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Macky Sall veut-il mettre fin à « l’exception sénégalaise » ?

Le 16 mars 2023 en route pour le tribunal, encore une fois, l’opposant Ousmane Sonko, qui hante les jours et les nuits du pouvoir sénégalais, a été brutalisé et extrait de force de son véhicule par les Forces de défense et de sécurité sénégalaises pour l’emmener devant les juges.

Ces brutalités policières ont concerné également son avocat Me Ciré Clédor Ly, qui a été évacué le vendredi 17 mars 2023 en France pour des soins. L’état de santé du leader de l’opposition qui a été aspergé de gaz, est alarmant et préoccupant et le porte-parole de son parti le Pastef demande qu’il soit également envoyé à l’étranger pour des soins.

Des personnalités des mouvements des droits de l’homme comme Alioune Tine ont demandé au président Macky Sall de le faire pour des raisons humanitaires ce samedi 18 mars 2023. La veille de cet accès de brutalité et de tensions, le leader de l’opposition avait tenu un meeting calme et serein dans la banlieue de Dakar des Parcelles assainies, qui a regroupé des milliers de jeunes urbains qui constituent sa base électorale.

Tous les observateurs se demandent pourquoi le pouvoir sénégalais cherche à rejouer le match de 2021 qui a conduit à des émeutes suite à l’arrestation d’Ousmane Sonko ? Le Sénégal est sur une pente raide et on a l’impression que le président Macky Sall veut tout faire pour que le pays plonge comme les autres pays sahéliens. Voyons en quelques cases cochées, comment de l’exception, le Sénégal avance à grand pas vers une certaine « normalité africaine ».

Le 3e mandat
La fin de l’année 2024 est le dead line du mandat du président Macky Sall. Pour lui la petite musique du game over va sonner car la constitution sénégalaise dit en son article 27 que : « La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ou constitutionnelle. »

Le président Macky Sall est arrivé au pouvoir en 2019 en battant son ancien mentor qui, après avoir échoué a modifier la constitution pour passer le pouvoir à son fils, a tenté un troisième mandat qu’il n’a pas pu emporter au second tour. Macky Sall avait fait campagne pour la limitation des mandats à deux et la réduction de son mandat de 7 à 5 ans. Il a fallu une révision constitutionnelle pour la réduction du mandat donc son premier mandat est resté à 7 ans.

Quand on lui pose la question s’il va se présenter à un troisième mandat comme le Guinéen Alpha Condé et l’Ivoirien Alassane Ouattara en 2000, voici ce qu’il répond : « Si je dis oui, je veux être candidat, le débat va enfler et on ne va plus travailler ; donc il y aura de la matière pour les spécialistes de la manipulation et de l’agitation. Si je dis non, dans mon propre camp les gens ne travailleront plus non plus ; tout le monde sera dans une dynamique de se préparer pour l’élection. Or moi, j’ai un mandat à exercer ».

Ce qui est sûr, le pouvoir ne travaille plus et toutes ses énergies sont dans la préparation de l’élection dans le sens d’éliminer les opposants les plus redoutables à la réélection de Macky Sall. Le pouvoir a choisi la justice pour mettre fin aux velléités de candidature d’Ousmane Sonko par un premier procès où il est accusé de viol. On sait que cette première tentative a failli emporter le pouvoir par des émeutes violentes dans plusieurs villes du pays durant le couvre-feu imposé à cause du Covid-19.

Ce procès est toujours en cours et l’issue ne semblerait pas favorable, et c’est un ministre du gouvernement, Mame Mbaye Niang, qui convoque l’opposant pour diffamation. Cet acharnement judiciaire vise à écarter Ousmane Sonko de la prochaine présidentielle comme Karim Wade et Khalifa Sall en 2019.

Le président sénégalais devrait se dire que c’est toujours mieux de dire la vérité surtout si cette vérité va dans le sens de l’intérêt général et du renforcement de la démocratie. S’il ne veut pas d’un troisième mandat pour le pays, c’est mieux en le disant et toutes les tensions actuelles vont tomber. Cette surchauffe politique n’est pas bonne pour l’image du Sénégal.

Les brutalités policières
Les voyageurs venant du Sénégal aimaient à raconter comment les forces de défense et de sécurité avaient de bonnes manières. Au pays du poète président, lors d’un contrôle, vous obtenez un salut militaire, une conversation cordiale et respectueuse. Pas un mot au-dessus de l’autre, pas de manque de respect. Et qu’avons-nous vu sous Macky Sall ?

Des arrestations manu militari où on brise les vitres du véhicule d’un opposant qu’on asperge de gaz et qu’on sort de force. Les répressions des émeutes ont été aussi violentes en 2021 vu le nombre de morts. Quand les forces de l’ordre perdent les rapports de civilité envers certaines catégories de la population, ce n’est jamais bon pour le pays car petit à petit, le respect de la vie humaine s’effrite et la violence s’installe.

Les émeutes
Les émeutes sont le signe d’un pouvoir sourd aux problèmes des plus pauvres et des plus déshérités. Macky Sall est entré dans l’histoire sénégalaise comme un président impopulaire et insensible à la misère sociale. Le Sénégal n’est pas le pays le plus riche, mais il avait été épargné par cela par une gestion plus responsable et peu clivante des problèmes du pays. Les deux arrestations violentes d’Ousmane Sonko se sont soldées par des scènes de guérilla urbaine entre jeunes et forces de défense et de sécurité. En cela le pouvoir et certaines parties de la population abandonnent les marqueurs de l’exception sénégalaise.

Les violences en politique
Ce que subit l’opposant Ousmane Sonko est l’utilisation de la violence en politique. Et cette violence du côté du pouvoir déteint aussi sur l’opposition puisqu’on a vu des députés de l’opposition agresser une parlementaire parce qu’elle aurait manqué de respect à un dignitaire religieux lui-même engagé en politique. Ce n’est plus le Sénégal de Senghor quand des hommes s’en prennent à une femme dans l’Assemblée des députés. Et là on peut dire qu’ils ont fait plus fort que partout ailleurs.

Le Sénégal est une exception au sein de la CEDEAO, avec son voisin insulaire du Cap Vert pour n’avoir pas connu de coup d’Etat. Les soixante-trois ans de présidence civile avec deux alternances au pouvoir depuis 2000 sont sans pareils en Afrique de l’Ouest.

En s’obstinant à vouloir rester au pouvoir, Macky Sall risque d’ouvrir la boite de Pandore parce que les ennemis sont nombreux à côté : les groupes djihadistes chez ses voisins du Mali et de Mauritanie, le pétrole et le gaz découverts et dont les revenus sont peut-être une des causes de sa volonté de rester, mais sont aussi une des sources d’instabilité dans beaucoup de pays d’Afrique.

Macky Sall doit prier pour la santé d’Ousmane Sonko car s’il lui arrive malheur avec cette violente arrestation, il peut s’attendre à une forte pluie de problèmes qui inondera la fin de son mandat et ses rêves de 3e mandat.

Sana Guy avec Lefaso.net

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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