Un lumineux tableau de Pierre Soulages ayant appartenu au poète et ancien président du Sénégal Léopold Sédar Senghor va être mis en vente samedi à Caen, selon l’organisateur Caen Enchères.
Cette huile sur toile abstraite constituée de larges traits noirs, faisant penser à une sorte de totem asymétrique, sur un fond jaune presque doré, est estimée «de 800.000 à un million d’euros», précise l’hôtel des ventes.
L’œuvre intitulée «Peinture 81 x 60 cm, 3 décembre 1956» avait été acquise par Léopold Sédar Senghor cette année là lors d’une visite de l’atelier de l’artiste à Paris, rappelle Caen Enchères. Soulages en réalisa un très similaire un mois plus tard, selon la même source.
Des acheteurs potentiels étrangers se sont déjà manifestés venant de Suisse et d’Allemagne, a précisé l’hôtel des ventes lors d’une conférence de presse jeudi.
Le légataire de l’œuvre, qui souhaite rester anonyme, est une amie de la sœur de l’épouse du poète décédé en 2001. Disparue à son tour en 2019, Colette Senghor avait légué le tableau à sa sœur décédée un an plus tard.
Longtemps accrochée dans le bureau de Léopold Sédar Senghor à Verson, près de Caen, où le couple a vécu à partir des années 80, l’œuvre est caractéristique du travail du peintre dans les années 50, avant qu’il passe à l’outrenoir, cet univers imaginé par Soulages en 1979 lorsqu’il a pris le virage du noir complet.
«On commence à trouver ce travail très important sur la matière noire» tantôt épaisse, tantôt translucide, «en larges aplats horizontaux et verticaux», et sur le contraste avec ici «un fond très lumineux», a expliqué à l’AFP Me Solène Lainé, commissaire-priseur.
«J’emploie aussi des outils qui à l’origine ne sont pas faits pour la peinture (…) racloirs, longues lames de bois ou de cuir» pour «d’un seul geste (…) étaler une grande surface», expliquait Pierre Soulages dans entretien radiophonique en 1965 rediffusé sur France culture en 2019.
Cette année-là un Soulages a atteint 9,6 millions d’euros (frais compris) aux enchères à Paris.
L’ancien président sénégalais était un fervent admirateur du peintre aujourd’hui âgé de 101 ans, considéré comme le plus grand artiste français vivant.
«La première fois que je vis un tableau de Pierre Soulages ce fut un choc. Je reçus au creux de l’estomac un coup qui me fit vaciller, comme le boxeur touché qui soudain s’abîme», écrit le premier Africain devenu académicien dans Lettres Nouvelles (1958).
«Les peintures de Soulages me rappellent toujours les peintures, voire les sculptures négro-africaines», ajoute le chantre de la négritude, mouvement pour la défense des valeurs culturelles du monde noir qu’il a inventé avec l’Antillais Aimé Césaire.
En 1974 dans un discours d’inauguration à une exposition Soulages à Dakar, le président sénégalais salua son art, «frère de l’art négro-africain non par imitation mais par nature».
«Le noir a sa lumière et sa douceur», avait souligné le poète en 1960 dans un article intitulé «La poésie de Pierre Soulages». «Pour les peintres négro-africains de la tradition, c’est le noir qui naturellement exprime la vie, tandis que le blanc exprime la Mort», ajoutait-il.
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