Liban

Riad Salamé, gouverneur de la Banque Centrale Libanaise visé par une enquête en France

Riad Salamé fait déjà l’objet d’une enquête en Suisse et d’une plainte au Royaume-Uni et au Liban. L’ancien « magicien » de la politique monétaire libanaise est fortement soupçonné de s’être enrichi à l’étranger grâce à une système de sociétés écran détenues avec son frère dans des paradis fiscaux.

Homme à abattre, comme il le dit lui-même ? Ou profiteur ? La justice française s’intéresse au patrimoine en Europe du gouverneur de la Banque centrale du Liban, Riad Salamé.

L’homme de 70 ans que la rue libanaise accuse d’avoir enfoncé le pays dans la pire crise économique de son histoire, gouverne la Banque centrale du Liban depuis 1993. Selon l’AFP, après avoir reçu deux plaintes le visant en avril, le parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête préliminaire pour « association de malfaiteurs » et « blanchiment en bande organisée ».

Il s’agit de déterminer s’il a pu, comme d’autres hauts responsables du pays, transférer d’importantes sommes à l’étranger au moment du soulèvement d’octobre 2019, malgré les restrictions draconiennes adoptées par les banques.

Après avoir œuvré pendant vingt ans comme banquier d’affaires chez Merill Lynch à Beyrouth et à Paris, cet influent personnage a été nommé il y a 28 ans à la tête de la banque centrale libanaise par Rafic Hariri, dont il gérait la fortune. Il organise la stabilité de la livre libanaise par rapport au dollar, et met en place un système qui permet à la diaspora libanaise de détenir la dette de leur pays. La classe politique et les familles qui tiennent l’économie du pays lui tressent des lauriers, parlant d’un « magicien ».

« Une méga-enquête s’ouvre »
Mais la crise économique de 2019 précipite son discrédit. La livre perd 90 % de sa valeur, enfonçant plus de la moitié de la population dans une terrible pauvreté. Le grand argentier est soupçonné d’avoir accéléré la faillite de l’Etat libanais avec son système de taux d’intérêt très coûteux pour l’Etat, mais qui a beaucoup rapporté aux riches et aux banques, et d’avoir caché les difficultés du pays.

Et à lui-même ? Salamé est visé depuis plusieurs mois par une enquête en Suisse pour « blanchiment d’argent aggravé en lien avec un éventuel détournement de fonds au détriment de la Banque du Liban ». Une plainte a aussi été déposée par un cabinet d’avocats spécialisé dans la lutte anti-corruption au Royaume-Uni.

Selon le magazine Le commerce du Levant, l’enquête en Suisse porterait sur un contrat de courtage passé entre la Banque centrale libanaise et la compagnie Forry Associates Ltd pour 330 millions de dollars de commission. Or Forry, enregistrée en 2001 dans le paradis fiscal des îles Vierges, a pour bénéficiaire économique Raja Salamé, le frère du gouverneur, comme l’avaient montré les « SwissLeaks », les fuites de documents de la banque HSBC.

En France, la première plainte avait été déposée par la fondation suisse Accountability Now, avait révélé le Monde. La seconde émane de l’ONG Sherpa, qui lutte contre la grande délinquance financière, et du « Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban », constitué par des épargnants spoliés lors de la crise qui frappe le pays depuis 2019, qui veulent en finir avec la corruption qui gangrène le pays.

« Une méga-enquête s’ouvre, œcuménique, à dimension européenne », se sont félicités auprès de l’AFP les avocats de Sherpa et du collectif, Me William Bourdon et Amélie Lefebvre, à l’annonce de cette enquête française. « De vastes opérations de blanchiment seront auscultées qui devraient ouvrir tous les tiroirs de la mafia qui a mis le Liban à genoux », espèrent-ils.

Le gouverneur se défend de toute malversation
Leur plainte vise Riad Salamé, son frère Raja, son fils Nadi, son neveu et une proche collaboratrice à la banque centrale libanaise, Marianne Hoayek – d’avoir constitué frauduleusement un riche patrimoine en Europe, sans comparaison avec leurs revenus.

Selon les plaignants, « le patrimoine global » de Riad Salamé « dépasserait aujourd’hui les 2 milliards de dollars » alors que ses avoirs identifiés au Luxembourg représentaient 94 millions de dollars en 2018. On lui connaît une maison sur le front de mer à Antibes, une autre en Haute-Savoie mais les enquêtes des ONG évoquent des bureaux sur les Champs-Élysées, des appartements dans les plus beaux quartiers de Paris et de Londres, notamment.

Le mois dernier, dans le JDD, le gouverneur continuait de se défendre de toute malversation. « Il y a une campagne orchestrée contre moi, je me demande qui est derrière cet acharnement, disait-il. Jusqu’en 1993, je n’ai travaillé que pour le secteur privé. J’avais un patrimoine de 23 millions de dollars, des propriétés en France avant de devenir gouverneur. J’ai déjà montré ces documents publiquement ». Il assurait n’avoir « jamais profité de son poste » pour faire fructifier sa fortune.

Cette nouvelle enquête du PNF s’inscrit dans la lignée des affaires dites des « biens mal acquis », des dossiers dans lesquels la justice française, poussée par le combat d’ONG, scrute l’origine du patrimoine en France de dirigeants étrangers, notamment africains ou moyen-orientaux, potentiellement acquis avec de l’argent public détourné de leurs pays.

Par Julie Cloris avec Le Parisien

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