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Ousmane Sonko entre en jeu

Ousmane Sonko entre en jeu

Il a du talent Ousmane Sonko. Opposant, sans doute farouche, il caresse le secret rêve d’être le principal adversaire du pouvoir. Loup blanc ou loup solitaire, il arpente avec doigté des chemins sinueux pour rompre son isolement et apparaître comme l’empêcheur de « gouverner en rond ».

Son dernier coup, celui de lever des fonds via des plateformes digitales, ressemble, à s’y méprendre, à une fiction politique consistant à secouer le régime par un stratagème puis à l’observer réagir (maladroitement) tout en préparant le coup d’après… Autant dire que la tentation de Venise n’habite pas le patron du Pastef dont les épisodes de vie sont constellés d’émotions vives.

Cependant, il a mal vécu deux faits politiques majeurs : le rapprochement réussi Macky Sall-Idriss Seck et la soirée du 31 décembre avec un Président de la République rayonnant sur l’essentiel de la presse et présent sur la totalité des réseaux sociaux significatifs.

Un moment, il avait songé à occuper un créneau avec des médias ciblés. Mais l’opération n’a pas réussi. Puisqu’une menace de coupure de signal brandie par l’Etat a été dissuasive pour certains titres qui ont illico presto rallié le plateau de presse du Palais. Fallait-il dès lors « jeter la cravache », comme on dit dans le monde turfiste ? C’est mal connaître le trouble-fête qu’est Sonko justement.

Au lendemain de la grand-messe présidentielle, contre toute attente, il balançait par communiqué son « OPA » financière avec des intentions de souscription estimées à plus de cent millions de francs. La soudaine voire hâtive réaction du ministre de l’intérieur, Félix Antoine Diome, amplifie l’écho et déplace involontairement le curseur.

L’empressement du ministre à flétrir l’action menée par Ousmane Sonko pousse ce dernier à raidir son discours et à tirer avantage de la polémique naissante. En allumant un contre-feu, Sonko se recentre, aidé il est vrai par l’un des hommes les plus informés de la place, le Ministre de l’Intérieur en l’occurrence, qui écourte ainsi la période de grâce du Président Macky Sall après ses vœux à la nation et sa prestation télévisée en wolof au… coin d’un feu.

Cette imprudente maladresse projette l’image d’une joie mauvaise dans les allées du pouvoir. Du coup, Sonko évite le bannissement et se retrouve en début de semaine à la une des journaux. Doté d’un flair qui n’a d’égal que son habileté, il ressort avec évidence que l’inaction l’insupporte.

Sa récente initiative, calculée ou feinte, a le mérite de relancer le débat sur le financement public des partis politiques en lui donnant un statut juridique.

De fait, ledit financement devient un sujet de droit. Sonko renoue alors avec son rôle d’acteur de premier plan. Il se pose également en rival politique et s’organise pour étoffer sa posture en révision de la prochaine élection présidentielle de 2024. La route est longue et semée d’embûches… Il le sait.

Voilà bien un serpent de mer : le financement public des partis politiques. Les lois 81 et 89 ajoutées au Code consensuel de 92 s’apprécient comme des tentatives graduelles de donner un corpus à une disposition qui n’existe pas encore. A la faveur du coup de pied dans la fourmilière l’opinion découvre l’obsolescence de notre arsenal juridique.

Si l’on s’en tient à une règle non écrite soulignant que tout ce que la loi n’interdit pas elle le permet, Sonko n’a pas violé de loi, du moins dans l’esprit. Néanmoins, il est incapable de savoir si seuls les Sénégalais de la diaspora, électeurs et éligibles, ont souscrit à son initiative de levée de fonds. En tout état de cause il est tenu d’authentifier la provenance des fonds alloués à son parti, le Pastef.

Tout comme l’Etat et ses services dédiés peuvent mener des investigations pour déterminer l’origine licite des fonds engrangés. Les principes généraux, s’ils ne visent pas un parti précis, s’appliquent à toutes les formations de l’échiquier. Bien évidemment, l’acharnement n’est pas de mise simplement parce que l’éventuelle loi serait de portée générale. Le dialogue national, dont la vocation est d’assainir la vie politique, n’a pas hésité à appeler de ses vœux une transparence et une traçabilité des fonds publics destinés aux partis régulièrement constitués et dotés d’instances statutaires.

Visiblement, entre Sonko et le pouvoir, l’incompréhension est grande. Elle déclenche même chez l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 2019 un sourire sarcastique. Ne dit-on pas que le rire est un indicateur de bonne santé ? Son abattage fort et dynamique, lui a donné des ailes avec un estomac d’autruche pour minauder.

Mais attention : face au pouvoir et à ses incarnations les plus élevées, Sonko doit faire preuve d’humilité et retrouver de la hauteur et de la distance dans sa critique acerbe de la fonction présidentielle, éminente au demeurant pour les responsabilités qui vont avec.

Son habileté transparaît dans le rejet du système et, suprême paradoxe, dans le maniement des symboles. Il demeure constant que celui qui représente l’autorité est à la fois détestable et contestable. Son silence subi (ou voulu ?) et son omniprésence organisée ouvrent à Sonko une fenêtre de tirs ajustés sur les actes du pouvoir.

D’aucuns lui prédisaient un avenir en dents de scie avec le retour en grâce et aux affaires de l’ancien Premier ministre devenu Président du CESE. Non seulement, Idrissa Seck apporte de l’épaisseur politique au camp du Chef de l’Etat, mais sa propre représentativité crée le grand écart avec Sonko obligé, pour sa survie politique, de se réinventer sans s’isoler dans le droit fil de son approche antisystème qui peine néanmoins à afficher une réelle cohérence. Comment parvenir à détruire, au nom de l’égalité, toute une architecture institutionnelle dont lui Sonko a bénéficié (école, université, emploi) ?

Il prône une politique de rupture. Par quels moyens ? Avec quel soubassement doctrinaire ? A-t-il conscience des pesanteurs de ce pays pour envisager une révolution copernicienne ? Le nouvel air du temps s’adapte-t-il à son offre politique ? Quels sont les ressorts de son projet dans une perspective d’emballement du pays ? A-t-il la carapace épaisse pour résister aux assauts répétitifs du camp d’en face qui ne lui fera pas de cadeau ? A-t-il le souffle long pour incarner tous les rôles qu’il s’attribue inlassablement ?

Entouré de jeunes pressés et avides de reconnaissance, le leader Sonko connaît assez bien les imites de l’engagement collectif (en crise) notamment dans la société sénégalaise travaillée par l’urgence et la rareté. Ces réalités tangibles ne s’accommodent pas de vision hors sol. Pas davantage une vision comptable ou technocratique qui ne peut s’ancrer durablement.

Mamadou NDIAYE

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