Turquie

L’inflation atteint 36,08% sur un an, en Turquie

L’inflation, sept fois supérieure à l’objectif initial du gouvernement turc, est hors de contrôle : en décembre, elle a atteint 36,08% de hausse sur un an. Ce record est dû à la dégringolade de la livre turque qui place le président Recep Tayyip Erdogan en position inconfortable, à dix-huit mois de la prochaine élection présidentielle.

Dans les supermarchés, les étiquettes ne cessent d’être réimprimées. Car en Turquie, les prix changent vite et tout le temps : la farine et le poulet ont augmenté de 86 %, le pain de 54 %, l’huile de tournesol de 76 %.

En décembre, la hausse des prix à la consommation a atteint 36,08 % sur un an (contre 2,8 % sur un an en novembre, en France). Et la situation pourrait en réalité être pire : l’opposition et une partie de la population accusent l’Office national des statistiques (Tüik) de sous-estimer sciemment et largement la hausse des prix.

Cette inflation folle, que le pays n’avait pas connue depuis septembre 2002, découle d’un effondrement de la monnaie. Depuis le début de l’année 2021, la livre turque a perdu près de la moitié (45 %) de sa valeur face au dollar. Si bien que des millions de Turcs peinent désormais à se loger et à se nourrir, même au sein de la classe moyenne. Le 12 décembre, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre la baisse de leur pouvoir d’achat.

Comment en est-on arrivé là ?
Plusieurs éléments ont déclenché la tempête que traverse l’économie turque. Totalement dépendante de l’extérieur pour s’approvisionner en gaz et en pétrole, la Turquie subit de plein fouet la hausse du cours des hydrocarbures. Depuis la tentative de coup d’État en 2016, la situation politique turque connaît par ailleurs des turbulences qui effraient les investisseurs étrangers.

Or, la Turquie en dépend aussi beaucoup. Enfin l’économie turque manque de capacités à fabriquer des produits à forte valeur ajoutée, et n’est plus aussi compétitive que la Chine, par exemple, sur les produits à faible valeur ajoutée. « Elle se retrouve prise en étau entre les pays émergents et développés », résume l’économiste Rémi Bourgeot.

Toutes ces fragilités structurelles sont amplifiées par « les décisions inopportunes » du président turc Recep Tayyip Erdogan, souligne le géopolitologue Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Selon les théories économiques classiques, des taux d’intérêt élevés permettent de faire baisser les prix : en réduisant les emprunts, la masse monétaire en circulation diminue et freine l’inflation. C’est d’ailleurs ce qu’envisagent de faire les États-Unis en 2022 pour éviter que les prix à la consommation ne s’emballent.

Recep Tayyip Erdogan, lui, pense l’inverse. Des taux faibles réduiraient les charges financières des entreprises, ce qui les inciterait à baisser leurs prix. Effectivement, les exportations bénéficient de cette situation. Les chiffres sont bons, mais ils sont presque noyés par une série d’aspects négatifs : l’inflation, sept fois supérieure à l’objectif initial du gouvernement, est hors de contrôle.

« Outre ses prétentions à s’improviser économiste, Erdogan ponctue nombre de ses discours par des accusations de type complotiste sur des puissances qui en voudraient à la Turquie, il parle aussi du ’lobby des taux d’intérêt’, poursuit Didier Billion, auteur de « La Turquie, un partenaire incontournable » (éd. Eyrolles). On retrouve aussi beaucoup de références religieuses condamnant les taux d’usure, alors même que les pays du Golfe, eux, ne crachent pas dessus. Cette rupture avec le principe de réalité est très inquiétante. »

Quelles conséquences ?
L’UE ne sera pas affectée par l’instabilité monétaire turque. « Il n’y aura pas de tarissement de livraisons de produits turcs, au contraire, ils nous reviennent moins cher », explique Didier Billion. « Sa stratégie, personne ne la comprend vraiment, mais on peut supposer que la Turquie pourrait redevenir la Chine de l’Europe qu’elle était il y a 25 ans, un pays-atelier pour faire tourner l’industrie avec une main-d’œuvre à bas coût », abonde Guillaume Perrier, auteur de « Dans la tête d’Erdogan » (éd. Actes Sud).

En revanche, les importations deviennent de plus en plus problématiques. Dans ce contexte politiquement explosif, le président Erdogan a relevé le salaire minimum au 1er janvier de 2 825,90 à 4 253,40 livres (environ 275 euros), soit une hausse de 50 %… en grande partie effacée par la conjoncture. « Je crains que toutes les hausses de salaires n’aient fondu en deux mois », a réagi lundi sur Twitter Gizem Öztok Altinsaç, économiste en chef de l’organisation patronale turque Tüsiad.

« Quand la démocratie patinait, il y avait au moins l’économie, relève Guillaume Perrier, qui s’inquiète de « l’appauvrissement très rapide de la population », touchant tout particulièrement la jeunesse, et de « la fuite des cerveaux ».

La crise touche tous les secteurs. Les producteurs de noisettes dans le pays, premier exportateur mondial, eux aussi appauvris, sont contraints de ralentir leur activité. Pour cultiver des noisettes, il faut de l’engrais : or, il coûte trois fois plus cher que l’an dernier.

Les livres deviennent un luxe, relève Courrier International, car le secteur de l’édition est très dépendant des importations de papier. En l’espace d’un an, « le prix du papier est passé de 700-800 dollars (618-707 euros) à 1 500 dollars (1 325 euros) » la tonne, explique à l’AFP Haluk Hepkon, propriétaire de la maison d’édition Kirmizi Kedi. Une hausse subite qui se répercute forcément chez les libraires.

Quelles solutions ?
Il faudra recourir à une acceptation du relèvement des taux d’intérêt. Et « rétablir la confiance », prône Didier Billion. D’abord au sein de la classe moyenne turque, l’une des bases électorales d’Erdogan. Or, avec la crise actuelle, « elles se détachent peu à peu de lui, ce qui va lui poser des difficultés » lors de la prochaine élection présidentielle, dans 18 mois. Rétablir aussi la confiance auprès des investisseurs étrangers, éléments nécessaires pour relancer la machine économique turque. « Mais la stratégie liberticide du président n’y est pas favorable. Et tant qu’il sera au pouvoir, il poursuivra la même politique. »

Par Anissa Hammadi

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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