L’intelligence artificielle, star boursière incontestée depuis 2022, est en train de vivre un séisme d’une rare intensité. Baptisé DeepSeek, il nous arrive tout droit de Chine. Son onde de choc initiale est telle qu’elle a fait vaciller le Nasdaq, avec une chute de 4% dès la préouverture.
La Chine bouleverse l’écosystème de l’IA
Depuis 2022, l’IA est inarrêtable. Une véritable méga-tendance, propulsée par des centaines de milliards d’investissements, des annonces à grand spectacle, à l’image du plan Stargate du Président américain, et un écosystème technologique en perpétuelle ébullition. La principale certitude du marché : celui qui investira le plus prendra le leadership et aura les meilleures chances d’écraser ses rivaux.
Mais que se passerait-il si quelque chose, ou quelqu’un, parvenait à ébranler cette conviction ? Et bien, c’est un peu ce qui est en train de se passer. Et cette fois, le coup ne vient pas d’un géant américain ou d’un acteur européen, mais bien de la Chine. Ce pays que les États-Unis tentent de contenir avec des restrictions technologiques. DeepSeek est le paradoxe incarné : l’intelligence artificielle chinoise, développée avec des moyens modestes, mais qui fait trembler les titans du secteur. Selon Stacy Rasgon, analyste chez Bernstein, la réaction a oscillé entre un intérêt curieux et une véritable crise existentielle pour le secteur de l’infrastructure IA.
DeepSeek : David contre Goliath
DeepSeek est une IA conversationnelle à la manière de ChatGPT ou Claude. Mais ce qui la distingue, c’est son positionnement : open source, accessible à un tarif compétitif, et fondée sur une technologie plus ancienne. En d’autres termes, DeepSeek ne joue pas sur le terrain de la démesure, mais sur celui de l’efficacité.
Le résultat est apparemment sans appel : DeepSeek s’impose comme le meilleur rapport qualité-prix du marché. Tellement convaincante qu’elle trône désormais en tête de l’App Store US d’Apple. La Chine délivre ainsi deux messages clairs : on peut rivaliser avec des géants sans brûler des milliards, et les restrictions technologiques américaines sont loin d’être un frein insurmontable.
Pourquoi cette claque résonne si fort.
DeepSeek n’a pas seulement innové, elle a bousculé l’économie même de l’IA. Avec des puces Nvidia H800, conçues pour contourner les restrictions américaines et considérées comme dépassées, la start-up chinoise a réussi à entraîner son IA pour moins de 6 millions de dollars, selon ses propres déclarations. Une somme dérisoire quand on la compare aux investissements astronomiques de ses concurrents. Un peu trop d’ailleurs, puisque Stacy Rasgon estime que DeepSeek a certes utilisé une infrastructure allégée pendant environ deux mois, mais ce chiffre ne reflète pas les coûts de recherche, de développement et d’expérimentation en amont.
Il n’empêche, le secteur est en pleine introspection. Pourquoi dépenser des fortunes en GPU dernier cri si une infrastructure modeste peut obtenir des résultats similaires, ou du moins relativement proches ? Et ce n’est pas qu’une théorie. L’université de Berkeley, qui évalue les performances des IA via un classement participatif rigoureux, place DeepSeek ex aequo avec ChatGPT sur la moyenne de ses réponses, juste derrière Gemini d’Alphabet.
Les performances de DeepSeek-V3 sont indéniables, surpassant de nombreux benchmarks en langage, en code et en mathématiques, tout en étant 10 fois plus efficaces que des modèles denses comparables. Toutefois, selon Bernstein, cette efficacité supérieure ne constitue pas une surprise totale. L’architecture MoE, par nature, vise à améliorer le ratio coût/performance en n’activant qu’une partie des paramètres pour chaque traitement, ce qui est bien documenté dans la littérature scientifique.
DeepSeek ajoute un atout précieux, puisque son code est open source, un modèle que seuls quelques acteurs, comme Llama (Meta) ou Mistral, ont osé adopter, mais sans atteindre ce niveau de performance.
Un précédent qui redéfinit l’avenir
Est-ce une simple gifle ou un séisme durable pour le secteur ? Difficile à dire pour l’instant. Mais une chose est certaine : l’impact est déjà visible. Les marchés réagissent avec brutalité. Au Japon, Advantest et Tokyo Electron dégringolent, en Europe, ASM et ASML chutent de 13% et 10%, tandis qu’en France, Schneider Electric perd 9%. Les traders devraient aussi sanctionner Nvidia, dont le titre chute de 9% en préouverture US.
DeepSeek ouvre une nouvelle voie, et ce précédent pourrait bouleverser durablement l’équilibre du marché. Si des IA performantes et abordables venaient à se multiplier, les modèles économiques actuels des géants de la tech seraient sérieusement remis en question, ainsi que la pérennité de l’investissement dans l’IA. Reste à voir si ce séisme est un moment d’éclat isolé ou le début d’un bouleversement à long terme.
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