L’affaire du trafic de passeports diplomatiques impliquant deux députés de la majorité présidentielle, tient le Sénégal en haleine depuis quelques semaines. Chaque jour qui passe avec son lot de révélations sur cette affaire.
Mais, jusqu’ici, la Justice semble faire le mort dans ce dossier qui a honteusement terni l’image du Sénégal sur le plan international. Du côté du pouvoir et de ses responsables politiques, on fait comme si de rien n’était. C’est le silence radio. Mais, la vérité est facile à connaître dans cette affaire. Elle se trouve au ministère des Affaires étrangères. Il suffit juste que la Justice soit « libérée » pour qu’elle soit découverte.
Les scandales relatifs aux passeports diplomatiques sénégalais ne datent pas d’aujourd’hui. À son arrivé au pouvoir, en 2012, le président Macky Sall avait d’ailleurs poussé un coup de gueule en relevant que plus de 30.000 passeports diplomatiques sénégalais étaient en circulation. Un nombre on ne peut plus effarant.
Il avait même décidé d’éditer de nouveaux passeports diplomatiques pour remplacer les anciens qui, selon lui, n’avaient plus aucune crédibilité. Hélas ! Quelques années plus tard, il a été découvert de grandes légèretés dans la distribution des passeports diplomatiques à des tiers. En effet, il a été rapporté qu’à l’occasion de la dernière Coupe du monde de football organisée en Russie en 2018, une grande majorité des « supporters » sénégalais, des féticheurs et autres accompagnateurs, étaient détenteurs de ce précieux document !
Cette campagne de Russie avait fini par renseigner sur le degré atteint par le laxisme révoltant dans la gestion des passeports diplomatiques sénégalais. A l’orée de son second mandat, le président Macky Sall avait encore pris la décision de mettre de l’ordre dans la pagaille de la distribution de passeports diplomatiques sénégalais.
Un titre de voyage officiel qui avait fini par perdre toute sa crédibilité, au point que des ayants droit préféraient ne plus vouloir s’en servir pour éviter d’avoir à subir des tracasseries ou même des remarques désobligeantes au niveau des frontières de certains pays étrangers.
En effet, n’importe quel quidam pouvait se faire délivrer un passeport diplomatique. Les trafics étaient connus de tous. D’aucuns payaient des espèces sonnantes et trébuchantes à des personnes intervenant dans le circuit pour disposer de ce document de voyage qui leur permettrait, entre autres avantages, de franchir les frontières de l’espace Schengen sans visa d’entrée.
D’autres arrivaient à l’obtenir par toutes sortes de clientélisme. La presse avait même rapporté sur la place publique une confection frénétique de passeports diplomatiques, distribués à la veille du scrutin du 24 février 2019 ou avant même que le ministre Sidiki Kaba ne passât le service à son successeur, Amadou Ba, au ministère des Affaires étrangères, de l’intégration africaine, des Sénégalais de l’extérieur et de la Francophonie.
Les scandales sont nombreux à propos des passeports diplomatiques sénégalais poussant même les chancelleries de l’Union européenne à protester — en vain — auprès des autorités sénégalaises.
D’ailleurs, la question du sort à réserver aux détenteurs de passeports diplomatiques sénégalais avait eu à être évoquée au sein de l’Union européenne. De nombreux pays avaient préconisé d’exiger désormais un visa d’entrée dans l’espace Schengen aux personnes détentrices d’un passeport diplomatique sénégalais. Seule l’Espagne avait eu à opposer un veto à une telle mesure qui pouvait être humiliante pour le Sénégal
Le un pas en avant et deux en arrière de Me Aïssata Tall Sall…
Lors de son passage à l’Assemblée nationale, le 11 décembre 2020, pour les besoins du vote du budget de son département, le ministre des Affaires étrangères, Me Aïssata Tall Sall, soutenait que le gouvernement avait finalement décidé de mettre de l’ordre dans la délivrance des passeports diplomatiques.
Et l’effectivité des nouveaux passeports diplomatiques avait été revendiquée par les députés qui avaient souhaité, lors du vote du budget 2021 du ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, que les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans l’acquisition de ce document soient réglées. Il avait également été demandé au ministre la mise à disposition de notes verbales pour faciliter l’utilisation des passeports diplomatiques et l’acquisition des passeports de service.
Répondant ce jour-là à leurs préoccupations, le ministre Aissata Tall Sall avait souligné que ce sont des documents qui caractérisent l’identité et la notoriété du pays qui le délivre.
De plus, elle avait révélé que le Sénégal dispose de nouveaux passeports diplomatiques soumis à de « nouvelles règles d’attribution, par conséquent non-accessibles à tout le monde ». Car, à ses yeux, ce nouveau passeport doit être « fiabilisé et crédibilisé », notamment par ses titulaires. Aussi, avait-elle informé que ce nouveau passeport diplomatique est produit au pays par des Sénégalais et que les demandes de renouvellement dudit document seront traitées dans les 48 heures.
Dans la même dynamique, elle avait fait savoir que son département prendra des dispositions pour assurer la délivrance des notes verbales aux parlementaires qui en feront la demande. Puisque, disait-elle, en tant que détenteur légal d’un passeport diplomatique, il serait normal de bénéficier dudit document.
Malgré cette assurance bien « mackyllée », on constate que des passeports diplomatiques continuaient à être distribués à des personnes qui n’y avaient point droit. Pire, des députés sont même allés jusqu’à vendre illicitement des passeports diplomatiques.
La responsabilité du ministère des Affaires étrangères et de Me Aïssata Tall Sall, qui semble faire un pas en avant et deux en arrière, est à 100 % engagée dans cette affaire de trafics de passeports diplomatiques dans la mesure où les dépôts administratifs, les prises de photos et confections de ce document sont faits par ses services. D’ailleurs, on ne peut aujourd’hui imaginer le nombre de personnes qui disposent illégalement le passeport diplomatique sénégalais.
L’image du Sénégal étant encore écornée par cette sordide affaire, le président de la République doit boire le calice jusqu’à la lie, lever au moins son coude de ce dossier et laisser la Justice traquer jusque dans leurs derniers retranchements tout ce réseau de trafiquants de passeports diplomatiques…Mais ça peut mener loin, très loin !
Bassirou DIENG
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