Dakar-Echo

Maison Mélanie Gomis : des racines à Marseille et le cœur à Beyrouth

Maison Mélanie Gomis : des racines à Marseille et le cœur à Beyrouth

Lauréate du prix du fonds de dotation Maison Mode Méditerranée, la styliste marseillaise Mélanie Gomis raconte ce qu’elle doit au Liban.

À l’ombre d’une mère « qui achetait toujours des magazines » et d’un père « qui adorait les vêtements vintage des années 50 à 70 », Mélanie Gomis prend très tôt conscience du pouvoir du vêtement. « En famille, nous cousions nous-mêmes nos déguisements de carnaval », confie la styliste.

À trente ans, cette Marseillaise d’origine sénégalaise a déjà derrière elle un véritable parcours de combattante. Franchissant avec un impressionnant volontarisme un obstacle après l’autre, son chemin, jusqu’au lancement de sa marque, Gomis, fait un grand détour par le Liban.

De concours en concours, entre deux travaux d’étudiante
Dans le détail de ce qui ressemble à un CV lisse et fluide, on découvre un véritable labyrinthe. Née à Marseille en 1993, la trentenaire s’oriente dès l’âge de 14 ans dans la filière technique. Elle y apprend le métier de couturière et de modéliste. Son baccalauréat professionnel obtenu, elle veut se perfectionner dans les savoir-faire du luxe.

Elle rêve d’intégrer la célèbre École de la Chambre syndicale de la couture parisienne (aujourd’hui l’IFM). Ses parents, malgré leur soutien inconditionnel, n’ont pas les moyens de financer de telles études. Elle passe alors une année entière à travailler hors du circuit pour économiser les frais nécessaires. Parallèlement à ce travail d’étudiante, elle s’inscrit aux cours du soir de l’École nationale des beaux-arts.

Par chance, cette année-là, elle décide de postuler au concours Elle solidarité mode du magazine Elle France. Elle est retenue et sélectionnée par François Broca en personne, le directeur de l’école qu’elle rêvait de rejoindre.

Elle quitte alors Marseille pour Paris, réalise les deux années d’études financées par le magazine et continue à travailler chaque week-end pour subvenir à ses besoins.

Après ces deux années, qui, dit-elle, la comblent, elle cherche désormais à développer son ADN, son univers personnel. Elle sait que la meilleure école pour le faire est la Central Saint Martins School de Londres (CSM).

Nouveau concours très exigeant, et elle intègre la promotion BA Fashion Women’s Wear. La Fondation Elle s’engage à financer une partie des frais de scolarité et Mélanie Gomis passe l’été précédant la rentrée à chercher les fonds manquants. Elle réussit finalement à décrocher une bourse d’études d’une fondation privée.

À CSM, elle travaille dur, apprend et continue à travailler en parallèle. Au bout de la première année, les fonds manquent à nouveau, mais elle est riche d’une formation à partir de laquelle elle sait ce dont elle a besoin. Elle sait dédormais qu’il ne lui reste plus qu’à mettre à profit son savoir.

Jad Hobeika, « et c’est comme ça que je suis allée à Beyrouth »
Elle rentre alors à Paris où l’attend un stage chez Christian Dior Haute Couture, où elle est « émerveillée par la créativité et l’excellence du savoir-faire ». Son désir de découverte l’emmène ensuite au Liban. « Après mon passage chez Dior, j’avais envie d’ailleurs, et le Moyen-Orient est une région qui m’a toujours attirée, notamment pour sa haute couture que je trouvais différente de l’approche française.

Une approche plus vivante, libérée et divertissante, avec moins de réserve. J’ai alors pensé à Jad Hobeika, avec qui j’étais en classe à Paris, et je lui ai écrit spontanément en lui disant que j’aimerais en découvrir davantage sur le travail de son père et l’artisanat derrière Georges Hobeika. Il m’a répondu : « Avec grand plaisir », et c’est comme ça que je suis allée à Beyrouth », confie la créatrice.

Le costume de Beyoncé pour le « Roi Lion »
Durant six mois, Mélanie Gomis partage quasiment le bureau du maître. Ce stage lui permet d’observer « le travail d’un couturier, d’un entrepreneur et d’un créatif de mode ». « C’était une expérience absolument incroyable », raconte-t-elle. « Georges m’a très vite fait confiance et je pense que c’est notre passion pour la mode qui nous a liés. Il a profité de chaque occasion pour m’apprendre et me transmettre son savoir », poursuit la trentenaire.

Le stage s’est finalement écourté pour déboucher sur une embauche. Elle est bombardée designer junior, senior, puis manager du studio pendant trois ans et demi. C’est à cette période qu’elle rencontre Antoine, son futur époux.

« Forte de ces expériences professionnelles et humaines, l’envie de fonder ma propre maison, mes propres codes à partir de ma vision et de mon identité fut trop grande », confie encore celle qui aura participé, auprès du couturier libanais, à la création du costume de Beyoncé pour son rôle dans la comédie musicale du Roi Lion, tête de lion ornée de sequins en bustier et crinière en plumes d’or.

Un escargot et l’esprit de lenteur
Un jour, se promenant dans le Chouf, elle trouve un fossile de coquillage. Elle pense à l’escargot géant du Sénégal, pays de ses grands-parents paternels. Le gastropode évoque également cette idée de la mode lente qui résume son éthique. Elle commence à explorer la forme, à faire des dessins. L’escargot, à la manière du croissant de lune qui a fait la célébrité de Marine Serre, deviendra son image de marque. C’est ainsi qu’en 2020, à 26 ans, elle décide de rentrer en France pour créer sa marque.

Elle choisit de l’établir à Marseille, sa ville natale, « porte ouverte sur la Méditerranée ». Tout son savoir et toutes ses économies y seront investis. Elle passe une année entière à fonder cette maison où elle travaille quasiment seule. « Je fais absolument tout : les patrons, les toiles, les prototypes, la broderie, le site internet, la communication, la presse… En février 2021, je lance la marque éponyme Gomis », détaille-t-elle.

« Mon parcours m’a permis de comprendre ce qu’est l’esprit de l’artisanat, que je définis par une recherche constante, une maîtrise des techniques ainsi qu’une qualité que je souhaite transmettre et investir dans mes créations », ajoute la créatrice.

C’est ainsi que Gomis se définit par des créations intemporelles, réalisées à partir de matières nobles, naturelles ou recyclées, et ornées de délicats motifs brodés à la main. « Je considère mes collections comme des reflets visuels de notre époque, des pièces audacieuses qui s’inspirent du passé pour s’inscrire dans le présent et dans l’avenir », souligne Mélanie Gomis.

Si toute la production de la marque est réalisée à Marseille par la société 13 A’tipik, en vue de réduire les émissions de CO2 grâce à un circuit court, les tissus sont fabriqués par des entreprises familiales à Milan et à Côme, en fibres naturelles ou recyclées, avec une longévité maximale. Les broderies sont confiées à des manufactures humainement responsables à Mumbaï. Les paillettes sont produites au Royaume-Uni à partir de PET (polyéthylène téréphtalate) fabriqué à partir de bouteilles en plastique recyclées.

Candidate à la nationalité libanaise
« Le Liban m’est familier, c’est un pays où je trouve des paysages magnifiques, une histoire millénaire, mais aussi une réalité parfois déroutante. C’est tout cela qui fait que je m’y sens chez moi, comme à Marseille, ma ville natale. C’est aussi une façon d’aborder le quotidien avec plus de douceur et de conscience », confie la créatrice.

« Le Liban, c’est aussi une histoire d’amour : c’est là que j’ai rencontré Antoine, que j’ai épousé en 2022 dans une robe Georges Hobeika, bien sûr », ajoute-t-elle avec un sourire. « J’ai également entamé des démarches pour obtenir la double nationalité libanaise. L’influence du Liban sur mon travail vient principalement de ses couturiers, qui collaborent avec des artisans locaux, travaillent sur leur territoire et rayonnent à l’international.

Cela a été un élément fondamental dans la création de ma marque », souligne la styliste passionnée, déjà multiprimée et qui vient de décrocher, sans surprise, le prix 2024-2026 « Fashion Enthusiasm » de la Maison Mode Méditerranée, « une fondation qui m’a profondément touchée, car j’ai toujours admiré son travail et participé à ses expositions », commente-t-elle.

Avec Fifi ABOU DIB
Credit photo: toutma

Articles similaires

Laisser un commentaire