoup d’affaires se terminent par une relaxe, comme en février pour un oligarque russe, ancien député.

«Les poursuites sont faites, les investigations également mais c’est complexe, transnational et la procédure, c’est long, les avocats se régalent», observe Sylvie Petit-Leclair.

L’enquête sur la Banque Pasche de Monaco dure ainsi depuis plus de six ans. Deux dirigeants ont été inculpés pour «blanchiment» et «non-déclaration de soupçons» en mai 2015 après un signalement au parquet en juillet 2013 par trois salariés licenciés, et «l’instruction est toujours en cours», selon le parquet. Une instruction se poursuit aussi au parquet national financier de Paris.

L’information judiciaire ouverte pour «blanchiment» en février 2014 «contre X» dans une affaire de circuit suspect de chèques en provenance d’Afrique, dénoncé par un salarié licencié en 2011 et impliquant une filiale monégasque de BNP Paribas, se prolonge également. Dans ce dossier, la demande de partie civile de l’association Sherpa qui lutte contre la criminalité économique, a été rejetée.

«Il y a des efforts des rouages de l’État sans forcément de résultats encore tangibles et concrets en termes de condamnations», admet Sylvie Petit-Leclair. Mais les effectifs et les pouvoirs du Service d’information et de contrôle sur les circuits financiers (Siccfin, équivalent de Tracfin en France) ont augmenté et les signalements au parquet ont quintuplé en cinq ans (27 en 2020).

Demandes d’entraide
Côté police, l’effectif affecté à la section des enquêtes financières a doublé en six ans avec treize enquêteurs pour 188 dossiers ouverts en 2020, contre 96 en 2015. «Il y a une proportion non négligeable de demandes d’entraide de l’étranger, environ la moitié, qu’on essaie d’exécuter rapidement, en quelques mois», a précisé le chef de la police judiciaire Jean-François Mirigay.

«On n’a pas à Monaco pour l’instant de dossiers liés à du terrorisme mais Monaco, place financière, a des obligations» et «il y a une prise en considération des enjeux (…) Le but est de montrer que Monaco n’a rien à cacher», dit-il.

À la suite du G20 de Londres en 2009, Monaco s’était engagé dans un effort de transparence fiscale qui lui avait permis de quitter la «liste grise» des pays non coopératifs élaborée par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

Depuis 2016, plus d’une soixantaine d’accords bilatéraux de coopération fiscale ont été conclus, les gels de fonds sont récurrents et la liste des assujettis à des déclarations de soupçons devenue très longue – bijoutiers, concessionnaires, yachting, agents sportifs, etc.

Elle inclut depuis 2020 les marchands de biens et les plateformes de cryptomonnaie et d’actifs numériques. «Tout ça sert à montrer qu’ils font des efforts, c’est de l’habillage», critique une source proche du dossier ayant requis l’anonymat. «Ils avancent tout doucement car ils ne peuvent pas se permettre de figurer dans la liste grise sinon c’est la mort économique! Les banques ne pourraient plus avoir de succursales ou accepter des transferts».

Si dans les scandales de la Banque Pasche de Monaco et BNP Paribas Wealth Management à Monaco, les lanceurs d’alerte sont les seuls à avoir trinqué jusqu’à présent, perdant leur emploi, la loi de 2020 promet à l’avenir la stricte confidentialité à ces intervenants.

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