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L’huître de mangrove, une perle à cultiver pour le Sénégal

Encore peu exploitée, la ressource serait prometteuse de nouveaux revenus. Au risque d’abîmer un écosystème très protecteur pour le littoral et déjà très fragilisé.

Derrière le bourg de pêche de Joal-Fadiouth à 120 km au sud de Dakar, les eaux salées bordées de mangrove regorgent d’huîtres, source d’aliments protéinés encore mal exploitée mais prometteuse de nouveaux revenus.

Bintou Sonko, la cinquantaine, est l’une des nombreuses femmes qui font vivre des familles entières en récoltant les mollusques marins. « C’est un travail épuisant qui demande beaucoup de moyens. Malheureusement nous n’en avons pas », se désole-t-elle assise dans l’eau devant une bassine de Crassostrea gasar, la variété locale présente à l’état naturel sur les racines des palétuviers.

En ces temps d’insécurité alimentaire et de surpêche maritime, le Sénégal rêve d’une ostréiculture moderne, productive, durable. Mais l’activité largement informelle, avec quelques milliers d’emplois, dont 90 % de femmes, reste centrée sur la cueillette traditionnelle.

En 2017, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), seulement 400 tonnes de la production sénégalaise provenaient de parcs à huîtres tandis que 15 600 tonnes étaient prélevées dans la mangrove du delta du Sine Saloum, de la Petite-Côte au sud de Dakar ou de Casamance, dans le sud du pays. A titre de comparaison, la Chine, premier producteur mondial, en récolte 3,5 millions de tonnes par an, selon l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).

Aller « vers l’élevage »
Au Sénégal, l’huître est la plupart du temps séchée, puis cuite au feu de bois. Son goût iodé et fumé, croustillant à l’extérieur et tendre à l’intérieur, la rend populaire sur les marchés locaux. Elle se vend aussi bouillie.

« La production d’huîtres est en deçà du potentiel », reconnaît Boubacar Banda Diop, chargé de l’ostréiculture au ministère de la pêche, affirmant que l’Etat a établi ces dernières années « un plan de développement », notamment pour améliorer les conditions sanitaires de la production. Il importe de mettre en place un suivi de la qualité des eaux car les zones de production « sont soumises à des contaminations chimiques, biologiques, microbiologiques et par microalgues », explique-t-il.

Parallèlement, plusieurs programmes de coopération se sont penchés sur l’huître sénégalaise. Le programme « FISH4ACP », lancé en 2021 par la FAO avec des financements européens, a commencé par dresser un état des lieux de l’activité pour élaborer une stratégie nationale sur dix ans (2021-2031). Les objectifs : améliorer les conditions sanitaires, les techniques de production et aller « vers l’élevage ».

La Cabane penchée, petite exploitation à La Somone (sud), adhère déjà à ces principes depuis trois ans. « Nous avons doublé notre capacité de production comparée à 2021, passant de 3 à 6 tonnes annuelles », explique à l’AFP Khadim Tine, le patron de l’entreprise qui produit des huîtres en parc.

Mais de telles prouesses ne vont pas de soi. Pour Mamadou Bakhoum, président de l’Association intervillageoise de Dassilamé Serere (sud), « la ressource en huîtres est à un niveau inquiétant. La salinité est trop élevée par endroits », explique-t-il, citant le réchauffement climatique comme l’une des causes de cette situation.

M. Bakhoum estime toutefois que « pour peu que les gens s’y mettent sérieusement, les pistes de développement de l’ostréiculture sont colossales ».

Guirlandes et pieux
Un autre défi est de concilier hausse de la productivité et préservation de la mangrove. Ecosystème tolérant au sel et caractéristique des côtes tropicales, la mangrove se dégrade au Sénégal comme ailleurs sous l’effet de la surexploitation de ses ressources, du développement, de l’aquaculture et de la montée des eaux. Or elle joue un rôle important de barrière contre l’érosion et les inondations et de puits à carbone.

Abdou Karim Sall, président de l’Aire marine protégée de Joal-Fadiouth, aide les cueilleuses d’huîtres à « monter des guirlandes ». Suivant ce procédé, les naissains se développent sur des fils tendus entre des branches d’eucalyptus soutenus par des pieux plantés dans la vase. Les cueilleuses ne prélèvent plus les huîtres sur les racines. « Cela permet non seulement de laisser la mangrove tranquille mais que les femmes gagnent plus d’argent », explique-t-il. Mais l’achat de guirlandes et de pieux n’est pas à la portée de tous dans cette région pauvre.

Augmenter les revenus passe aussi par une production accrue d’huîtres fraîches, qui touchent une clientèle touristique aisée. Selon les professionnels du secteur, la douzaine d’huîtres fraîches du Sénégal se vend entre 4 500 et 6 000 francs CFA (6,80 et 9,10 euros), et le kilo d’huîtres cuites, qui nécessite au moins trois bassines de 15 douzaines, se vend de 4 000 à 6 000 francs CFA alors que le salaire mensuel moyen sénégalais s’élève à 71 542 francs CFA (109 euros).

Or les infrastructures pour conserver et transporter l’huître fraîche sont encore rares. La modernisation de l’ostréiculture sénégalaise « dépend surtout des moyens financiers et techniques », dit M. Diop, au ministère de la pêche.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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