Dakar-Echo

Répression pré-électorale au Sénégal

Répression pré-électorale au Sénégal

Les autorités sénégalaises répriment l’opposition, les médias et la société civile.

La promesse du président Macky Sall d’organiser des élections libres et équitables est en contradiction avec le fait que les autorités remplissent les prisons de centaines d’opposants politiques depuis trois ans.

Les autorités devraient enquêter de manière efficace sur toutes les violences commises par les forces de sécurité, libérer les personnes détenues arbitrairement et garantir les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Les autorités sénégalaises répriment l’opposition, les médias et la société civile à l’approche des élections générales qui doivent se tenir le 25 février 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient enquêter de manière efficace sur toutes les violences commises par les forces de sécurité, libérer les personnes détenues arbitrairement, y compris pour des raisons politiques, et garantir les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, essentiels à des élections véritablement libres et équitables.

Cette répression a commencé en 2021 dans le contexte des procédures judiciaires concernant l’éminent leader de l’opposition Ousmane Sonko et de préoccupations suscitées par l’éventualité d’un troisième mandat du président Macky Sall, mais il y a eu une vague d’arrestations d’opposants politiques et de dissidents au cours des derniers mois.

Selon des groupes de la société civile et des partis d’opposition, près de 1 000 membres et militants de l’opposition ont été arrêtés dans tout le pays depuis mars 2021. Soixante-dix-neuf personnes ont présenté une demande au Conseil constitutionnel pour être candidates à l’élection présidentielle, dont Amadou Ba, actuel Premier ministre du Sénégal et membre de la coalition au pouvoir, et Ousmane Sonko, leader d’opposition emprisonné et dirigeant du parti politique dissous Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF). À l’issue du processus de vérification du Conseil, elles ne sont plus que 20. La candidature d’Ousmane Sonko a été rejetée sur la base de sa condamnation par la Cour Suprême du Sénégal à 6 mois de prison pour diffamation à l’encontre d’un ministre.

« La promesse du président Macky Sall d’organiser des élections libres et équitables est en contradiction avec le fait que les autorités remplissent les prisons de centaines d’opposants politiques depuis trois ans », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités devraient s’assurer que tous les Sénégalais sont en mesure d’exprimer librement leurs opinions et d’exercer leur droit de vote de manière équitable et pacifique. »

Entre novembre 2023 et janvier 2024, Human Rights Watch a interrogé en personne et par téléphone 34 personnes, dont 9 membres de partis d’opposition, 13 membres de groupes de la société civile sénégalaise, 6 journalistes, 2 professeurs d’université, 3 avocats sénégalais et 3 proches d’activistes.

Human Rights Watch a également examiné des reportages de médias nationaux et internationaux, des photographies montrant les blessures d’un manifestant à la suite d’actes de torture en juin 2023 et son dossier médical, ainsi qu’une vidéo montrant des gendarmes qui torturent un manifestant, également en juin.

Le 9 janvier, Human Rights Watch a envoyé un e-mail à Julien Ngane Ndour, Directeur des droits humains auprès du ministère de la Justice, pour lui faire part de ses conclusions et solliciter des réponses à des questions spécifiques. Human Rights Watch n’a pas reçu de réponse.

Des vagues d’arrestations ont commencé en 2021 à la suite de manifestations violentes liées à des procédures judiciaires concernant Ousmane Sonko et à la perspective d’un possible troisième mandat du président Macky Sall. Les forces de sécurité ont ciblé des dirigeants, des membres et des partisans du parti d’Ousmane Sonko.

Sonko a été plus récemment arrêté le 28 juillet pour incitation à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’État, provocation de troubles politiques graves et association de malfaiteurs, entre autres. Bassirou Diomaye Faye, Secrétaire général du PASTEF, est en détention depuis le 14 avril, devant répondre de chefs d’accusation similaires à la suite d’un message critiquant les magistrats qu’il avait publié sur son compte Facebook.

« Critiquer les autorités n’est pas un crime et personne ne devrait encourir une peine de prison pour cela », a déclaré l’avocat de Bassirou Diomaye Faye. Le 31 juillet, le ministre de l’Intérieur du Sénégal a annoncé la dissolution du PASTEF, au motif que ce parti aurait mobilisé ses partisans lors de manifestations violentes en juin 2023 et en mars 2021.

« Nos dirigeants sont en prison, nos partisans sont en prison, beaucoup d’entre nous sont en liberté provisoire ou sont surveillés électroniquement comme moi », a indiqué El Malick Ndiaye, responsable de la communication du PASTEF, arrêté le 22 mars pour avoir prétendument diffusé de fausses nouvelles et commis des actes susceptibles de compromettre la sécurité publique. Ce jour-là, il a publié un message sur son compte Facebook alléguant qu’un individu en uniforme de la police avait pulvérisé une substance inconnue sur Ousmane Sonko. « Le gouvernement banalise la pratique de l’arrestation et fait tout pour nous réduire au silence », a-t-il expliqué.

Les autorités ont utilisé le système judiciaire pour s’en prendre aux opposants politiques et aux dissidents. Les avocats représentant les personnes arrêtées dans le cadre de manifestations organisées par l’opposition se sont dits préoccupés par le manque de respect des droits de leurs clients à une procédure régulière, notamment les accusations inventées de toutes pièces, le manque de preuves à l’appui des accusations, la détention provisoire prolongée, ainsi que les mauvais traitements et la torture en détention ou lors de l’arrestation.

« Le parquet use d’abus de qualification pour demander un mandat de dépôt [permettant la détention] des personnes arrêtées et s’oppose à toute demande de liberté provisoire des détenus», a déclaré un éminent avocat spécialisé en droits humains, Moussa Sarr, qui représente pro bono des centaines de manifestants détenus. « Il arrive que des personnes participent à une manifestation non autorisée, mais au lieu d’être poursuivies pour participation à une manifestation non autorisée, elles sont poursuivies pour association de malfaiteurs. L’infraction retenue n’est plus la conséquence juridique des faits commis»

Human Rights Watch a précédemment documenté l’emploi d’une force excessive par les forces de sécurité, y compris des balles réelles et un usage inapproprié de gaz lacrymogène, pour disperser des milliers de manifestants dans tout le pays en mars 2021 et juin 2023. Au moins 37 personnes ont été tuées lors d’affrontements violents depuis mars 2021 et personne n’a eu à répondre de ces actes.

« Des jeunes sont morts et leurs familles attendent toujours que justice leur soit rendue », a indiqué Alioune Tine, éminent défenseur des droits humains et fondateur de l’organisation de recherche AfrikaJom. « Le fait que nos autorités n’aient pas amené les agents de sécurité fautifs à rendre des comptes ne fera que les encourager à continuer. »

Les manifestations violentes de mars 2021 ont conduit les autorités sénégalaises, invoquant la nécessité de protéger la sécurité publique, à restreindre la liberté de réunion en interdisant les meetings, les manifestations et les rassemblements publics. Le 29 décembre 2023, les autorités locales de la capitale, Dakar, ont interdit un meeting prévu le 30 décembre au cours duquel Ousmane Sonko devait être investi candidat à l’élection présidentielle, alléguant une menace pour l’ordre public.

« Depuis deux ans, les autorités rejettent presque toutes les demandes de manifestation des organisations de la société civile et des partis politiques », a indiqué Moundiaye Cissé, directeur exécutif de l’organisation de la société civile 3D. « Le droit à la liberté de réunion est une pierre angulaire de la démocratie, nous nous sommes battus pour ce droit, il ne peut pas nous être arraché. »

Certains candidats ont expliqué qu’on les empêchait de recueillir les signatures nécessaires pour être inscrits sur les bulletins de vote. Le 28 octobre, Khalifa Sall, chef du parti Taxawu et candidat à l’élection présidentielle, a déclaré que la police avait arrêté son convoi de 30 véhicules pendant plusieurs heures, l’empêchant d’entrer dans la région de Fatick, au sud-est de Dakar, où il était censé recueillir des signatures. La police a indiqué que le convoi n’avait pas été autorisé.

« Nous n’avions besoin d’aucune autorisation », a expliqué Moussa Taille, porte-parole de Taxawu. « La loi stipule que tout candidat peut recueillir ses parrainages. À l’approche des élections, le gouvernement tente de restreindre les droits des opposants. »

Les journalistes ont déclaré que depuis 2021, ils subissent une pression accrue de la part des agents du gouvernement et des forces de sécurité dans l’exercice de leur profession, ainsi que des arrestations arbitraires et des intimidations. Des dizaines de journalistes ont été arrêtés de manière arbitraire, menacés verbalement et agressés physiquement. Des médias ont été suspendus et les autorités ont imposé des restrictions arbitraires à l’accès à l’Internet mobile et aux réseaux sociaux.

Dans un communiqué publié le 8 janvier, l’Union européenne a annoncé qu’à l’invitation des autorités sénégalaises, elle déploierait une mission d’observation électorale au Sénégal le 25 février.

Le droit international relatif aux droits humains, y compris le droit régional tel que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, interdit la détention arbitraire. Toute accusation portée par les autorités doit être prévue par la loi, concerner une activité légitimement sanctionnable et être étayée par des preuves crédibles qui correspondent à l’infraction.

Les personnes détenues ont le droit d’être informées des motifs de leur arrestation, de contester leur détention devant un juge indépendant et impartial, de ne pas se voir refuser arbitrairement une libération sous caution, d’avoir accès à un avocat et aux membres de leur famille et de faire examiner leur cas périodiquement. Le droit international relatif aux droits humains garantit également les droits à la liberté de réunion et d’expression et interdit l’usage excessif de la force par les responsables de l’application des lois et la détention dans des conditions inhumaines et dégradantes.

« Alors que le Sénégal s’apprête à tenir des élections, les enjeux pour sa démocratie sont élevés », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les autorités sénégalaises devraient ouvrir des enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur tous les cas d’usage de la force par les forces de sécurité tout au long de la crise pré-électorale et veiller à ce que les forces de sécurité respectent le droit de manifester pacifiquement. »

Compte-rendu détaillé des abus commis et précisions complémentaires
Violations de la procédure régulière

Les autorités sénégalaises violent systématiquement les droits à une procédure régulière des personnes arrêtées dans le cadre de manifestations organisées par l’opposition.

Utilisation abusive de la détention provisoire, refus de la libération provisoire

Sauf si un crime est en train d’être commis ou vient juste d’être commis (« délit flagrant » dans le système de droit pénal), la loi sénégalaise exige que les forces de l’ordre disposent d’un mandat d’arrêt délivré par un tribunal pour arrêter un suspect. Dans la pratique, les forces de sécurité traitent la plupart des cas impliquant des opposants comme des infractions qualifiées de « délit flagrant » et arrêtent des personnes sans mandat.

Les personnes ainsi arrêtées ont le droit d’être présentées rapidement à un juge, d’être mises en examen et jugées, avec un maximum de 96 heures de détention avant inculpation autorisées par la loi sénégalaise. Cependant, le parquet et les tribunaux, en réponse aux demandes du parquet, refusent systématiquement la libération provisoire aux opposants politiques et les maintiennent en détention provisoire prolongée, en violation du droit international relatif aux droits humains.

Moussa Sarr, l’avocat qui représente de nombreux manifestants détenus, a raconté à Human Rights Watch : « La majorité de mes clients sont arrêtés en flagrant délit, mais ils ne sont jamais jugés selon la procédure de flagrant délit qui est plus rapide ; au lieu de cela, le parquet ouvre la plupart du temps une information judiciaire, prolongeant ainsi considérablement la période précédant le procès.

Cette politique pénale semble reposer sur la volonté du procureur d’envoyer les personnes arrêtées en prison. Le parquet semble également justifier cette propension à détenir les personnes comme un moyen de prévenir la commission de nouvelles infractions. Il s’agit-là d’arrestation préventive et détention de sûreté. Cela est illégal et inacceptable dans un État de droit. »

Accusations inventées et codification erronée des infractions

Moussa Sarr et Ciré Clédor Ly, avocats qui représentent des manifestants, des activistes et des membres de l’opposition politique détenus, dont Ousmane Sonko, ont expliqué que les accusations les plus courantes portées contre leurs clients sont les actes susceptibles de compromettre la sécurité de l’État ; les appels à l’insurrection ; la diffusion de fausses nouvelles ; le complot en vue de commettre des actes terroristes ; et la diffamation.

« Certains de mes clients ont été accusés de compromettre la sécurité de l’État pour avoir porté un bracelet du PASTEF », a indiqué Ciré Clédor Ly. « Ils lancent simplement des accusations contre vous. » Étant donné que les accusations impliquent des crimes touchant à la sécurité de l’État, la libération provisoire est presque toujours rejetée, ont expliqué les avocats de la défense.

Le frère de Bassirou Diomaye Faye, le secrétaire général du PASTEF, a raconté : « Bassirou a été arrêté la nuit, à son bureau, sans aucun mandat. Les gendarmes ont enfoncé la porte de l’immeuble pour l’emmener. Depuis avril [2023], ses avocats ont déposé quatre demandes de mise en liberté provisoire, et toutes ont été rejetées sans explication. »

Un membre d’un parti d’opposition âgé de 26 ans a indiqué à Human Rights Watch qu’il avait été arrêté à Dakar le 30 mai et accusé d’« actes susceptibles de compromettre la sécurité de l’État » alors qu’il se rendait dans une brigade de gendarmerie pour identifier certains détenus. « Demander des informations sur des détenus est-il un acte qui peut mettre en danger l’État ? » a-t-il dit. « Il s’agissait d’accusations fabriquées de toutes pièces et motivées par des raisons politiques. »

L’homme s’est finalement vu accorder une libération provisoire le 8 juin et a quitté le Sénégal le 24 octobre par crainte d’être à nouveau arrêté : « Je me suis rendu au Mali par voie terrestre, puis en Côte d’Ivoire, ensuite j’ai pris un vol pour le Maroc et l’Espagne. À Madrid, j’ai pris un vol pour Managua [la capitale du Nicaragua]. Ensuite, le Salvador, le Guatemala et le Mexique. Et finalement, je suis entré aux États-Unis. »

Absence d’accès adéquat à un avocat

Le code de procédure pénale sénégalais garantit le droit à un avocat à compter du moment de l’arrestation et le droit d’être assisté d’un avocat pendant l’interrogatoire. Cependant, d’anciens détenus ont affirmé qu’on leur avait refusé accès à un avocat. D’autres ont indiqué qu’ils n’ont pas été autorisés à être assistés d’un avocat pendant les interrogatoires, qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’examiner les preuves présentées contre eux ou encore qu’ils ont été forcés de signer des déclarations contre leur volonté ou des déclarations obtenues sous la torture.

Un membre du PASTEF âgé de 28 ans qui a été arrêté le 1er juin 2023 à Mbour, dans la région de Thiès, a raconté :

Le 5 juin [2023], j’ai été conduit à moitié nu, vêtu seulement d’un short, devant une commissaire de police qui m’a interrogé. Pendant qu’elle m’interrogeait, sans mon avocat, un policier m’a frappé sur les côtés et les épaules avec la partie en bois d’un couteau. Elle m’a demandé de signer un document. J’ai demandé si je pouvais le lire. Elle m’a dit que non. J’ai refusé de le signer, mais elle m’a menacée et j’ai donc été forcé de le faire.

Thioro Diouf, également connue sous le nom de Thioro Makhou Mandela, une journaliste du groupe médiatique Walfadjri, a été arrêtée le 18 avril pour association de malfaiteurs, entre autres. Elle a expliqué :

J’étais enceinte de six semaines lorsque j’ai été arrêtée, accusée de crimes que je n’ai jamais commis, sur la base d’accusations inventées de toutes pièces. J’ai été prise pour cible en raison de mes positions critiques vis-à-vis de l’administration. […] Ils m’ont conduite dans une cellule appelée « la cave », la prison du tribunal de Dakar. Il y avait 18 autres femmes, pas de fenêtre, la chaleur était infernale, l’odeur des toilettes dégoûtante. J’ai demandé aux gardiens si je pouvais parler à mon avocat. Ils ont refusé. Dans l’après-midi, ils ont permis à mon avocat de me parler, mais de loin. Je n’entendais même pas ce qu’il disait.

Conditions de détention

D’après la base de données World Prison Brief qui fournit des informations sur les systèmes pénitentiaires dans le monde entier, la capacité des prisons sénégalaises est d’environ 7 300 personnes, mais le nombre de détenus, qu’ils soient incarcérés avant leur procès ou après leur condamnation, était de plus de 13 000 en septembre 2023.

D’anciens détenus et leurs proches ont décrit à Human Rights Watch des cellules extrêmement surpeuplées avec des conditions inhumaines. Dans le centre de détention de Rebeuss à Dakar, où sont incarcérés les prévenus avant leur procès, les détenus partagent chaque mètre carré d’espace, n’ayant souvent pas la place de s’asseoir ou de s’allonger. Construit en 1929 avec une capacité de 600 détenus, la prison de Rebeuss enferme actuellement plus de 3 000 personnes en détention provisoire, dont plus de 700 ont été arrêtées dans le cadre de manifestations organisées par l’opposition.

« Notre cellule était tellement pleine que nous faisions ce que nous appelions un “paquetage”, dormant sur le côté, entassés les uns à côté des autres, tête-bêche, jusqu’à ce que toute la surface au sol de la cellule soit occupée », a raconté un ancien détenu de Rebeuss. « Certains détenus devaient nous pousser pour se faire de la place. »

« Nous étions 103 dans la cellule », a décrit Thioro Mandela, une journaliste qui a passé 15 jours à la prison pour femmes appelée Camp Pénal à Dakar. « Il n’y avait pas assez d’espace et nous devions dormir tête-bêche. Nous n’avions pas de matériel de couchage approprié et pour une femme enceinte comme moi, c’était très difficile. »

L’hygiène et l’accès aux soins médicaux sont limités. D’anciens détenus et leurs familles se sont plaints de graves pénuries d’eau, de savon et d’autres fournitures sanitaires, ainsi que du manque de médicaments à Rebeuss. « Certaines cellules n’ont pas de toilettes, donc si vous avez besoin d’uriner, vous utilisez un seau », a expliqué un ancien détenu. « Il n’y a qu’une seule infirmerie et tout ce qu’ils ont, c’est du paracétamol », un médicament utilisé pour traiter la fièvre et les douleurs modérées.

En octobre, il y a eu une épidémie de gale à Rebeuss due aux conditions carcérales insalubres.

Le droit international interdit les conditions de détention qui constituent un traitement inhumain ou dégradant, un seuil atteint par la surpopulation et le manque de services de base adéquats et de dignité pour les personnes enfermées dans les centres de détention provisoire du Sénégal, a déclaré Human Rights Watch.

Le droit international relatif aux droits humains, y compris la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, prévoit que toute personne faisant l’objet d’accusations doit être libérée avant son procès, sauf circonstances exceptionnelles stipulées par la loi. Le nombre élevé de personnes en détention provisoire au Sénégal, malgré le manque d’espace et les conditions carcérales, est lui-même la preuve de l’application abusive de la détention provisoire.

Les personnes en détention provisoire devraient bénéficier de toute urgence d’une libération sous caution ou provisoire, à moins que des circonstances exceptionnelles prévues par la loi ne justifient leur maintien en détention. Les personnes faisant l’objet d’un maintien en détention devraient être traduites en justice dans les plus brefs délais et toutes les accusations motivées par des raisons politiques devraient être abandonnées.

Torture en détention

Le membre du PASTEF âgé de 28 ans qui a été arrêté le 1er juin à Mbour, dans la région de Thiès, lors d’une manifestation en faveur de l’opposition a décrit comment il a été traité :

Un gendarme m’a attrapé par-derrière, 10 autres gendarmes sont venus et m’ont poussé au sol. L’un d’eux m’a frappé à la tempe droite avec la crosse de son fusil, un autre m’a donné un coup de pied, avec ses bottes, au niveau de l’œil droit. Ils m’ont tous battu. […] Puis, l’un d’eux a dit : « On est dans la rue, on pourrait nous voir, emmenons-le à la brigade. » Ils m’ont conduit à la brigade, un bâtiment en construction. […] Un lieutenant a dit : « Nous allons te tuer aujourd’hui. » […] Ils m’ont jeté face contre terre sur le sol qui était plein de sable et de ciment, et m’ont frappé les fesses avec des bâtons en bois, des barres de fer, des câbles électriques et des matraques pendant environ une heure. Ensuite une lieutenante m’a versé de l’eau dessus. […] Quand ils ont fini, ils m’ont fait monter dans un fourgon de police garé devant la brigade et entouré de policiers. Ils ont dit aux policiers : « Maintenant, vous pouvez prendre votre part. »

Plusieurs policiers ont battu l’homme dans le fourgon de police.

Un policier a pris un seau en métal et m’a dit de le mettre comme un chapeau, ce que j’ai fait, puis il a pris un bâton et a tapé sur le seau, et ça a fait un bruit strident. […] Un autre policier est venu avec un couteau […] et m’a dit : « Je vais te couper les orteils », mais un autre a dit : « Les gars, arrêtez ! » et il m’a donné de l’eau à boire. […] Mais un autre policier est arrivé et m’a ordonné de faire des pompes. Quand je me suis mis en position pour les pompes, il a pris un sac en plastique et l’a mis autour de mon cou, et chaque fois que je faisais une pompe, il tirait sur le sac et m’étouffait.

Un membre du PASTEF âgé de 28 ans, arrêté par les gendarmes à Mbour, dans la région de Thiès au Sénégal, lors d’une manifestation pro-opposition tenue le 1er juin 2003, montre son doigt cassé ; il affirme avoir subi cette blessure, parmi d’autres, lors d’une séance de tortures ayant duré plusieurs heures.

L’homme a été détenu pendant trois jours au commissariat de Mbour et s’est vu refuser tout soin médical malgré des blessures très graves. Le 4 juin, il a été conduit à l’hôpital régional de Mbour pour y être soigné, mais les médecins ont refusé de lui remettre son dossier médical. Le 9 juin, il a été présenté au procureur et transféré à la prison de Mbour. Il a bénéficié d’une mise en liberté provisoire le 23 juin.

Le 2 juin, vers 23 heures, Pape Abdoulaye Touré, un jeune militant politique, a été agressé par des hommes qu’il ne connaissait pas dans le quartier Liberté 6 de Dakar. Au cours de l’agression, la victime a déclaré avoir vu deux gendarmes patrouiller dans le secteur et avoir appelé à l’aide. Les gendarmes l’ont conduit à la brigade locale, et quand ils ont trouvé une photo d’Ousmane Sonko en arrière-plan sur son téléphone, ils ont commencé à le frapper.

Human Rights Watch s’est entretenu avec l’avocat de Pape Abdoulaye Touré et l’un des amis du jeune homme et a examiné une vidéo de 1 minute 12 montrant Pape Abdoulaye Touré menotté, saignant du nez et entouré par au moins cinq hommes portant des uniformes de la gendarmerie sénégalaise. Dans la vidéo, on peut entendre les gendarmes insulter et menacer Pape Abdoulaye Touré en wolof (une langue largement parlée au Sénégal) : « Tu es une ordure. » « Cassons-lui les jambes. »

« Il a été sauvagement battu par les gendarmes pendant sa détention », a indiqué son avocat. « Il a subi des blessures, dont un bras cassé et une jambe cassée. »

Accusé d’ « actes susceptibles de compromettre la sécurité publique » et d’« insurrection », Pape Abdoulaye Touré a entamé en novembre une grève de la faim de 22 jours pour contester sa détention. Depuis le 4 décembre, il est détenu au pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec à Dakar, en raison de la détérioration de son état de santé. Un ami qui lui a rendu visite à la fin du mois de décembre a raconté :

Il est très faible physiquement et mentalement. Il souffre toujours des tortures qu’il a subies. Il m’a dit qu’il a été frappé sur toutes les parties de son corps, qu’il a reçu des coups de pied, des gifles, des coups de botte de la part des gendarmes au niveau de la tête, des yeux et du cou. Il m’a dit que les gendarmes ont versé de l’eau et du sable sur lui.

Répression des médias

Arrestation de journalistes et d’activistes sur les réseaux sociaux

Le 16 mai, les forces de sécurité ont arrêté la journaliste Ndèye Maty Niang, également connue sous le nom de Maty Sarr Niang, à son domicile à Dakar et l’ont accusée de diverses infractions, notamment d’« appel à l’insurrection, à la violence et à la haine », à la suite de ses publications sur Facebook critiquant les autorités sénégalaises. Elle est toujours incarcérée à Dakar. « Son avocat a déposé deux demandes de mise en liberté provisoire, mais elles ont été rejetées », a expliqué la mère de Ndèye Maty Niang. « Elle souffre en prison ; elle est dans une cellule avec 62 autres détenues. Elle est psychologiquement épuisée et maintenant je m’occupe de ses trois enfants. »

Le 29 juillet, la police a arrêté Pape Alé Niang, le rédacteur en chef du site d’information Dakarmatin, à son domicile à Dakar pour des accusations d’« insurrection », à la suite de propos qu’il avait tenus dans une diffusion en direct sur sa page Facebook au sujet de l’arrestation d’Ousmane Sonko le 28 juillet. Il a bénéficié d’une libération provisoire après une grève de la faim de 10 jours. C’était la troisième fois que les forces de sécurité arrêtaient Pape Alé Niang depuis novembre 2022.

Activiste sur les réseaux sociaux et à la télévision, Pape Ibrahima Guèye, alias « Papito Kara », âgé de 32 ans, qui était proche du PASTEF et qui critiquait ouvertement le gouvernement de Macky Sall, a été arrêté à Dakar en juillet 2022 pour « diffusion de fausses nouvelles ». Il était devenu très populaire pour ses revues de presse humoristiques sur les réseaux sociaux et à la télévision. Il a été libéré sous contrôle judiciaire en janvier 2023, « mais il craignait d’être arrêté à nouveau et a donc décidé de partir », a confié son frère. Selon son frère, il est décédé le 27 octobre alors qu’il tentait de rejoindre les îles Canaries en bateau. « Une personne qui était dans le bateau avec lui et qui est arrivée en Espagne m’a annoncé qu’il était mort … à cause du froid et qu’ils avaient jeté son corps à la mer. »

Le 13 novembre, les gendarmes ont arrêté Pape Sane, un journaliste du groupe de presse Walfadjri, accusé de diffuser de fausses nouvelles. « Je suis resté en garde à vue pendant huit jours, les quatre premiers jours à la section de gendarmerie de Colobane, puis au commissariat central, avant d’être placé en liberté provisoire », a-t-il raconté. Pape Sane est accusé de « diffusion de fausses nouvelles » à cause d’une publication sur Facebook ou il a relayé un article de 2021 sur le général Augustin Tine, ancien commandant de la gendarmerie, qui avait été relevé de ses fonctions à la suite des manifestations de mars 2021 au cours desquelles plusieurs manifestants sont morts.

Autocensure

Les journalistes ont confié qu’ils étaient réticents à critiquer le gouvernement pour éviter d’être étiquetés comme des opposants politiques et d’être pris pour cible. « Nous sommes extrêmement prudents, nous savons que nous pouvons finir en prison si nous écrivons quelque chose qui déplaît au gouvernement », a expliqué un journaliste de presse. « Mon patron me demande constamment de faire attention à ce que j’écris dans mes articles. »

« Au cours des deux dernières années, nous avons observé une tendance croissante à l’intimidation et aux attaques ciblées contre les journalistes et les médias indépendants, raison pour laquelle les journalistes pratiquent de plus en plus l’autocensure », a indiqué Ibrahima Lissa Faye, directeur du média en ligne Pressafrik.com. « Lorsque les journalistes censurent leurs propres pensées, la liberté des médias est menacée. »

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