Le récent coup d’état en Guinée survenu après le double putsch au Mali et la destitution sanglante du président tchadien donnent une image peu reluisante de l’état de la démocratie dans l’Afrique subsaharienne, déjà fortement discréditée par les records de longévité au pouvoir de plusieurs présidents (Paul Biya, Sassou Nguesso, Museveni…), sans oublier les inévitables scénarios de dévolution monarchique au pouvoir (Faure Eyadéma, Ali Bongo …).
Un continuum dictatorial jalonné de coups d’état post-mortem
La presse occidentale s’est toujours évertuée à présenter le premier président de la Guinée indépendante sous les traits d’un dirigeant sanguinaire au moment même, où la presque totalité des pays africains, y compris le Sénégal, étaient régis par la pensée unique, gouvernés par des partis uniques disposant de redoutables polices politiques.
S’il est clair que les pouvoirs néocoloniaux n’auraient jamais pu survivre sans les baïonnettes des anciennes métropoles, il est aisé de comprendre que l’évolution de la démocratie guinéenne a été lourdement handicapée par la persécution impitoyable, que n’a cessé d’exercer sur elle la France, vindicative, qui voulait lui faire payer son orientation anti-impérialiste.
C’est ce sentiment d’encerclement qui est à la base de la théorie du complot permanent et explique en grande partie la gestion paranoïaque du président Sékou Touré, à l’origine d’une répression brutale et sans discernement, qui n’aura même pas épargné ses soutiens potentiels.
Par ailleurs, si depuis le glorieux et retentissant non d’Ahmed Sékou Touré à la France lors du référendum de 1958, la Guinée a connu 3 coups d’état, c’est bien la seule fois, cette année, qu’un président en exercice y est destitué, les deux autres putschs ayant été perpétrés juste après les morts respectives du président Sékou Touré en 1984 et de Lansana Conté, en 2008.
Les injonctions démocratiques de la Baule restées lettre morte.
Durant la décennie 1990-2000, les régimes de parti unique subirent les sommations des puissances occidentales, qui préconisaient l’acclimatation de la démocratie libérale dans leurs pays, dans le souci de préserver la paix civile, tout en laissant intacts les rapports de domination impérialiste.
Cette reconversion à des formes plus civilisées de gestion du pouvoir, excluant les coups d’état, allait donner lieu au multipartisme, au pluralisme médiatique et même à quelques alternances au sommet de l’État (Bénin, Congo-Brazzaville, Mali ou Sénégal), sans véritable rupture avec la domination néocoloniale.
Mais en Guinée, c’est l’absence de culture démocratique, qui explique les réticences du président Lansana Conté et de toute l’élite militaro-politique et le peu d’empressement à se conformer aux nouvelles injonctions de « démocratisation » provenant de l’Occident.
Entrée en scène décevante de l’opposant historique
Entre 2008 et 2010 eut lieu une transition militaire mouvementée ponctuée par la tuerie du stade de Conakry du 28 septembre 2009, la tentative de meurtre contre chef de la junte militaire, le capitaine Dadis Camara remplacé par Sékouba Konaté, qui assurera l’intérim jusqu’à la remise du pouvoir aux civils.
Curieusement, l’entrée en scène de l’opposant historique, Alpha Condé va s’avérer particulièrement décevante.
Son accession au pouvoir, en novembre 2010, après une longue carrière d’opposant et à la suite d’un marathon électoral unique en son genre et plein de rebondissements, ne laissait présager rien de bon.
De fait, grâce à l’appui de ses amis de la gauche caviar (en France et en Afrique) et d’industriels peu scrupuleux comme Mr Vincent Bolloré, le vieil opposant de Sékou Touré, que des mauvaises langues accusent d’avoir eu, dans le passé, des accointances avec certains secteurs de la Françafrique, réussit, entre les 2 tours, une remontada unique dans l’histoire politique mondiale. En effet, entre le 27 juin 2010 et le 7 novembre 2010, le score électoral d’Alpha Condé est passé de 18,25% à 52,52% tandis que celui de son principal challenger stagnait entre 43,6% et 47,5%.
Au total, la Guinée promise à un avenir radieux, de par ses potentialités agricoles et minières, n’aura été qu’un continuum de gouvernance tyrannique, qu’il s’agisse de la gestion paranoïaque de Sékou le révolutionnaire à celles gabégiques de ses successeurs, en passant par la parenthèse loufoque de Dadis.
La CEDEAO des peuples interpelée
Si le syndicat des chefs d’État de la CEDEAO en veut autant aux putschistes guinéens, c’est certainement parce qu’à leurs yeux, le colonel Mamady Doumbouya est coupable du double crime d’ingratitude et de lèse-majesté.
Il est vrai que le nouvel homme fort de la Guinée, ancien légionnaire français s’est trouvé subitement promu chef des forces spéciales de son pays d’origine et exhibé comme une bête de foire, lors de la fête nationale du 02 octobre 2018, par son parrain et bienfaiteur, qu’il vient d’évincer d’une station présidentielle usurpée.
Les périodes électorales sont devenues des moments de fraudes, de violences et de mort, à travers tout le continent mais plus encore dans la sous-région ouest-africaine, et même dans des pays comme le Sénégal ou le Bénin, qui avaient de solides traditions démocratiques.
30 ans après la conférence de la Baule et un peu moins de 15 ans après l’adoption de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, le premier instrument régional juridiquement contraignant dans la promotion et la protection de la démocratie, le récent coup d’état en Guinée interpelle la CEDEAO des peuples.
NIOXOR TINE
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