Diaspora

Partir, mourir un peu et survivre: à Perpignan, le « rêve français » brisé de migrants

Quand depuis l’Espagne ils aperçoivent enfin Cerbère, paisible petit village fouetté par les vents marins, le « rêve français » semble si proche. Mais pour beaucoup de ces hommes et femmes venus d’Afrique au péril de leur vie, le désenchantement opère rapidement.

A pied ou en train, parfois cachés dans des camions, le passage le plus emprunté par les migrants à la frontière franco-espagnole a longtemps été du côté du Pays Basque.

Mais depuis 2020, ils sont toujours plus nombreux à tenter la traversée plus à l’est, par les Pyrénées-Orientales, selon la Police aux frontières (PAF). Sollicitée à plusieurs reprises, la préfecture n’a donné aucun chiffre.

La mine grise et le regard las, Nasser*, un trentenaire algérien arrivé en France il y a quatre mois, accepte de raconter son histoire à l’AFP depuis un squat de fortune où il survit à Perpignan.

Avec le départ au printemps 2019 de Bouteflika, président de l’Algérie durant 20 ans, « on a cru que nos vies s’amélioreraient », confie-t-il. Un espoir vite douché.

Pour cet ancien maçon ayant participé aux marches hebdomadaires du mouvement antirégime Hirak, la route de l’exil est ainsi devenue une évidence: « Pour offrir un avenir meilleur à ma fille », restée en Algérie.

« J’ai déboursé l’équivalent de 3.000 euros pour faire la traversée en zodiac jusqu’à Almeria en Espagne. On a failli y passer plusieurs fois. Depuis, j’ai l’impression d’être un peu mort », détaille-t-il péniblement, les yeux rivés sur une barquette de couscous froid.

« Je ne suis pas venu en France mendier. Je rêvais uniquement de pouvoir travailler honnêtement. Mais il n’y a rien pour nous ici, rien », constate amèrement Nasser.

Dans la cité catalane, le trentenaire erre de squat en squat, après avoir dormi à la rue. A la nuit tombée, il rejoint une dizaine d’autres « harragas » (migrants clandestins, ndlr) près d’un terrain vague à la sortie de Perpignan, où ils partagent cigarettes, bons plans et souvent des silences lourds.

« Nouvelle route »
Comme lui, ils sont 40.106 migrants, d’Afrique du Nord et subsaharienne principalement, à avoir atteint par la mer les côtes espagnoles en 2020, contre 26.168 l’année précédente, soit un bond de plus de 53%, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM).

Dans son village frontalier de 1.300 âmes, le maire de Cerbère Christian Grau a lui aussi ressenti en 2020 une « importante augmentation du flux migratoire ».

« Des groupes de 20, 30, parfois jusqu’à 50 migrants arrivaient jour et nuit » au village, dit-il à l’AFP.

Un an plus tard, et avec le renfort de policiers et gendarmes aux points de passages promis en novembre par le président Emmanuel Macron, la traversée se fait désormais plutôt en solo.

T-shirt rouge et sac noir en bandoulière comme seul bagage, un homme d’une vingtaine d’années a réussi à éviter les contrôles et presse le pas sur une route fendant les collines de Cerbère.

Il demande un peu d’eau à un touriste en camping-car, puis le chemin de la gare, constate un photographe de l’AFP lors d’une journée ensoleillée de mai.

L’extrémité sud de la côte Vermeille « est une nouvelle route pour les migrants, c’est sûr », affirme M. Grau.

Et à Perpignan, plus grande ville de France dirigée par le parti d’extrême droite Rassemblement national (RN), le maire Louis Aliot évoque « plusieurs dizaines d’étrangers clandestins qui pénètrent chaque jour sur notre sol » depuis l’Espagne, dans une lettre adressée en novembre à M. Macron.

Les associations aidant les migrants disent, elles, se sentir « dépassées » depuis un an.

« On n’arrive plus à aider tout le monde. Avant on distribuait 40 repas par jour, aujourd’hui on en est à plus de 200 », témoigne Fatouma M. H., vice-présidente de l’association Au cœur de l’humanité 66.

Infatigable, la jeune femme transporte tous les soirs sur son tricycle des dizaines de repas aux personnes sans-abris de Perpignan, « harragas fraîchement débarqués ou SDF avec des problèmes d’addiction ».

« Certaine candeur »
A la Cimade, association défendant le droit des réfugiés et migrants, Jacques Ollion explique « l’importante hausse du nombre d’arrivées » ces derniers mois, notamment d’Algérie, par « l’inaction du gouvernement (local) qui a douché les espoirs d’une jeunesse désespérée ».

Depuis quelques mois, grèves, augmentation du chômage et paupérisation s’ajoutent dans ce pays d’Afrique du nord à une profonde crise économique née de la chute de la rente pétrolière et aggravée par la pandémie de coronavirus. Le salaire minimum stagne à un peu plus de 125 euros.

Le responsable local de la Cimade pointe néanmoins une « certaine candeur » des nouveaux arrivants, « sans véritable projet construit ».

Yassine*, un menuisier algérien de 28 ans, à Perpignan depuis neuf mois, se sent « pris au piège ».

« On nous traite de voleurs, alors que la seule chose dont on rêve est d’avoir un emploi. Chez moi, j’étais au chômage et on m’avait dit qu’il y aurait du travail ici. Où ? Quel travail ? Je ne trouve rien », murmure le jeune homme.

Yassine comme « bien d’autres harragas » à la rue réfléchit sérieusement à un moyen de faire le voyage en sens inverse.

« Ils se rendent compte qu’ils sont condamnés à une vie de clandestinité. Ce constat d’échec est un moment très difficile, vis-à-vis d’eux-mêmes, de leur famille, mais aussi des autorités puisqu’un migrant illégal qui revient en Algérie peut être condamné à une peine d’emprisonnement », souligne M. Ollion.

Pour retourner « au bled », il leur semble donc inenvisageable d’emprunter les routes « légales », même si Alger vient d’annoncer l’ouverture partielle de ses frontières en juin, fermées depuis plus d’un an à cause de la crise sanitaire.

Il leur faudra donc, une nouvelle fois, recourir à des passeurs, et une nouvelle fois, risquer leur vie.

* Les prénoms ont été changés

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