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Macky Sall joue la politique de la terre brûlée

Au moins dix neuf morts, des centaines de blessés, des militants torturés et incarcérés : le pays s’est embrasé après le verdict condamnant l’opposant Ousmane Sonko. Malgré un relatif retour au calme, le feu couve toujours. Et l’élection présidentielle se profile.

Des scènes d’émeute, des forces de police débordées, l’armée réquisitionnée, Internet partiellement coupé. Au moins 19 morts, souvent très jeunes et la plupart sous les balles de la police, des centaines de blessés : depuis la condamnation à deux ans de prison ferme de l’opposant Ousmane Sonko, le leader du mouvement Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), la jeunesse sénégalaise est descendue dans la rue et le pays connaît des jours sombres.

Un « climat de terreur », selon les mots du directeur d’Amnesty Sénégal, Seydi Gassama. Et la mécanique de cette violence ne semble pas devoir s’enrayer : « C’est parti pour durer, cela a commencé dès le verdict (le 1er juin – NDLR), on peut penser que cela va s’atténuer, mais les forces de police et de défense ne sont pas en mesure de contenir la colère. Tout le monde est furieux », décrit par téléphone l’écrivain et intellectuel Boubacar Diop.

Macky Sall, un président désormais honni par son peuple, qui ne tient plus que par la force
Furieux notamment contre Macky Sall, un président désormais honni par son peuple, qui ne tient plus que par la force, et laisse toujours planer le doute sur sa candidature à un troisième mandat au mépris de la Constitution et de sa parole. La campagne pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 – si elle a bien lieu – est d’ores et déjà celle de tous les dangers.

À l’heure à nous écrivons ces lignes, le bilan officiel est donc de 19 morts : 14 à Dakar et 5 à Ziguinchor, la capitale de la Casamance, dans le sud du pays, dont Ousmane Sonko est le maire. Des centaines de blessés, au point que les Sénégalais se sont rendus en masse dans les centres de transfusion sanguine pour donner leur sang.

Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux sont impressionnantes : des foules immenses scandant des slogans de soutien à Ousmane Sonko, mais surtout hostiles à Macky Sall. Au téléphone, le journaliste et administrateur du site Seneplus, René Lake, évoque à propos de la condamnation du leader du Pastef un « élément déclencheur, mais dans un climat général délétère créé par la volonté prêtée à Macky Sall de se présenter pour un troisième mandat ».

Macky Sall, ou l’art de dialoguer sans interlocuteur
Il ne fallait pas être grand clerc pour redouter cette montée des violences, due notamment, selon René Lake, à « l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ». Dans tout le pays, opposants politiques et journalistes sont jetés en prison, comme Aliou Sané, le coordonnateur du mouvement Y en a marre, qui s’était battu aux côtés de Macky Sall en 2012 contre une troisième candidature d’Abdoulaye Wade, et demande aujourd’hui « sa démission ».

Le gouvernement évoque des « forces occultes » et une prétendue « influence étrangère »
Une vidéo de Pape Abdoulaye Touré, militant du Pastef et porte-parole de la plateforme F24, qui regroupe partis d’opposition et société civile, le montre arrêté et torturé, le visage tuméfié : ces images ont choqué tout le pays.

Dans ce contexte de déchaînement de violences, Seydi Gassama et Amnesty Sénégal appellent « les autorités sénégalaises à diligenter des enquêtes crédibles et indépendantes sur les morts enregistrées dans le contexte des manifestations, à Dakar et à Ziguinchor », et à la libération des prisonniers politiques.

De son côté, le gouvernement reste droit dans ses bottes, et évoque par la voix du ministre de l’Intérieur, Antoine Diome, des « forces occultes », une prétendue « influence étrangère » et « le pays qui est attaqué ». Il revendique plus de 500 arrestations.

Quant au ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, qui avait attaqué Ousmane Sonko pour diffamation, il évoque « des actes de vandalisme qui n’ont rien à voir avec des manifestations politiques », et même des « étrangers qui sont venus d’ailleurs déstabiliser notre pays ».

« Le principal acquis du Sénégal était la liberté d’expression, mais c’est en train d’être perdu »
Au téléphone, Boubacar Diop décrit un « Internet partiellement coupé, on ne peut recevoir que les messages par WhatsApp », mais aussi « l’armée qui patrouille sur les grandes artères et devant les bâtiments stratégiques ».

Pour l’écrivain, qui a vu de nombreux régimes se succéder, « le principal acquis du Sénégal était la liberté d’expression, mais c’est en train d’être perdu. Des journalistes, des militants sont en prison, et c’est nouveau ». Plus grave encore, il décrit dans la population « le sentiment que tout est fichu, que personne ne sait de quoi demain sera fait ».

Si la situation semble sur place plus calme, les inquiétudes demeurent à propos de la campagne électorale qui s’ouvre. Pour René Lake, « comme il est impossible de truquer les élections, ils le font en amont. Pour Macky Sall, la question essentielle est d’éliminer Ousmane Sonko, car il est porteur d’un mouvement radical, notamment sur la servilité vis-à-vis de la France et du système colonial ».

Sa condamnation pour « corruption de la jeunesse » indique un jugement prioritairement destiné à l’écarter de la course à la présidentielle, ce qui semble acté. Son ton virulent et son discours antisystème attrape-tout lui ont permis de devenir populaire, notamment dans la jeunesse. Et pour Boubacar Diop : « Sonko a cristallisé les mécontentements, d’autant plus facilement que l’affaire (du viol – NDLR) était montée de toutes pièces. Ce que les Sénégalais ne supportent pas, c’est qu’on porte du tort, qu’on s’attaque à l’honorabilité intime de l’individu : cela a créé de la compassion pour Ousmane Sonko. »

« On est déjà en train de sortir de l’État de droit »
Désormais, c’est l’attitude d’un Macky Sall plus fragilisé que jamais qui est scrutée, au Sénégal mais aussi à l’étranger. « S’il se représente, un basculement du pays à court ou moyen terme est possible », estime René Lake.

Mais, selon Boubacar Diop, « on est déjà en train de sortir de l’État de droit. Je suis très pessimiste, je me demande si les élections vont avoir lieu et je crains un scénario avec un état d’urgence et un scrutin repoussé. Je ne crois pas que Macky Sall osera se présenter, cela mettrait vraiment le pays à feu et à sang. Mais le pouvoir rend fou ».

Le maire de Dakar, Barthélemy Dias, en appelle au président : « Vous n’avez pas le droit d’éliminer vos adversaires politiques. Ne bousillons pas ce pays. » Alors que de nombreuses voix s’élèvent, notamment chez les responsables religieux, pour mettre un terme aux violences, le Sénégal est sur une ligne de crête. Que fera Macky Sall, premier responsable de la situation, dans les prochaines semaines ?

Benjamin König

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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