Société

Un «pur banquier suisse» dirige la banque d’un magnat du pétrole sénégalais

Après quinze ans dans la finance à Genève, Olivier Santi a émigré à Dakar pour prendre la tête de la banque fondée par un milliardaire célèbre au Sénégal. Son parcours illustre le rôle central de la Suisse dans la finance et le négoce de matières premières, mais aussi l’effervescence du secteur bancaire en Afrique de l’Ouest.

C’est à un oiseau menacé d’extinction que la Banque Outarde (LBO) doit son nom et son logo. «L’outarde est un oiseau très rare, explique le directeur général de l’établissement, Olivier Santi. Si vous en voyez une s’envoler, la légende dit que vous deviendrez riche.»

L’allégorie n’a pas été choisie au hasard. La banque, qui opère depuis maintenant quatre ans dans le bouillonnant quartier d’affaires du Plateau à Dakar, était l’une des marottes d’un richissime homme d’affaires sénégalais à la discrétion proverbiale, Abdoulaye Diao. Un homme formé en France, qui a fait fortune dans les hydrocarbures et conseille le président Macky Sall. Le siège de la banque se trouve d’ailleurs à un jet de pierre du Palais présidentiel.

Abdoulaye Diao, le «roi du pétrole» sénégalais
Abdoulaye Diao avait depuis des années l’ambition de créer la première banque à capitaux privés nationaux de son pays. Jusqu’alors, le paysage bancaire privé au Sénégal était presque exclusivement constitué de banques étrangères, notamment nord-africaines et françaises. Olivier Santi, natif de Paris, naturalisé suisse et «sénégalais d’adoption», se plaît ainsi à dire qu’il dirige «l’une des rares banques sénégalaises au Sénégal».

Premiers pas comme trader à Genève
Comment en est-il arrivé là? Dans la capitale française, le jeune Olivier Santi passe par l’Institut d’études politiques et l’Ecole supérieure de commerce, où il étudie économie et finance. Après avoir fini ses études en 2002, sa «soif d’indépendance» le pousse à quitter Paris pour Genève, où il a des attaches – son grand-père, Paul Santi, a occupé des fonctions au consulat de France à Genève pendant plusieurs années. Et, à l’époque, son oncle y dirige un important hedge fund. Olivier Santi fait donc ses premiers pas dans les salles de marché.

Ses diplômes français et ses connaissances linguistiques, notamment en arabe qu’il a étudié à Paris, attirent l’attention de la branche suisse de BNP Paribas à Genève. Il intègre le géant bancaire en 2004 comme directeur Moyen-Orient et Afrique. «Mes clients étaient de grands chefs d’entreprises, des familles fortunées, et je gérais aussi les comptes d’entreprises ou de fonds d’investissements qui intervenaient sur la zone», détaille-t-il. Olivier Santi va passer neuf ans chez BNP. C’est durant cette période que ce «pur produit de la place financière genevoise» croise le chemin d’Abdoulaye Diao.

L’homme d’affaires, déjà à la tête de l’entreprise sénégalaise de négoce en hydrocarbures International Trading Oil and Commodities (ITOC), est aussi bien introduit en Suisse par le biais d’un autre de ses groupes, Addax et Oryx, qu’il a participé à créer avec le trader suisse Jean-Claude Gandur à la fin des années 1980. La firme, active dans le négoce et l’approvisionnement en gaz et en pétrole des pays africains, est un très important client pour BNP. En 2009, sa filiale Addax Petroleum est vendue à la société chinoise d’État Sinopec pour plus de 8 milliards de francs.

«La chance» de créer une banque de zéro
«Fort de son engagement entrepreneurial, (…) Abdoulaye Diao m’a demandé de l’aider à monter une banque pour accompagner le secteur privé sénégalais, relate Olivier Santi. Il m’en a ensuite confié les rênes, c’était une chance et un défi.»

Le Franco-Suisse quitte BNP Paribas en 2013, monte sa propre société de gestion financière à Genève et commence à superviser l’équipe en charge du projet.

La mise sur pied va nécessiter «beaucoup de temps et de patience»: créer une banque de zéro, sans l’adosser à un groupe bancaire, «est lourd et compliqué, tant du point de vue financier que technique», explique Olivier Santi.

LBO est finalement agréée en 2017 par la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), devenant le 25e établissement bancaire de la place financière de Dakar.

La Banque Outarde commence ses activités en janvier 2018 avec un actionnariat privé sénégalais à hauteur de 84,5%, dont 59% pour Abdoulaye Diao, qui préside le conseil d’administration. A ce jour, la jeune banque n’est pas encore à l’équilibre d’exploitation – «ce qui est normal et en ligne avec nos prévisions», précise Olivier Santi – mais son bilan croît de 25% tous les six mois et son portefeuille compte plus d’un millier de clients.

Le directeur général dit avoir tenté d’apporter à la Banque Outarde son expérience et sa technique bancaire helvétiques. «Notre parcours client se veut typique d’une banque suisse, c’est-à-dire efficace, car rapide et très numérisé, transparent mais discret», illustre-t-il.

Opportunités et défis
L’établissement se positionne essentiellement sur le soutien aux entreprises, sénégalaises et ouest-africaines, qui représentent 80% de sa clientèle. «Cela va de la micro à la grande entreprise, avec une préférence marquée pour les grandes PME locales, et nous nous spécialisons sur les segments d’activité qui concourent le plus au développement économique, comme l’énergie et l’agriculture», détaille Olivier Santi.

Les valeurs de l’institution bancaire rejoignent celles de son grand patron, assure le quadragénaire. «Abdoulaye Diao croit fermement que le développement du Sénégal doit passer par le développement d’une production locale, qui crée des emplois locaux.»

Mais patriotisme économique et philanthropie ne sont sûrement pas les seuls moteurs. Le fort potentiel de croissance de l’économie et du secteur bancaire en Afrique de l’Ouest, porté notamment par le développement de la classe moyenne, suscitent les appétits.

Peu après le lancement de la Banque Outarde, début 2018, le magazine Jeune Afrique publiait un éclairage sur l’engouement d’entrepreneurs africains, en particulier sénégalais, pour ce secteur en expansion et «très rentable». Ils sont nombreux à y avoir investi une partie de leur fortune ces dernières années.

Cet intérêt s’explique par la capacité d’influence que confère le fait de détenir une banque, lit-on dans l’article, et l’ambition de «trouver de nouveaux relais de croissance». Le potentiel de développement est en effet vaste, dans une région où la difficulté d’obtenir un financement est l’un des principaux obstacles au développement des micro, petites et moyennes entreprises (MPME), et où 80% des ménages n’ont pas encore de compte bancaire.

Pauline Turuban avec www.swissinfo.ch

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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