Après une série de putschs militaires au Sahel, l’élection triomphale de Bassirou Diomaye Faye à la tête du Sénégal, il y a quelques mois, a provoqué des soupirs de soulagement chez les démocrates d’Afrique de l’Ouest.
En portant à sa tête ce jeune président, presque inconnu du grand public, le Sénégal a ouvert la voie à une alternative politique : une « troisième voie » face à la traditionnelle opposition binaire qui prévaut dans de nombreux pays de la région entre régimes autoritaires, incarnés par des militaires putschistes, et régimes démocratiques vieillissants.
Discuter avec les juntes militaires
Dans les prochains mois, l’enjeu sera de taille pour le nouveau président sénégalais et Ousmane Sonko, son Premier ministre : ils devront être à la hauteur du soulèvement populaire et de l’espoir qui les ont portés. A l’échelle régionale, ils devront démontrer au Mali, au Niger et au Burkina Faso qu’il est possible d’appliquer un programme panafricain et souverainiste sans passer par la voie d’un coup d’État militaire.
Parce qu’il représente cette « troisième voie » et entretient de bonnes relations avec ses voisins sahéliens, Bassirou Diomaye Faye pourrait devenir la pièce maîtresse d’un rapprochement entre la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les Etats putschistes.
Dès le mois de juillet, le président sénégalais a d’ailleurs été mandaté par l’organisation intergouvernementale pour discuter avec les militaires et tenter de les faire revenir dans son giron. Fin mai, le chef de l’Etat sénégalais s’était déjà rendu à Bamako et à Ouagadougou pour plaider la cause de la CEDEAO. En août, c’était au tour d’Ousmane Sonko de se rendre au Mali pour une visite « d’amitié et de travail ».
Reste à savoir si le président sénégalais parviendra à faire plier les juntes. En claquant la porte de l’organisation, les militaires se sont affranchis de toute obligation d’organiser des élections présidentielles dans leur pays.
Pour l’heure, aucune date de scrutin n’a été arrêtée au Niger et au Burkina Faso, tandis que l’élection censée se dérouler en février dernier, a été reportée sine die au Mali. Un retour de ces pays dans la CEDEAO les exposerait à des pressions pour engager rapidement un processus de transition démocratique. Or, il est peu probable que les juntes soient pressées d’appeler leurs citoyens aux urnes.
L’élection de Bassirou Diomaye Faye, qui a fait de la fin du CFA la pierre angulaire de son programme économique, pourrait accélérer le processus.
Les prochains mois seront également placés sous le signe des réformes économiques dans la région : les Etats d’Afrique de l’Ouest devront trancher l’épineuse question du franc CFA. Là encore, l’élection de Bassirou Diomaye Faye, qui a fait de la fin du CFA la pierre angulaire de son programme économique, pourrait accélérer le processus.
Les pays de l’Union monétaire ouest africaine devront se mettre d’accord sur les modalités d’une réforme du CFA : faut-il supprimer la monnaie commune ou simplement la réformer ? Quelle convertibilité lui donner ? Et surtout, comment ne pas effrayer les investisseurs étrangers qui plébiscitent largement la stabilité du CFA, tout en donnant des gages aux opinions publiques qui voient dans la monnaie commune une « relique de la colonisation. »
Ukraine, Russie et terrorisme
Enfin, l’arrivée récente d’un nouvel acteur sur le théâtre sahélien, l’Ukraine, pourrait contribuer à fragiliser un peu plus les équilibres régionaux. Plusieurs Etats africains accusent Kiev d’avoir prêté main- forte à des rebelles touaregs face aux forces armées maliennes épaulées par des mercenaires de Africa Corps (anciennement Wagner) cet été.
Le porte-parole des renseignements militaires ukrainiens avait confirmé au mois de juillet être en lien avec les rebelles indépendantistes du nord du Mali que combattent Bamako et Moscou. Une manière pour Kiev de venir déstabiliser la Russie sur son terrain africain.
De leurs côtés, les Occidentaux, au premier rang desquels figure la France, semblent momentanément hors-jeu dans les pays du Sahel qui ont les uns après les autres dénoncés les accords militaires qui les liaient à l’ancienne puissance coloniale.
Le réchauffement des liens diplomatiques entre la Russie et le Tchad, dernier bastion militaire français dans la région avec le Sénégal, pourrait de son côté accélérer encore le désengagement français en Afrique de l’Ouest.
Par ailleurs, la menace terroriste au Sahel est toujours loin d’être contenue : l’année dernière, Le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Nigeria faisaient partie des dix pays les plus affectés par le terrorisme dans le monde, selon The Institue of Economics & Peace.
Pour endiguer cette spirale de violence, tout en s’affranchissant de la présence de soldats occidentaux sur leurs sols, les Etats d’Afrique de l’Ouest n’auront d’autre choix à l’avenir que de renforcer leur coopération.
Pierre Favennec
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