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Rencontre avec la mystérieuse Marie NDiaye à l’occasion de la sortie de « La vengeance m’appartient »

Rencontre avec la mystérieuse Marie NDiaye à l’occasion de la sortie de « La vengeance m’appartient »

L’écrivaine Marie NDiaye sort La vengeance m’appartient, un des romans les plus forts de cette rentrée littéraire. Rencontre avec une romancière à l’œuvre étrange et décalée, dans laquelle elle traque ce qui fait la spécificité de la nature humaine.

Il plane sur le dernier roman de Marie NDiaye, comme sur toute son œuvre, un sentiment d’étrangeté que l’on retrouve au contact de son auteure. Tout est spécial en ce cotonneux matin de janvier où le cœur de Paris bat au ralenti, au rythme des restaurants fermés et des trottoirs désertés.

Marie NDiaye est charmante, douce, souriante, tout de noir vêtue dans le beau canapé bleu du confortable bureau de Claude Gallimard, père de l’actuel directeur de la maison d’édition. L’écrivaine de 53 ans ne se dérobe à aucune question, mais semble tournée vers ce monde intérieur qui lui permet d’écrire ses livres, de Rosie Carpe aux Trois femmes puissantes qui lui ont valu le Goncourt 2009.

« Je n’écris pas sur un thème »
La vengeance m’appartient a pour héroïne une avocate bordelaise appelée à défendre une mère infanticide. Dans le mari, il lui semble reconnaître le jeune homme d’une maison dans laquelle sa mère, femme de ménage, l’avait emmenée enfant. Le trouble la saisit à mesure qu’elle cherche à se rappeler ce qui s’est passé en cette chambre, en ce jour lointain. Son monde vacille tandis que le lecteur, captivé et perdu par la prose mystérieuse et décalée de Marie NDiaye, se laisse prendre par un livre beau et piégeux comme une toile d’araignée.

Il y est question de rapports de classes et de relations parents-enfants, évoqués avec acuité. Époque oblige, il nous a aussi semblé voir des réminiscences de #MeToo dans ces pages où l’héroïne pense avoir vécu quelque chose de merveilleux, tandis que son père est persuadé qu’elle a été abusée. « Ah non ! dément la romancière. Elle ne veut pas que son père fasse d’elle une victime. Mais la certitude de son père la fait douter, et elle lui en veut de provoquer ce doute. »

Marie NDiaye n’a pas non plus écrit sur les sans-papiers, bien que Me Susane cherche à régulariser son employée mauricienne. Ni sur un infanticide, sur les raisons duquel on ne sera pas plus avancé. « Je préfère laisser planer l’ambivalence. Chacun se fait son interprétation. Je ne peux pas écrire sur un thème, un sujet d’actualité, aussi intéressant soit-il. Mais j’écris en 2019, et c’est la réalité de 2019. »

Quel est son propos, alors ? « Il s’agit de suivre une femme dans son cheminement. En le faisant, j’ai l’impression d’être hyper-réaliste. Il est rare d’avoir une explication précise et sûre de nos agissements. Ce qui me fascine, c’est l’ambivalence de nos désirs, la complexité de nos pensées, la contradiction entre ce qu’on veut, ce qu’on pense et ce qu’on fait. Tout ce qui fait l’humain, en sorte. »

Cette recherche, elle la poursuit de livre en livre, avec une voix unique qui a séduit les prestigieuses éditions de Minuit alors qu’elle n’avait que 18 ans. La lycéenne de Bourg-la-Reine n’en a même pas été surprise. « J’étais naïve ! » Le petit prodige d’alors n’a jamais lâché, poursuivant sa route, un brin iconoclaste dans le milieu. Elle, la cérébrale que l’on imagine bardée de diplômes n’a que le bac. « J’étais bonne élève, mais le lycée m’a assommée et j’ai lâché l’université. » Contrairement à son frère, Pape NDiaye, historien au cursus brillant.

« Je peux écrire partout »
Elle a toujours été une grande lectrice, vouant notamment un amour sans bornes à l’Américaine Joyce Carol Oates. « C’est un génie, capable de vous faire croire à la réalité profonde de personnages qui n’ont rien à voir avec elle. Elle a une capacité d’imagination si vaste. Moi, mes ressources sont limitées. Je ne peux pas brasser les siècles et la généalogie. »

Marie NDiaye n’est pas issue du sérail. « En France, il y a une tradition d’écrivains venus de la bourgeoisie intellectuelle, c’est loin d’être mon cas, dit-elle sans mépris, ni fierté. Mes grands-parents étaient agriculteurs, ma mère une institutrice devenue professeur de sciences naturelles. » Son père, Sénégalais, est reparti lorsque Marie n’avait que 1 an. « Je ne l’ai quasiment jamais revu. Ça ne m’intéressait pas, c’était un étranger, froid et distant. Ça ne sert à rien de courir après quelqu’un qui ne peut rien vous apporter. »

Elle et son mari, l’écrivain Jean-Yves Cendrey, avec lequel elle a eu trois enfants, se sont toujours tenus loin du microcosme parisien. Ils partagent leur temps entre Berlin et un village du sud-ouest, aux confins des Landes et de la Gironde. « Berlin, c’est ma ville, une ville dynamique et paisible. Et j’aime mon village de 300 habitants et la nature, même si je peux écrire partout. »

Cet éloignement ne l’empêche pas d’être très sollicitée pour le théâtre. « Le Théâtre national de Strasbourg m’a commandé des pièces autour de l’écologie. Ils sont prévenus, je n’écrirai pas sur le thème de l’écologie… »

La vengeance m’appartient, Gallimard, 232 pages, 19,50 €. E-Book 13,99 €.

Florence PITARD avec Ouest France

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