Le mandat finissant du président Jair Bolsonaro est hors norme dans l’Histoire moderne du Brésil: une volonté de « déconstruire » ce qui avait été fait par les précédents gouvernements a entraîné de nombreux reculs, selon les politologues.
Jair Bolsonaro, qui se représente devant les électeurs dans moins d’un mois, conserve néanmoins un socle irréductible de partisans qui adhèrent à sa défense des valeurs ultra-conservatrices autour de la famille, la patrie ou Dieu, ses diatribes anticorruption ou sa détestation du « communisme ».
Mais de nombreux analystes jugent son bilan très négatif.
« En matière d’environnement, d’éducation, de santé, de sécurité publique ou de culture, c’est catastrophique », estime Anthony Pereira, spécialiste de l’Amérique latine à l’Université internationale de Floride (USA).
D’abord « nous devons déconstruire, défaire beaucoup de choses », avait averti le président peu après son installation au Palais de l’Alvorada à Brasilia en janvier 2019. Il a tenu parole.
Ce nostalgique de la dictature (1964-85) est parti en croisade contre « l’idéologie de gauche ». Le ministère de la Culture a été supprimé, les financements se sont taris, pour la science aussi.
Les églises évangéliques, dont le poids a encore été renforcé, ont pesé jusque sur la rédaction des manuels scolaires.
La diplomatie a pris un virage antimondialiste et le Brésil n’a plus guère d’amis sur le globe.
Ce fut « un mandat de destruction de ce qui avait été construit depuis le retour de la démocratie », estime Gaspard Estrada, spécialiste de l’Amérique latine à Sciences Po.
L’armement massif des Brésiliens a tenu lieu de politique de sécurité publique: les permis de possession d’une arme à feu ont explosé de 474% de 2018 à 2022, dans l’un des pays les plus violents au monde.
La déforestation de l’Amazonie, favorisée par la réduction des budgets et des prérogatives des organismes de surveillance, a explosé, en moyenne annuelle, de 75% sous M. Bolsonaro, sourd aux protestations de la communauté internationale.
Les terres indigènes ont subi 305 invasions en 2021 — 180% de plus qu’en 2018.
Tensions extrêmes
La deuxième partie du mandat s’est déroulée dans un climat de polarisation et de tensions extrêmes dans lequel l’analyste Kevin Ivers du DCI Group voit « une spirale vers le désordre, enclenchée par tout populiste sur le déclin ».
Car la crise du Covid-19 a fait plonger la popularité de ce farouche antivax. Le déni du chef de l’Etat face à « une grippette » responsable de 685.000 morts a suscité plusieurs dizaines de demandes de destitution.
Ses partisans assurent qu’il a préservé l’économie du pire en s’opposant aux confinements.
Le président d’extrême droite a violemment attaqué la Cour suprême, ses juges, et la fiabilité du système électoral. « Une stratégie délibérée (pour) tendre vers un gouvernement de plus en plus autocratique », estime le politologue Geraldo Monteiro, dans son « Petit manuel antibolsonariste ».
S’il y a quelque chose de positif dans ce mandat, « c’est que les institutions brésiliennes ont fonctionné pour protéger la démocratie, globalement », estime Anthony Pereira.
Au gouvernement, les ministres ont valsé: quatre se sont succédé à la Santé comme à l’Education, en raison de désaccords avec le président ou de scandales.
Survivant à l’hécatombe, le ministre néolibéral Paulo Guedes, à l’Economie, a tout de même mené à bien une réforme des retraites et un grand train de privatisations. D’importants projets d’infrastructures ont été lancés.
Jair Bolsonaro a soigné l’Armée. Il « a militarisé l’appareil d’Etat en nommant plus de 6.000 militaires d’active ou en retraite dans l’administration fédérale », rappelle Anthony Pereira.
« Sans corruption »
Pour désinformation ou pour sa gestion du covid, M. Bolsonaro est la cible d’enquêtes et menacé d’inculpation notamment pour « crime contre l’humanité ».
Les commentateurs ont souligné lors de la pandémie son manque d’empathie face aux souffrances du peuple, appelé à « arrêter de geindre ».
L’ex-capitaine de l’Armée est resté droit dans ses bottes, préférant aux excuses le déni ou la « vérité alternative », fidèle à son image de « Trump des tropiques ».
« La faim n’existe pas vraiment au Brésil », a-t-il lancé, alors que 33,1 millions de Brésiliens sont affamés et qu’on se dispute des os dans des bennes à ordures à Rio de Janeiro.
La première économie d’Amérique latine reprend des couleurs en fin de mandat, mais le Brésil de Bolsonaro déplore encore une inflation à deux chiffres et 10 millions de chômeurs.
Enfin, son administration est « sans corruption », assure-t-il. Pourtant son ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, a trempé dans un trafic international de bois. Celui de l’Education, Milton Ribeiro, a été incarcéré brièvement pour corruption et trafic d’influence.
En matière de corruption « on est passé a un degré supérieur », dit Gaspard Estrada.
« La situation brésilienne est dystopique, on est en dehors de la réalité », conclut l’analyste pour qui Bolsonaro aura été « une anomalie dans cette démocratie ».
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