Les « damnés de la terre » ne seraient-ils en fin de compte que les « condamnés du ciel » ? Au rythme où s’estompent terriblement en Afrique nos élans vers le progrès et la prospérité, la paix et la sécurité, la stabilité et l’espoir du fait de la mal-présidence, tout semble devoir nous inciter à la tentation d’adhérer à un tel fatalisme.
Une triste et révoltante observation assidue de la politique en Afrique ne devrait pourtant pas nous conduire à cautionner cet imaginaire d’une fatalité destinale macabre et irréversible. Cette présomption fataliste est à déconstruire ; tout autant que les gouvernements néocoloniaux transformés, en fonction des objectifs occidentaux ou orientaux d’exploitation de l’Afrique, en « mercenaires » et artisans maudits de leur propre misère, déstabilisation et destruction politique.
Laissez Dieu tranquille ! Il n’y est pour rien dans cet entêtement conflictuel, contreproductif et suicidaire qui voit aujourd’hui le pire prendre une dimension régionale voire continentale du fait d’une mauvaise lecture de la géopolitique mondiale.
Ni le ciel ni la terre ne sont en cause dans cette « cartographie du tragique », mais bien les hommes qui se prennent pour des institutions, sans être à la hauteur de celles-ci qu’ils sont censés incarner, conformément aux principes républicains et idéaux démocratiques constitutionnellement établis. C’est une évidence : de mauvais chefs, c’est tout ce qu’il faut pour rendre un continent malheureux.
De mauvais citoyens aussi, après tout ; car leur tolérance, leur indifférence et leur allégeance face au nuisible balisent la voie à ce qui semble ressembler à une « misère à perpétuité ». Heureusement que certains civils ou militaires continuent à revendiquer et manifester leur droit et leur devoir de résistance.
L’Afrique n’est ni damnée ni condamnée à subir une fatalité irrévocable et irréversible l’enfermant dans un destin ou une spirale du pire multirécidiviste à perpétuité. Les hommes, les femmes et les jeunes qui la peuplent sont fatigués d’être fatigués.
Le risque d’embraser le continent, de sacrifier sa jeunesse, d’hypothéquer une fois de plus son avenir est immense. Mais on a l’impression que certains de ces « squatters obstinés du pouvoir » cherchent à placer leur pays dans une situation de guerre, ce qui leur permettrait d’invoquer une « situation d’exception » non propice à la tenue de toute élection présidentielle.
Vouloir faire du Niger « l’agneau du sacrifice » n’est ni politiquement raisonnable ni tactiquement intelligent. Ce n’est pas en cherchant à déstabiliser le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée qu’on obtiendra la paix, la sécurité, le progrès et la prospérité en Afrique de l’Ouest.
Aucun îlot de paix, de sécurité et de stabilité ne pourrait voir le jour dans cet océan de désordre qui inondera l’Ouest du continent d’abord, avant de s’étendre partout ailleurs. Le réalisme conduit souvent à la realpolitik et donc vers le pire qui cautionne l’idée chère à Vattel qui disait : « Un canon bien chargé est beaucoup plus efficace qu’un document de droit ». Il a tort. La diplomatie est bien souvent l’oxygène qui permet de donner un nouveau souffle à la négociation et à la construction de la paix.
Les Européens comme les Américains, parfaitement conscients de l’impact que pourrait avoir pour la paix et la sécurité mondiales une attaque contre la Russie, en dépit de ce qu’ils qualifient comme une « violation du droit international » de sa part, à partir d’une « agression contre un État souverain », ont fait preuve, malgré tout, d’une retenue salvatrice pour toute l’humanité au regard du nucléaire en jeu.
A l’inverse, en Afrique, certains chefs d’État, prenant non seulement le contrepied de la grande majorité de leur opinion publique nationale hostile à toute manipulation de l’Occident, mais surtout défiant toute raison géopolitique et toute rationalité géostratégique, entendent mener une guerre contre le Niger et par conséquent ses alliés africains soutenus, par ailleurs, par une Russie qui envisage ni plus ni moins de « briser l’occident via l’Afrique ».
Ces « mercenaires serviles » du chaos contre eux-mêmes ne semblent pas avoir beaucoup réfléchi sur la « géopolitique des vulnérabilités ». La géopolitique ce n’est pas une affaire de virilité militaire ou de caprice présidentiel, mais bien une question de stratégie subtile portée par une finesse d’esprit savamment élaborée par une expertise avérée qui permet de voir juste et loin.
Libres de tout esclavagisme involontaire et de toute soumission coloniale imposée, les boulevards de l’émancipation sont en réalité ouverts à nos pays qui semblent refuser de les emprunter, non pas du fait des peuples résolus de ne plus servir et d’être asservis contre leur volonté, mais exclusivement du fait de la plupart de ses dirigeants qui, par la mal-présidence dans laquelle ils excellent, maintiennent notre continent si riche en potentialités dans la précarité, la misère, l’insécurité et la vulnérabilité.
Mesurent-ils ce qu’ils envisagent de faire au Niger, oubliant ce qu’ils devraient commencer à entreprendre dans leurs pays respectifs dans les domaines politiques, démocratiques, juridiques, économiques, culturels, médiatiques, écologiques, humains… ces immenses chantiers post-matérialistes qui devraient les préoccuper plus que tout, au regard des profondes blessures du continent dont ils sont souvent les indignes maîtres d’œuvre ?
Le temps de l’Afrique sans cesse annoncée semble être coincé dans un contretemps macabre conduisant certains de ces chefs d’État à s’inscrire dans ce que j’avais appelé la « diplomatie du ventre » publié dans un autre article intitulé « la diplomatie de l’indignation n’effacera pas la politique de l’humiliation » (janvier 2018) les conduisant à aller quémander une rencontre et une photo officielle avec l’ancien président américain Donald Trump qui venait de les traiter de « pays de merde ».
Aujourd’hui, ils cherchent à pratiquer la « géopolitique du mandat », quitte à replonger une fois de plus le continent dans une instabilité dévastatrice sans issue – pour ne pas dire dans la merde – à la merci des « à-lier d’Occident » et des « aliénés d’Orient ». Il faut savoir être son propre allié. Y arriveront-ils un jour ?
Ibrahima Silla
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