CybercriminalitéSociété

Les séquences du déshonneur

La diffusion de vidéos intimes par fuite ou vengeance, devient de plus en plus récurrente au Sénégal. Et dans la plupart du temps, les images sont prises dans le cadre privé, mais finissent par se retrouver sur la place publique.

La tendance est préoccupante. En effet, il est de plus en plus fréquent de voir une sextape dévoilée par l’un des partenaires ou bien une tierce personne malintentionnée. Ce qui était censé être un moment d’intimité et de plaisir, du moins, pour l’un des partenaires, finit par être dévoilé au grand public. Et malgré les cas qui font les choux gras de la presse, la pratique continue de plus belle. Et, de plus en plus, les comptes se soldent à la barre.

Les procès pour diffusion de vidéos intimes ou images obscènes, sextorsion, chantage, entre autres délits, se multiplient. Mais dans la majeure des cas, c’est pour se venger après une rupture. Les cas de chantage, dans le but d’extorquer des fonds, commencent aussi à être nombreux. L’une des histoires les plus récentes et marquantes, date du dernier mois de l’année 2021.

L’affaire a été jugée au tribunal des flagrants délits de Dakar, le 21 décembre 2021. Elle opposait le chef religieux Souhaibou Mané à son ex-conjointe.

Pour se venger de la mère de son fils qui lui aurait refusé la garde de leur chérubin, le mis en cause à tout simplement décidé de rendre publiques les photos de leur intimité. Sentant son image ternie, la victime n’a pas tardé à porter l’affaire devant la justice pour laver son honneur.

Le maître des poursuites avait, à cette occasion, invité le tribunal à être plus sévère, désormais, vis-à-vis de ces personnes qui ternissent à jamais l’image de leurs victimes.

Avant cela, c’est une histoire d’amour entre un imam et une infirmière qui finissait mal et atterrissait au tribunal. Le plaignant, imam El Hadji Aboubacar Diallo, reprochait à l’infirmière Marème Soda Ndiaye de l’avoir humilié en diffusant ses images obscènes.

En effet, pendant leurs escapades en amoureux dans les auberges ou parfois dans le véhicule de son amant, la jeune dame prenait le soin de filmer leur intimité, à son insu. Puis, après 8 ans de relation amoureuse, le couple s’était séparé, avant de se retrouver, quelques années plus tard, pour le plus grand malheur de l’imam dont la vie a basculé, le jour où Marème Soda Ndiaye a partagé ses vidéos obscènes avec ses frères et son épouse.

A l’audience, imam Diallo disait : ‘’ C’était ma petite amie. Grâce à moi, elle a découvert plusieurs endroits huppés. J’ai tout fait pour elle. J’avais confiance en elle et je partageais avec elle mes peines et joies ».

Dépité, le maitre coranique et prêcheur ajoutait que son ex copine l’a humilié, parce qu’il avait refusé d’offrir à sa mère, un plat à emporter, lors d’une de leurs sorties. Il soutenait que la prévenue avait mal pris son refus.

Mais, Marème Soda avait donné une toute autre explication à son acte, après avoir précisé qu’elle n’avait envoyé la vidéo qu’au petit frère de la partie civile. Elle disait avoir agi de la sorte parce que les proches de son ex amant la traitaient de ‘’pute’’.

« Il leur a fait croire que c’est moi qui lui courais après. Alors qu’à chaque fois, c’est lui qui venait vers moi. Pis un vendredi, alors qu’il devait aller à la mosquée, il est venu chez moi. Dans son véhicule, il a exhibé son sexe et m’a demandé de lui faire plaisir. C’est là que je l’ai filmé », avait-elle avoué. Elle s’en était tirée avec une peine de 3 mois assortie du sursis.

Vengeance
Le 21 septembre 2021, le tribunal de Dakar a jugé un contentieux opposant le restaurateur Boulaye Ndiaye à son ex-dulcinée Dioba Ndiaye. Les deux tourtereaux voulaient s’unir devant Dieu et les hommes, mais ils se sont heurtés au véto de la mère de la demoiselle. Malgré cela, Boulaye Ndiaye n’a pas voulu lâcher l’affaire. Pas question, pour lui, de voir Dioba dans les bras d’un autre homme. Il a alors diffusé des images compromettantes de son ex dans des groupes WhatsApp.

‘’C’est lors d’un appel vidéo qu’il a fait une capture d’écran qu’il a gardée. En plus de cela, il a envoyé un message vocal à Sira pour lui dire que j’ai entretenu plusieurs rapports sexuels avec lui’’, s’était désolé la jeune dame.

Pour se disculper, Boulaye Ndiaye, après avoir reconnu la paternité de ces images, avait réfuté leur diffusion dans les réseaux sociaux. Il disait avoir perdu son portable pendant les fêtes de Tabaski, avant de présenter ses excuses. Mais la représentante du ministère public avait requis deux ans d’emprisonnement dont six mois ferme contre lui, car elle estimait que ses excuses ne pouvaient réparer le mal qu’il avait causé à la partie civile. Au final, le tribunal lui a infligé une peine d’emprisonnement de 2 ans dont 1 an ferme, plus que les 6 mois requis par le parquet.

Le cas du le chef religieux Souhaibou Mané est aussi emblématique des ravages causés par ce phénomène. En effet, pour se venger de son ex épouse qui a refusé de lui laisser la garde de leur fils de 3 ans, il a divulgué les images intimes d’elle, avant de partager des vidéos de leur intimité, alors qu’ils étaient encore mariés. Cela a eu des conséquences fâcheuses sur la carrière musicale de la dame et sa réputation.

Face au juge du tribunal des flagrants délits de Dakar, elle renseignait que ce n’était pas la première fois qu’elle trainait son ex-époux à la barre. « Je l’avais amené ici, car il m’avait battue jusqu’à causer mon avortement.

Cette fois-ci, il a voulu ternir mon image, en divulguant les vidéos de notre intimité. Toute cette animosité, car j’ai refusé que mon fils habite chez lui ».

La plaignante ajoutait avoir été contrainte de fermer sa page YouTube, car, son ex menaçait de divulguer ses photos et vidéos intimes dans les commentaires.

Poursuivi pour atteinte à la vie privée d’autrui et diffusion d’images à caractère obscène, Souhaibou Mané avait regretté son acte. Après avoir reconnu qu’il détenait les images obscènes de son ex-femme, il confessait : ‘’Je n’ai envoyé la vidéo qu’à un ami’’. ‘’En tant que chef religieux, devrais-tu garder de telles images ? », lui avait demandé le substitut du procureur de la République. D’une voix hésitante, l’homme rétorquait : ‘’non’’.

En 2019, la ville de Touba avait également été secouée par une affaire de mœurs, mettant en scène des proches de la famille maraboutique. La victime dans cette affaire était Sokhna Tayratou Mbacké, fille de Serigne Abdoul Ahat Mbacké dont des photos nues d’elle avaient été partagées dans les réseaux sociaux par la femme de son ex-amant, fille d’un conseiller municipal à Touba.

A ces exemples, on peut ajouter, en 2020, les vidéos d’une bande d’adolescents s’adonnant à des pratiques indécentes dans un appartement de la cité Mixta. D’autres Sénégalais, célèbres comme anonymes, ont également été acteurs de ces scènes choquantes.

Les mises en garde de CDP
Dans ces cas de figure, la Commission des données personnelles (CDP) rappelle que ‘’toute publication qui part d’une intention malveillante de nuire ou de ternir l’image ou la réputation d’une personne, peut avoir des conséquences désastreuses. (…) La divulgation d’une photo compromettante sur un réseau social peut salir durablement la réputation d’une personne’’.

Cependant, dans un entretien, le chef de la Division du contentieux à la CDP précisait sur la question, que ces vidéos privées devenues publiques sont plus liées à la vie privée et à la cybercriminalité qu’à la protection des données. Leur diffusion est considérée par le Code pénal comme une infraction avec des sanctions pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

Par conséquent, Siradiou Bâ fait savoir que, dans ces situations, la CDP ne peut qu’accompagner la victime pour demander le retrait du contenu auprès des géants du net ou saisir le procureur, comme l’impose la loi, en cas de constatation d’une infraction où les données personnelles sont utilisées.

VENUE À LA RESCOUSSE DES VICTIMES : La CDP reçoit plusieurs plaintes par an
Pour aider les populations à préserver leurs images et à sécuriser leurs données personnelles, la Commission de protection des données personnelles (CDP) a été mise en place. Instituée par la loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008, elle est chargée de vérifier la légalité de la collecte et du traitement des données personnelles des sénégalais et de s’assurer que toutes les précautions sont prises pour qu’elles soient sécurisées.

Durant le premier trimestre de l’année 2021, la CDP a reçu 12 plaintes et signalements. Et sur ces plaintes et signalements, 3 concernaient la diffusion d’images intimes. Au second trimestre, le nombre de plaignants en la matière connut une légère baisse. En effet la commission n’a reçu que 2 plaintes. Le même nombre a été comptabilisé durant le troisième trimestre. En outre, au quatrième trimestre de l’année 2021, sur 18 plaintes et signalements reçus, la CDP a traité 4 plaintes contre X pour chantages et menaces de divulgation de vidéos et photos intimes.

Dans ces cas de figure, la Commission des données personnelles (CDP) rappelle que ‘’toute publication qui part d’une intention malveillante de nuire ou de ternir l’image ou la réputation d’une personne, peut avoir des conséquences désastreuses. (…) La divulgation d’une photo compromettante sur un réseau social peut salir durablement la réputation d’une personne’’.

Si une bonne partie des dossiers sont traités et bouclés à la Commission, d’autres sont transmis au Procureur de la République pour qu’une action en justice soit ouverte.

En outre, la CDP, en application des articles 363 bis et 431-19 de la loi n°2016-29 modifiant le Code pénal, et pour plus de célérité dans le traitement desdites plaintes, invite les plaignants à saisir directement, la Division Spéciale de la Cybersécurité de la police, en leur recommandant de rompre tout contact avec la personne mise en cause ; à ne pas céder aux chantages et d’éviter de verser une somme d’argent.

Elle recommande également de faire des captures d’écran de ses échanges sur WhatsApp, des vidéos et photos… à titre d’éléments matériels pouvant servir de preuves

D’ailleurs, dans un entretien, le chef de la Division du contentieux à la CDP précisait sur la question, que ces vidéos privées devenues publiques sont plus liées à la vie privée et à la cybercriminalité qu’à la protection des données. Leur diffusion est considérée par le Code pénal comme une infraction avec des sanctions pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

Par conséquent, Siradiou Bâ fait savoir que, dans ces situations, la CDP ne peut qu’accompagner la victime pour demander le retrait du contenu auprès des géants du net ou saisir le procureur, comme l’impose la loi, en cas de constatation d’une infraction où les données personnelles sont utilisées.

HABIBATOU TRAORE

Articles Similaires

1 sur 216

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *