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L’Etat belge en procès pour « crimes contre l’humanité » pour cinq femmes métisses arrachées à leurs mères noires au Congo il y a environ 70 ans

Cinq femmes métisses arrachées à leurs mères noires au Congo il y a environ 70 ans ont exigé jeudi des réparations à l’Etat belge, accusé devant le tribunal de Bruxelles de « crimes contre l’humanité » pour des faits commis sous l’ère coloniale.

A l’âge de deux, trois ou quatre ans, ces femmes qui sont aujourd’hui grands-mères ont été retirées de force à leur famille maternelle, puis placées dans une institution religieuse située « parfois à des centaines de km », a expliqué Me Michèle Hirsch, avocate de Léa, Monique, Simone, Noëlle et Marie-Josée, toutes nées de l’union entre une mère congolaise et un Blanc, présentes à l’audience entourées de proches.

« Je les appelle par leur prénom, car leur identité leur a été enlevée. Elles ont été sans voix pendant près de 70 ans, incapables de raconter », a lancé l’avocate.

« Durant la colonisation, le métis était considéré comme une menace pour la suprématie de la race blanche, il fallait l’écarter », a relaté Me Hirsch, parlant d’un « système généralisé » mis en place par l’Etat belge.

Les avocats de l’Etat devaient ensuite prendre la parole. Ils contestent les faits et la qualification retenue par les plaignantes. Les « crimes contre l’humanité » sont imprescriptibles en droit belge, comme les crimes de génocide et crimes de guerre.

Ce procès est le premier en Belgique à mettre en lumière le sort réservé aux métis nés dans les anciennes colonies belges (Congo, Rwanda, Burundi), jamais officiellement recensés mais dont le nombre est généralement estimé autour de 15.000.

La plupart des enfants nés de l’union entre une Noire et un Blanc n’étaient pas reconnus par leur père, et ne devaient se mêler ni aux Blancs, ni aux Africains.

Conséquence pour beaucoup: la mise sous tutelle de l’Etat et le placement en orphelinat moyennant le versement de subventions à ces institutions, généralement gérées par l’Eglise catholique.

« Ségrégation ciblée »
« A l’école, on nous traitait de café au lait. Nous n’étions pas acceptés », s’est souvenue une des plaignantes, Simone Ngalula, lors d’un entretien avec l’AFP en septembre 2020.

« On nous appelait les enfants du péché. Un Blanc ne pouvait pas épouser une Noire. L’enfant né de cette union était un enfant de la prostitution », a raconté Léa Tavares Mujinga, née d’un père portugais et enlevée à l’âge de 2 ans dans les années 1940.

Aux yeux des plaignantes, les excuses formulées en 2019 au nom de l’Etat par le Premier ministre belge doivent être suivies de réparations. Charles Michel, désormais président du Conseil européen, avait alors reconnu « une ségrégation ciblée », et déploré des « pertes d’identité » avec la séparation des fratries, y compris au moment des rapatriements en Belgique après l’indépendance du Congo en 1960.

« On nous a détruites. Les excuses, c’est facile, mais quand on pose un acte il faut l’assumer », a soutenu Monique Bitu Bingi, lors d’une conférence de presse avec les quatre autres plaignantes avant le procès.

Elle a dénoncé « un deuxième abandon », lorsque après l’indépendance, ces fillettes n’ont pas pu monter dans les camions de l’ONU pour être rapatriées avec les Occidentaux.

Le précédent australien
L’autorité du nouveau pouvoir congolais était contestée, des heurts ont éclaté, certaines disent avoir été victimes d’abus sexuels de la part des rebelles.

Toutes réclament aujourd’hui à la justice belge « une somme provisionnelle de 50.000 euros » et la nomination d’un expert pour évaluer leur préjudice moral.

Jeudi les plaidoiries devant le tribunal civil de Bruxelles ne devaient pas excéder trois ou quatre heures. Le jugement sera mis en délibéré et ne devrait pas être rendu avant plusieurs semaines.

Michèle Hirsch défend les plaignantes au côté de Christophe Marchand, avocat de la famille de l’ex-Premier ministre congolais assassiné Patrice Lumumba, dans une autre procédure encore en cours à Bruxelles.

Ils citent en exemple les dédommagements promis par les autorités canadienne et australienne pour réparer le placement forcé, pendant des décennies, des enfants autochtones dans des pensionnats ou des familles blanches.

En août, l’Australie avait annoncé le versement d’une indemnisation de 75.000 dollars – soit près de 47.000 euros – à de nombreux aborigènes retirés de force à leur famille lorsqu’ils étaient enfants. Le Premier ministre Scott Morrison avait qualifié ces politiques d’assimilation de période « honteuse » de l’histoire du pays.

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