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Moins de « sorciers blancs », plus de sélectionneurs africains

La finale de la Coupe d’Afrique des nations opposera demain l’Égypte au Sénégal.

Les résultats d’Aliou Cissé, qui a mené le Sénégal en finale pour une seconde Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football d’affilée, ont mis en valeur l’expertise des sélectionneurs africains, résultat d’un travail de fond, mais le chemin est encore long vers une reconnaissance totale.

Battus par l’Algérie (1-0) de Djamel Belmadi, un autre entraîneur local, en 2019, les Lions de la Teranga affronteront demain dimanche l’Égypte du sélectionneur portugais Carlos Queiroz… né au Mozambique. L’entraîneur burkinabé Kamou Malo, parvenu jusqu’en demi-finale contre le Sénégal (3-1), lance « un cri du cœur » : « J’encourage les dirigeants africains à recruter local. On devrait nous faire davantage confiance. »

À la CAN 2021 – reportée à cette année en raison de la pandémie de coronavirus et qui avait également pris du retard pour cause de préparatifs non terminés, ainsi que des raisons sécuritaires dans le pays hôte, le Cameroun –, 16 fédérations sur 24 avaient confié leur équipe à un sélectionneur du pays, un record.

Un mouvement semble ainsi s’enclencher. Quatre expatriés ont même été licenciés peu avant la compétition, Corentin Martins, après sept ans de travail en Mauritanie, Didier Six (Guinée), Hubert Velud (Soudan) et Gernot Rohr (Nigeria), et un seul a été remplacé par un Français, Didier Gomes Da Rosa, avec les Mourabitoune mauritaniens.

Mais le « sorcier blond » Claude Le Roy, qui a dirigé des sélections à neuf CAN, trouve « ce faux débat complètement démagogique ». « Dieu sait qu’Aliou (Cissé) est mon pote, Djamel (Belmadi) aussi, mais ils ont d’africain l’origine : ils (ont grandi) en France, ont fait toute leur carrière en France, ont passé leurs diplômes en France, rappelle-t-il. À eux deux réunis, ils ont passé moins de temps en Afrique que moi tout seul ! »

Le Roy tonne : « L’Égyptien (Hassan) Shehata a gagné trois Coupes d’Afrique, comme (Charles Kumi) Gyamfi au Ghana, on n’en parlait pas, c’est parce qu’ils étaient bons, point » ; ajoutant que « le débat de fond, c’est plutôt de savoir à quand, à part (le Sénégalais) Omar Daf à Sochaux, l’arrivée d’entraîneurs africains dans les championnats européens. Là on aura franchi un palier.

C’est ça l’objectif, mais on en est loin. Et pas parce qu’ils ne sont pas compétents, mais parce qu’on ne leur fait pas confiance ». « Cette racialisation des théories sur les entraîneurs me paraît populiste et complètement inexacte », conclut Le Roy.

Un avis proche de celui de Mohammad Magassouba (64 ans), directeur technique national du Mali depuis 2008 et sélectionneur depuis 2017. Pour lui, il faut tout simplement choisir les meilleurs, « nous sommes sur le terrain de l’excellence », explique-t-il. «

La question n’est pas de nommer un Malien, un ex-professionnel ou même un expatrié, il faut donner la sélection à celui qui peut apporter quelque chose », ajoute-t-il. Mais Magassouba a une explication pour la vogue des locaux. « L’Afrique a fait un bond en matière de formation depuis plus d’une dizaine d’années », explique le technicien qui va tenter de qualifier les Aigles du Mali à leur première Coupe du monde de football, en barrages contre la Tunisie en mars pour le compte du Mondial 2022 au Qatar.

Formations FIFA (Fédération internationale de football association) et CAF (Confédération africaine de football), stages à l’étranger, l’accent a été mis sur les diplômes des encadrants. Les locaux ont aussi l’avantage du terrain, quand certains expatriés ne vivent pas toujours dans le pays où ils travaillent.

« Kamou Malo arpente les terrains du championnat du Burkina Faso », explique le colonel Sita Sangaré, ex-président de la Fédération burkinabé qui l’avait nommé. « Il connaît mieux les joueurs qu’un regard extérieur, il ne travaille pas sur des profils Google », s’amuse le dirigeant.

Et ce mouvement ne s’inscrit pas contre les expatriés, « nous avons tous appris d’eux », souligne Kamou Malo, mais il « préfère le transfert de compétences ». « Il n’y a pas très longtemps, chaque pays allait chercher son sorcier, je vais éviter d’énoncer une couleur », sourit-il.

Le coach du Burkina salue son vainqueur Aliou Cissé, « un monsieur pour lequel j’ai beaucoup de respect, bien que je sois son aîné (59 ans contre 45 ans). Il nous a donné cette fibre, cette envie. Lui et moi sommes engagés dans un combat : il faut faire de la lumière pour les coaches africains ».

« Et puis, il ne faut pas se le cacher, on ne coûte pas très cher », ajoute Kamou Malo dans un sourire. « On n’est pas moins compétents que les autres, conclut Aliou Cissé. Le combat continue, c’est aux dirigeants de nous faire confiance. »

Emmanuel BARRANGUET

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