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Nager malgré les préjugés: une question de survie pour les Afro-Américains

« J’ai failli me noyer. » C’est immergé dans une piscine de Washington qu’Aiden Reed, 10 ans, confie l’air de rien qu’il a failli perdre la vie dans un bassin similaire avant d’être sauvé par un maître-nageur.

Cet enfant afro-américain, bonnet de bain enfoncé sur la tête, est parvenu à surmonter ce traumatisme pour participer aux cours de natation dispensés gratuitement par Swim Up, une association de la capitale américaine, aux élèves d’une école d’un quartier défavorisé.

Sur neuf apprentis-nageurs cet après-midi d’octobre, huit sont afro-américains, un groupe particulièrement à risque: aux Etats-Unis, le taux de noyade des enfants noirs âgés de 5 à 14 ans est environ 3 fois plus élevé que celui des enfants blancs, selon les autorités sanitaires.

En cause, en premier lieu, le fait que 64% des enfants noirs ne savent peu ou pas nager, contre 40% des blancs, indique la fédération américaine de natation.

En août 2010, une tragédie vient brutalement illustrer l’urgence de la situation: lors d’un barbecue entre amis près de la Red River, à Shreveport en Louisiane, DeKendrix Warner, un adolescent noir qui était entré dans le cours d’eau, perd pied.

Il ne sait pas nager. Pas plus que ses six amis et cousins qui se rafraîchissaient avec lui dans le courant et tentent immédiatement de lui porter secours. Pas plus, non plus, que les adultes qui assistent, impuissants, à la scène depuis la rive.

DeKendrix survit, sauvé par un passant, mais les six autres adolescents, âgés de 13 à 18 ans, meurent tous noyés.

Piscines fermées
Aux Etats-Unis, il n’existe pas d’obligation fédérale d’enseigner la natation à l’école, mais si autant d’enfants noirs n’apprennent pas à nager, c’est avant tout pour des raisons historiques liées à l’esclavage et aux inégalités raciales, selon des militants et historiens.

« Les esclaves pouvaient échapper à la servitude en sachant nager », note Ebony Rosemond, la directrice de Black Kids Swim, une organisation promouvant la natation auprès des jeunes afro-américains.

« C’était donc dans l’intérêt de ceux qui possédaient des humains de s’assurer que ces derniers n’aient pas cette compétence, ou qu’ils aient trop peur de sauter dans l’eau. »

Après l’abolition de l’esclavage, en 1865, les mouvements suprémacistes blancs terrorisent les Afro-Américains, « les lynchent, les brutalisent et pendent leurs corps près des plans d’eau », poursuit Ebony Rosemond.

Avec le mouvement des droits civiques vient la déségrégation. Les villes se voient ordonner par la justice d’ouvrir leurs piscines aux personnes noires. Mais beaucoup, surtout dans le Sud, choisiront de les fermer à la place, explique l’historien Jeff Wiltse, de l’université du Montana, auteur d’une « Histoire sociale des piscines en Amérique ».

Ces discriminations raciales « ont fortement restreint l’accès des Noirs américains » aux bassins et « la natation n’a donc jamais intégré leur culture récréative et sportive, et n’a pas été transmise de génération en génération », résume-t-il dans un article de 2014.

« C’est froid! »
Aujourd’hui, de nombreuses initiatives tentent de corriger le tir, à l’instar de Swim Up.

Mary Bergstrom, sa co-fondatrice, distribue cet après-midi bonnets et shorts de bain aux enfants. « Glissez-vous dans l’eau », leur recommande-t-elle. L’un s’y jette et sursaute: « C’est froid! »

Pour dompter les flots, les enfants apprennent d’abord à flotter sur le dos, puis battent des pieds pour avancer, bras tendus, guidés par l’avocate de 36 ans, ancienne nageuse de haut niveau.

Aiden, qui revient pourtant de loin, est très à l’aise. Un de ses copains, distrait, oublie de respirer et Mary lui tapote gentiment la tête pour qu’il prenne une goulée d’air.

« On aura bientôt appris à nager ou à surmonter leur peur de l’eau à une centaine d’enfants », se félicite-t-elle. « Notre objectif à terme est de montrer que c’est possible, qu’on peut faire entrer (la natation) dans les écoles et sans frais pour les familles. »

Non loin de là se trouve l’université Howard, la seule université historiquement noire des Etats-Unis dotée d’une équipe de natation de compétition, dont les nageurs donnent parfois des cours aux jeunes de Swim Up.

Le 1er octobre, c’est sous un tonnerre d’applaudissements qu’ils pénètrent dans leur antre du Burr Gymnasium pour y affronter l’équipe rivale de Georgetown. Quelque 1.200 personnes assistent à cet événement conçu par leur entraîneur, Nick Askew, pour améliorer la visibilité des athlètes noirs dans ce sport.

« Qu’on puisse créer une expérience inédite pour les fans, y ajouter des performances et des plongeons incroyables afin d’être compétitifs, est l’une des choses (…) qui encourageront les gens à toucher l’eau, à apprendre à nager », explique Nick Askew à l’AFP.

Georgetown finira par s’imposer de peu, mais la mission est accomplie: les Bisons d’Howard ont tenu leur rang et tordu le cou aux préjugés.

« On voulait faire parler de nous, être une sorte de symbole pour les autres nageurs noirs et leur dire: vous pouvez le faire, même si le monde entier vous regarde peut-être de haut et essaie peut-être de vous rabaisser, vous pouvez être un nageur noir », explique Niles Rankin, l’un des participants, 21 ans.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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