AnalyseOpinionTribuneVedette - La UNE

Politiciens, rendez nous nos mandats locaux – Par Mamadou Oumar Ndiaye

C’est donc reparti pour février 2022 au moins ! L’Assemblée nationale vient en effet de voter le report sine die des élections locales.

Nul ne sait au juste quand est-ce qu’elles se tiendront même si on sait que la majorité présidentielle opte pour février prochain tandis que l’opposition, elle, entend se battre pour que le scrutin ait lieu avant la fin de l’année.

En attendant que ces messieurs et dames de la classe politique — majorité et opposition confondues — veuillent bien s’entendre sur une date, nous reproduisons cet article que nous avions publié il y a quelques mois. Et qui n’a rien perdu de son actualité !

A défaut de pouvoir les y contraindre, faudra-t-il donc en arriver à supplier à genoux nos tout-puissants politiciens afin qu’ils consentent enfin à organiser les élections locales ? Eh oui, on en est là dans ce pays présenté comme le phare de la démocratie en Afrique et qui est en passe d’en devenir la lanterne rouge !

Alors que le mandat de tous élus locaux a expiré depuis juin 2019, ces braves hommes et femmes sont toujours en fonction et exercent leurs missions (c’est-à-dire en gros vendre des terrains et construire des cantines au prétexte de trouver des recettes) comme si de rien n’était par la grâce d’un décret présidentiel. Un décret qui leur accorde apparemment plus de légitimité que le mandat populaire !

En tout cas, nous vivons une situation extraordinaire qui voit les politiciens d’un pays, le nôtre, refuser systématiquement — du moins, dans leur grande majorité — de soumettre de nouveau au vote des citoyens ceux d’entre eux qui avaient bénéficié de leurs suffrages pour siéger dans les assemblées locales. A ce qu’on sache, le Sénégal n’est pas en état de guerre, ne connaît pas de troubles intérieurs ni de catastrophe naturelle, Dieu merci !

Et même la pandémie de coronavirus n’a pas fait le poids face à la maestria de nos médecins et doctes professeurs et aux performances en matière de gestion de crise de nos dirigeants ! A preuve, le Sénégal n’a-t-il pas été sacré deuxième pays du monde à avoir le mieux géré cette satanée pandémie qui a bouleversé le monde entier et dont les ravages ne ont pas près de s’arrêter ? Or, presque nulle part elle n’a empêché la tenue à bonne date d’élections. A commencer par le pays le plus atteint du monde, les Etats-Unis d’Amérique, qui ont organisé leur élection présidentielle.

Le Mali a fait ses législatives durant cette période. La France, en pleine pandémie, a organisé ses municipales. Le Brésil, la Bolivie, le Chili, le Venezuela ont tenu leurs scrutins. Et même la Russie et la Biélorussie ! Pour dire que dans les pays où la démocratie est ancrée — ou même là où on essaie de l’implanter —, le respect du calendrier électoral est sacré.

Sauf si le Ciel s’abat sur la tête des citoyens de ces pays-là, les élections ont lieu à bonne date. Le Sénégal constitue l’exception qui confirme la règle, hélas ! Ce qui est désolant dans ce pays où, encore une fois, il n’y a ni conflit armé ni crise sanitaire majeure mais où les politiciens font tout pour refuser de remettre leurs mandats en jeu. Et permettre au peuple qui leur a remis ces mandats soit de les confirmer en les réélisant soit de les révoquer.

Car enfin, dans la démocratie, un système à propos duquel l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill a dit qu’il est mauvais « mais elle est le moins mauvais » de tous, les citoyens choisissent leurs dirigeants par le biais des élections. Ne pouvant pas tous être aux affaires, c’est-à-dire gérer la cité ou légiférer — dans certains pays comme aux Etats-Unis juger —, ils choisissent donc parmi eux des gens dignes de confiance pour les envoyer dans l’Exécutif, le Législatif et, dans certains cas on l’a vu, le Judiciaire. Autrement dit, ils se font représenter. D’où la notion de démocratie représentative comme conçue par ses initiateurs.

Bien évidemment, un tel système, pour bien fonctionner, suppose que les élus remettent à intervalles réguliers leurs mandats au peuple qui les sanctionne positivement ou négativement.

Schématiquement, c’est comme cela que les choses doivent fonctionner. Mais apparemment, au Sénégal, les citoyens n’ont plus d’emprise sur leurs élus ! Lesquels, au contraire, prétendent leur dicter leur loi et leur agenda. Prenant prétexte du fait que la dernière présidentielle n’avait pas été transparente, en tout cas que le processus électoral était vicié et que le fichier n’était pas fiable, nos politiciens refusent d’organiser les élections municipales tant que ce processus ne serait pas évalué et que le fichier ne ferait pas l’objet d’un audit !

L’ennui, c’est que cela fera bientôt deux ans que ces messieurs et dames discutent sur le sexe des anges électoraux sans qu’une perspective claire se dégage. Ce que c’est donc compliqué d’organiser des élections dans ce pays ! Car enfin, bien avant le fameux Dialogue national qui s’est terminé en queue de poisson, une « commission politique » dirigée par un général discutait déjà depuis des mois sur l’évaluation du processus électoral ainsi que sur le fichier. Une commission qui a poursuivi ses travaux durant le Dialogue…

De report en report, glissons vers… 2024 !
Jusque-là, en tout cas, le résultat le plus tangible des discussions picrocholines de nos politiciens — mais aussi de la frange politisée de la Société civile —, c’est que les locales, qui devaient se tenir en juin 2019, ont été repoussées au mois de mars 2021 « au plus tard » mais ne semblent malheureusement pas pouvoir être organisées à cette nouvelle date ! Car, aussi bien l’évaluation que l’audit n’ont pas été effectués et nul n’est vraisemblablement pressé de voir ces conditions remplies.

A propos de l’audit, d’ailleurs, on tend la main à l’Us Aid pour le financer. Et pourquoi pas l’Etat quand on sait que le Sénégal fait quand même partie des « cinq à six pays du monde à ne pas enregistrer de récession en 2020 » comme le soutient fièrement notre ministre des Finances et du Budget ! Censées donc se tenir en mars « au plus tard », vraisemblablement repoussées au mois de novembre « au plus tôt » — c’est nous qui le disons ! —, les élections locales risquent de se chevaucher avec les législatives prévues en 2022.

On voit d’ici le scénario si elles avaient lieu effectivement en novembre. Des partis politiques — sans doute instrumentalisés par le pouvoir — viendraient exiger que l’on évalue encore le nouveau processus, que l’on audite le fichier et l’on repartirait pour un autre tour.

Concertations, Dialogue, report des législatives et, par voie de conséquence, de la présidentielle de 2024. Ne riez pas puisque, en République démocratique du Congo (RDC), c’est exactement ainsi que les choses s’étaient passées permettant à l’alors président Joseph Kabila de gagner un an supplémentaire à la tête de ce pays. C’est ce qu’on avait appelé à l’époque le « glissement ».

Un glissement fort possible au Sénégal au train où vont les choses. En tout cas, les politiciens de ce pays mènent les citoyens — les pauvres cons que nous sommes — en bateau. Et plutôt que de rendre des comptes à ce brave peuple, on a plutôt l’impression que c’est ce dernier qui leur est redevable !

Les Sénégalais sont donc priés d’attendre sagement que leurs politiciens au sens large — c’est-à-dire y compris les militants d’organisations de la Société civile qui vivent du business des élections — aient fini de discuter de choses sérieuses avant de consentir enfin à fixer la date à laquelle ils souhaitent lui remettre leurs mandats.

Tout cela est d’autant plus navrant — exaspérant devrait-on dire — que le Sénégal peut tout de même se prévaloir d’avoir réussi deux alternances au sommet de l’Etat qualifiées d’exemplaires en Afrique. Et au cours desquelles on a vu des présidents sortants battus qui ont appelé leurs adversaires pour les féliciter.

Mais bon Dieu, les textes, le fichier et le processus qui ont permis de réaliser des alternances peuvent quand même servir à organiser des élections locales, non ? Qui peut le plus peut le moins même si, c’est vrai, ces alternances, c’était pendant le printemps démocratique sénégalais…

Si l’on n’a bien compris, il convient de ne surtout pas badiner sur les durées de validité des cartes nationales d’identité, des permis de conduire, des attestations d’assurance. Gare au citoyen ou/ et au conducteur qui se promènerait avec une de ces pièces dont l’échéance aurait expiré.

On voit d’ici nos policiers et nos gendarmes se frotter les mains de la bonne affaire qu’ils vont faire en verbalisant — ou rançonnant, c’est selon — le brave citoyen contrevenant en question.

En revanche, les mandats de nos élus peuvent avoir expiré depuis des lustres, ces braves gens continueront toujours de nous représenter en toute légitimité ! Mais ne parlons pas de sujets qui fâchent et demandons plutôt à nos politiciens quand est-ce qu’ils cesseront enfin de se foutre de notre gueule ?

Mamadou Oumar Ndiaye

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

Articles Similaires

1 sur 178

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *