«A partir du moment où les gens sont chez nous, il faut les accueillir avec dignité»: Olivier Legrain met sa fortune au service des migrants.
Quel est le point commun entre les tentes d’un campement d’exilés à Paris et l’achat d’une maison à la frontière italienne ? Leur mécène, le Français Olivier Legrain, millionnaire et ancien patron d’industrie, qui a mis sa fortune au service de la «dignité» des migrants.
On retrouve le portefeuille de cet ancien PDG de Materis, branche chimique du groupe français Lafarge, derrière nombre d’actions récentes en faveur des exilés. Des plus spectaculaires, comme l’implantation médiatisée d’un camp sur la place de la République, à Paris, en novembre, aux plus discrètes, comme l’installation de toilettes dans un foyer de sans-papiers maliens en banlieue parisienne.
Il y a deux ans, ce retraité de 68 ans au tutoiement facile, ex-numéro 2 de Rhône-Poulenc et spécialiste des rachats d’entreprises, a créé le fonds de dotation Riace France, nommé en hommage au village italien de Calabre, devenu symbole de l’hospitalité envers les migrants. Il y a injecté 3 millions d’euros.
«Je suis d’accord qu’on ne peut pas recevoir tout le monde, je ne suis pas pour l’ouverture des frontières. Mais à partir du moment où les gens sont chez nous, il faut les accueillir avec dignité, pas comme des bêtes. Les gens sous le périphérique, c’est scandaleux», résume-t-il dans sa maison cossue de Neuilly-sur-Seine, commune chic qui jouxte Paris, où il reçoit l’AFP.
Un patron devenu psychothérapeute depuis 2015 et, plus récemment, apôtre de «l’accueil inconditionnel»? L’homme aux cheveux blancs et au regard bienveillant, qui se décrit comme un «fils de bourgeois» parisien, n’en est pas à son premier virage à 180 degrés.
«Retour aux sources»
Pendant ses années étudiantes, au lendemain de mai 68, Olivier Legrain est encarté au parti communiste, de 1969 à 1978. «C’est une de mes contradictions fondamentales», reconnaît-il entre deux patients.
Aujourd’hui, ce macroniste déçu, «touché par les injustices», assume un «retour aux sources» à gauche, avec ce nouvel engagement «très politique». Il se dit prêt à encaisser les «attaques très violentes» qui commencent à émerger de la part de «ceux qui ne veulent pas des migrants». Même s’il s’agace du surnom de «millionnaire rouge» dont l’affublent ceux qui considèrent que sa générosité favorise un «appel d’air» pour une immigration incontrôlée.
Son fonds est ouvert aux «actions coup de poing», mais son ambition principale est en train de se concrétiser à Briançon, à la frontière franco-italienne, avec une «maison de l’hospitalité», qui doit prendre le relais cet été de l’emblématique Refuge solidaire, qui permet aux exilés de souffler après la périlleuse traversée des Alpes. «Le rêve, c’est qu’il y ait 10, 20 maisons de l’hospitalité sur tout le territoire», s’enthousiasme Olivier Legrain, qui se voit en «catalyseur» de solidarité.
Mais pour l’heure, les soutiens se font attendre. Depuis que ses ambitions se sont ébruitées, les rentrées d’argent sont vingt fois plus faibles que les dépenses, reconnaît-il. «On croule sous les demandes, on a même les Jésuites sur le dos», s’amuse le mécène. Son réseau lui a toutefois permis de rallier quelques proches à sa cause.
«Amené à disparaître»
«C’est une action sociale, politique, humanitaire. C’est vachement bien. Il a raison, c’est un sujet sur lequel il faut faire quelque chose et il y a un vrai besoin, la situation est tragique», juge son ami Henri Seydoux, patron de l’entreprise technologique Parrot. L’eurodéputé écologiste Damien Carême, ancien maire de Grande-Synthe près de Calais, dans le nord de la France, s’est lui aussi laissé séduire par Olivier Legrain, qu’il aide désormais à sélectionner les projets à financer.
«L’aider, c’est aussi une manière d’aider les bénévoles de l’autre côté, qui galèrent parce qu’il leur manque 3 euros pour essayer de faire un truc bien. Des personnes fortunées qui mettent leur argent pour cette cause, c’est complémentaire de l’action de dizaines de milliers de bénévoles et associations qui œuvrent au quotidien», estime l’élu écologiste. Reste qu’au rythme actuel, les fonds s’épuiseront dans «trois, quatre ans», reprend le mécène. Ensuite? «A moins que d’autres ne mettent de l’argent, Riace est amené à disparaître.»
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