La Philippine Maria Ressa et le Russe Dmitri Mouratov s’étaient vu attribuer le prix début octobre pour leur combat pour la «sauvegarde de la liberté d’expression».
Elle risque la prison, lui a enterré plusieurs collègues: deux champions de la liberté de la presse, la Philippine Maria Ressa et le Russe Dmitri Mouratov, reçoivent ce vendredi 10 décembre à Oslo un Nobel de la paix qui couronne une profession en danger.
Maria Ressa, cofondatrice du site d’information Rappler, et Dmitri Mouratov, rédacteur en chef du journal indépendant Novaïa Gazeta, s’étaient vu attribuer le Nobel début octobre pour leur combat pour la «sauvegarde de la liberté d’expression».
«Une société et une démocratie saines sont dépendantes d’une information fiable», a réaffirmé jeudi la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen, en fustigeant propagande, désinformation et «fake news».
La presse libre et indépendante est pourtant menacée à travers le monde. À la question de savoir si la prestigieuse récompense avait amélioré la situation dans son pays, 138e dans le classement de la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières (RSF), Maria Ressa a répondu par la négative jeudi.
«C’est comme si on avait une épée de Damoclès suspendue au-dessus de notre tête», a expliqué la journaliste de 58 ans. «Aujourd’hui aux Philippines, les lois sont en place mais (…) vous relatez les informations les plus difficiles à vos risques et périls.»
WATCH: Rappler CEO @mariaressa prepares to depart for Oslo, Norway to attend the @NobelPrize awarding ceremony
Related story: https://t.co/EK3JaYrw03 pic.twitter.com/aEoB0mOdsO
— Rappler (@rapplerdotcom) December 7, 2021
Un journaliste tué d’une balle dans la tête
Elle a notamment évoqué son compatriote, Jess Malabanan, correspondant du Manila Standard, abattu mercredi d’une balle dans la tête. Également collaborateur de Reuters, il avait travaillé sur le sujet sensible de la guerre contre la drogue aux Philippines. Selon RSF, «si l’hypothèse d’un meurtre lié à son métier venait à se confirmer», ce serait le 16e journaliste philippin tué sous la présidence de Rodrigo Duterte, débutée en 2016.
Aux manettes de Rappler, un site très critique du président Duterte, Maria Ressa est elle-même l’objet de sept poursuites judiciaires au total dans son pays. Condamnée pour diffamation l’an dernier mais en liberté conditionnelle en attendant un jugement en appel, elle a été contrainte de demander à quatre tribunaux la permission d’aller chercher son Nobel en personne.
«Si nous devons devenir des agents de l’étranger à cause du prix Nobel de la paix, nous ne serons pas contrariés», a dit Dmitri Mouratov jeudi, interrogé sur le risque d’écoper de cette étiquette. «Mais en fait, (…) je ne pense pas que nous aurons ce label», a-t-il ajouté.
Censé viser ceux qui reçoivent un «financement étranger» et mènent une «activité politique», l’infamant statut d’«agent de l’étranger» est attribué à de nombreux journalistes et médias critiques du Kremlin, une désignation qui complique grandement leur activité. La Russie figure à la 150e place du classement de RSF. Le président russe Vladimir Poutine a prévenu que le prix Nobel n’était pas un «bouclier» protégeant de ce statut.
Selon les données compilées jusqu’au 1er décembre par RSF, au moins 1.636 journalistes ont été tués à travers le monde depuis 20 ans, dont 46 depuis le début de l’année. «Informer ne doit plus tuer», a insisté le secrétaire général de l’association, Christophe Deloire, en présentant ce rapport cette semaine. Jamais le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde n’a été aussi élevé, a par ailleurs dénoncé jeudi le Comité de protection des journalistes (CPJ): 293 reporters sont aujourd’hui derrière les barreaux, selon l’association.
Le Nobel de la paix est attribué à Maria Ressa, journaliste philippine, et Dmitri Mouratov, rédac chef de la Novaïa Gazeta. C’est une surprise et un signal, s’agissant de la Russie, alors que les médias indéps y subissent une pression inédite. Il célébrait hier A.Politkovskaïa. pic.twitter.com/WCYcYX4Kcu
— Benoît Vitkine (@benvtk) October 8, 2021
Le prix de la paix – un diplôme, une médaille d’or et un chèque de 10 millions de couronnes suédoises (environ 975.000 euros) – sera remis à Maria Ressa et Dmitri Mouratov lors d’une cérémonie au format réduit, Covid oblige, qui commencera à 13 heures (12H00 GMT) à l’Hôtel de ville d’Oslo.
À cause là aussi de la pandémie, les lauréats des autres Nobel (médecine, physique, chimie, littérature et économie), habituellement remis à Stockholm, les ont tous déjà reçus cette semaine dans leurs pays de résidence. Une cérémonie en leur honneur est toutefois organisée vendredi dans la capitale suédoise, en présence de la famille royale.
Laisser un commentaire