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On ira tous au Paradis – Par Mamadou Oumar Ndiaye

Après le drame survenu dans la nuit de samedi à dimanche aux environs de Kaffrine et qui a endeuillé toute la Nation avec ses désormais 40 morts — ce qui en fait l’accident de la route le plus meurtrier de l’histoire du Sénégal —, la réaction du président de la République a été admirable, assurément. Un président de la République pour une rare fois empathique et dont la réactivité a séduit nos compatriotes.

En effet, non seulement Macky Sall s’est rendu toutes affaires cessantes sur les lieux du drame — alors qu’il aurait pu se contenter d’envoyer son ministre des Transports voire son Premier ministre— mais aussi à l’hôpital de Kaffrine où ils’est penché au chevet des blessés après avoir visité la morgue et réconforté les familles des victimes.

Comme si cela ne suffisait pas, en bon général, il a coordonné les opérations de secours et d’assistance tout en instruisant le Premier ministre de convoquer un conseil interministériel dès le lendemain consacré aux transports ainsi qu’à la sécurité routiers. En même temps, il a décrété un deuil national de trois jours. Un conseil interministériel qui a accouché de 22 nouvelles mesures censées juguler ces accidents qui déciment nos compatriotes sur les routes.

Enfin, pas tout à fait puisque certaines d’entre elles figuraient déjà parmi les 10 commandements adoptés en février 2017 au lendemain d’un accident de la route qui avait fait 16 morts. Des « commandements » dont la plupart n’avaient pas dépassé le stade des effets d’annonce.

Mais enfin, le président de la République a eu le mérite de vouloir prendre le taureau par les cornes et de s’attaquer à un fléau qui fait quelque 700 morts par année, des milliers d’infirmes et des dégâts matériels se chiffrant à 160 milliards de francs soit l’équivalent du PIB national ! Ces 22 mesures étant prises au début de la nouvelle année, en pleine période de nouvelles résolutions, donc, que les chauffards et autres contrevenants au Code de la route se le tiennent pour dit, ils ne perdent rien pour attendre.

Comme le disait le président russe à propos des rebelles tchétchènes qui multipliaient les attentats jusqu’en Russie, le gouvernement du président Macky Sall est déterminé à poursuivre ces semeurs de morts sur nos routes « jusque dans les chiottes » et à leur faire rendre gorge. Tremblez chauffards, tremblez conducteurs sous l’emprise de l’alcool ou du chanvre indien, gare à vous modificateurs des structures des bus, ajouteurs de bancs « versailles » et de porte-bagages sur les toits de véhicules de transport en commun !

La sanction du gouvernement sera tout simplement implacable. Surtout que, pour montrer qu’il ne blague pas, un officier supérieur va être nommé à la tête d’une structure chargée de superviser l’application des mesures prises lundi dernier. 22, v’là les flics !

Tout en saluant encore une fois la volonté louable du président de la République, guidé par un souci sincère d’épargner les vies de ses compatriotes, de s’attaquer au fléau des accidents de la route, qu’il nous permette cependant de prédire que les nouvelles mesures, pas plus que les précédents 10 commandements de février 2017, ne règleront rien pour la bonne et simple raison qu’elles ne seront pas appliquées.

Ou alors, et même si par extraordinaire elles l’étaient, cela ne se ferait pas dans la durée. D’abord parce qu’on est en pleine année pré-électorale, une période toujours propice à toutes les surenchères, à tous les chantages et à toutes les revendications.

Ce que les syndicats des transporteurs et des conducteurs n’ignorent pas !

Conscients de leur poids électoral, ils n’hésiteront pas à en user pour imposer leurs exigences à un président de la République prêt à tout pour obtenir un troisième mandat. Surtout que ces mesures sont prises au lendemain d’une augmentation des prix de l’essence super et du gas-oil qui mettait déjà chauffeurs et transporteurs vent debout malgré la sucette de 25 milliards de francs destinée à les amadouer en rendant la pilule moins amère.

Ensuite, tout le monde sait que les Sénégalais, passé le moment d’émotion, retournent bien vite à leurs bonnes — plutôt mauvaises ! — vieilles habitudes. Si malgré le drame du « Joola », qui fut la plus grande catastrophe maritime de l’Histoire, ils n’ont pas changé de comportements, ce n’est certainement pas le drame de Sikilo avec ses 39 ou 40 morts qui réussira le miracle de les transformer.

Il ne faut pas rêver ! Pendant quelques semaines, voire quelques mois, on fera de la gesticulation et ça s’arrêtera là. Encore une fois, ce n’est pas ici la volonté ou la sincérité du président de la République qui est en cause. Non, c’est plutôt nos comportements qu’il faut interroger !

Au pays où le faux est Roi !
C’est que le mal est tellement profond, la société sénégalaise tellement pourrie et corrompue, les fondations à ce point vermoulues que, franchement, j’ai beau réfléchir, je ne vois tout simplement aucun président de la République, aucun homme fort, aucun démiurge, aucun régime pour changer les choses. Sauf à tout raser et reconstruire ! Ou alors à bénéficier d’un Yaya Jammeh… Le faux s’est tellement incrusté dans notre pays et à tous les niveaux qu’il est impossible, je dis bien impossible, de l’en extirper. Autant essayer d’arrêter la mer avec ses bras.

Ce que je dis là, évidemment, s’applique à tous les présidents de la République, aussi bien ceux qui ont dirigé ce pays qu’à ceux présideront à ses destinées dans le futur. S’imaginer qu’avec quelques mesures on va remettre les Sénégalais sur la voie de la discipline, de l’effort, du respect des lois, règlements, codes et autres normes c’est se gourer profondément et se bercer d’illusions.

Voyez-vous, nous avons le sentiment d’être sortis de la cuisse de Jupiter, d’être les enfants préférés de Dieu, le peuple le plus intelligent de la terre, un peuple à ne surtout pas comparer aux gnaks africains et auquel il ne pourra arriver rien de fâcheux vu les bénédictions des saints qui reposent sous son sol.

Et qui, donc, peut se permettre de bricoler les pièces détachées des véhicules à l’opposé des indications des constructeurs, de prolonger ad vitam aeternam leur âge par des subterfuges, à recycler à l’infini c’est-à-dire jusqu’à plus lisse qu’un œuf les pneus, de rouler dans des voitures sans freins et souvent sans phares ou feux de signalisation, de surcharger en passagers et en bagages au mépris de tout équilibre les cars de transport en commun, de traiter par-dessus la jambe les dispositions du code de la route etc.

Bien évidemment, l’écrasante majorité de ceux qui s’adonnent à ces pratiques désinvoltes ont acheté leurs permis de conduire, disposent de fausses cartes grises, lorsqu’ils en ont, ont acheté leur attestation de visite technique, roulent sans assurance si ce n’est celle du Seigneur : « Yalla bakhna ! »

« Yalla Bakhna » !
Regardez donc les cars de transport en commun — surtout interurbains — dans lesquels nos compatriotes sont entassés, même pas dignes de contenir des animaux à plus forte raison des êtres humains ! Des cars datant de Mathusalem, retirés de la circulation en Europe depuis belle lurette, stockés dans des cimetières pour véhicules et récupérés par des margoulins qui viennent les recycler chez nous avec la bénédiction des autorités pour convoyer le bétail humain que nous sommes.

Un tour dans nos gares routières — ou ce qui en tient lieu — permet de se faire une idée de ces cercueils roulants qui constituent l’essentiel du parc national de véhicules de transport public de voyageurs (Tpv). Mais surtout, alors que dans tout pays normal il y a des gares routières dédiées, le Sénégal se devait naturellement d’être l’exception qui confirme cette excellente règle !

Chez nous, bien que disposant avec les Baux maraîchers de la gare routière la plus moderne d’Afrique de l’Ouest francophone — et qui est devenue aujourd’hui une poubelle, hélas !, faute d’entretien —, certains gros malins, des féodalités pour la plupart, estiment que leur gare routière à eux, ce doit être leurs domiciles devant lesquels stationnent leurs bus « horaires » antédiluviens avec tout le bazar qui va avec.

Pour chaque destination de l’intérieur du pays, pratiquement, son « garage » de quartier ou de domicile où les passagers embarquent ou débarquent dans un désordre indescriptible. Bien sûr, aucun sous-préfet, aucun préfet ou aucun gouverneur n’ose sévir contre ce bordel qui a envahi nos cités ! Car ces cars appartiennent la plupart du temps à des marabouts, à des politiciens ou à des fonctionnaires haut placés.

Avec l’achèvement des travaux des Baux maraîchers, le Gouvernement avait dit qu’on allait voir ce qu’on allait voir et que toutes les « gares routières » privées seraient sommées de rejoindre la nouvelle infrastructure. On attend toujours…

Plus fondamentalement, la raison pour laquelle les Sénégalais ne changeront jamais de comportement, c’est que les remparts chargés de faire appliquer la loi se sont affaissés ! On dit que la peur du gendarme est le commencement de la sagesse. Sauf que, dans notre beau pays, nul n’a plus peur ni du gendarme, ni du policier, ni du magistrat, ni de rien du tout.

Pourquoi donc avoir peur quand, sur les routes, avec 2.000 francs, que dis-je, 500 francs on peut régler son problème aussi compliqué soit-il ? Dans ces conditions, à quoi bon se fatiguer d’être en règle, c’est-à-dire de disposer des papiers requis pour conduire ou d’avoir un véhicule en bon état pour transporter des passagers. Il suffit de se munir de quelques billets de banque et le tour est joué !

C’est à ce point institutionnalisé aujourd’hui qu’au niveau de tous les « garages », de toutes les grandes artères, de tous les arrondissements, les transporteurs souscrivent journellement au « Samp », une « assurance » anti-contraventions qui leur assure la paix pendant 24heures.

N’en disons pas plus… Ceci rien que pour donner une petite idée des excellentes pratiques qui prévalent dans le secteur des transports en commun. Pratiques qui constituent sans doute des péchés véniels par rapport à ce qui se fait ailleurs

Encore une fois, aussi méritoires que soient les efforts du président de la République, ils ne serviront à rien car nous ne voulons pas changer de comportements. La meilleure chose est donc de nous laisser tels que nous sommes.

A chaque drame, on va être saisis par l’émotion, on va pleurer comme des madeleines, se rouler par terre, descendre (traduction littérale de faire des récitals) plusieurs fois le Coran, enterrer nos morts, promettre qu’on va changer nos façons de faire, respecter les lois, les règlements, les codes, faire preuve d’exemplarité…avant d’oublier toutes nos bonnes résolutions quelques semaines plus tard.

Jusqu’au prochain drame. A quoi bon changer, du reste, puisque, plus grands musulmans et meilleurs dévots du monde, nous avons reçu l’assurance de Dieu lui-même que, quoi qu’il arrive, on ira tous au Paradis !

*Titre d’une chanson de Michel Polnareff sortie en 1972.

Ndlr : Les libérations annoncées ce mardi de Pape Alé Niang mais aussi du Pr Cheikh Oumar Diagne et du rappeur Abdou Karim Guèye « Xrum Xaxx » s’inscrivent assurément dans ce vent de décrispation que tous nos compatriotes, et les amis de notre pays, souhaitent voir souffler sur notre cher Sénégal. C’est un excellent pas dans la bonne direction !

Mamadou Oumar Ndiaye

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