Côte d'Ivoire

Les Ivoiriens protestent contre la gestion «opaque» de l’exploitation du pétrole

C’est une «malédiction» bien connue dans les pays africains: en Côte d’Ivoire, les habitants de la région pétrolifère de Jacqueville se disent «marginalisés» et veulent désormais bénéficier des retombées de l’exploitation de l’or noir. Au bout d’une route cahoteuse et poussiéreuse, le bourg d’Addah, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Abidjan, est devenu l’épicentre des revendications des villages de la région.

Au moment où des ouvriers s’activent à poser un troisième oléoduc qui doit traverser sur plusieurs kilomètres des champs de cocotiers et des villages, une cinquantaine de personnes réunies sur la place d’Addah, sont vent debout contre la gestion jugée «opaque» de l’exploitation du pétrole.

«Je n’arrive pas à comprendre qu’un village qui abrite une plate-forme pétrolière n’ait aucune caserne de pompiers, ni un collège, et que les hôpitaux ne soient pas approvisionnés» s’étrangle Jean Biatchon N’Drin, 32 ans.

«Abandonnés»
«Ici on ne voit aucune retombée du pétrole sur notre vie (…) depuis ma naissance on exploite le pétrole et moi je vis dans la pauvreté» se plaint Duval Nevry, 27 ans, dreadlocks sur la tête. «On se sent abandonnés, l’État nous a oubliés», martèle-t-il, le regard tourné vers les plates-formes gazières et pétrolières, visibles depuis les côtes sablonneuses du village. Justin Dagry Yessoh, pêcheur de profession, se joint au concert de critiques: «l’activité de la pêche n’est plus rentable depuis la présence des pipelines», assure-t-il.

Leader mondial du cacao avec 40% des parts de marché, la Côte d’Ivoire est pour l’heure un modeste producteur de pétrole (36’000 barils/jour en 2019), exploité par plusieurs compagnies étrangères au large de Jacqueville.

Comme de nombreux pays en développement, la Côte d’Ivoire a du mal à faire de ses matières premières une source de croissance qui bénéfice à ses populations. En 2018, la production de pétrole brut a rapporté plus de 500 milliards de francs CFA (806,5 millions de francs), selon l’ONG Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE).

Le Conseil pétrole-gaz, structure réunissant élus locaux et habitants, créée en 2008 pour faire l’interface entre les pétroliers et les populations et redistribuer la manne de l’or noir, est la cible des critiques des habitants qui lui reprochent son inaction.

Mais son président Léon Lobo, se défend en rappelant que tous les financements passent par l’État ivoirien. «On ne reçoit pas d’enveloppe des pétroliers pour réaliser nos projets», explique-t-il, vantant toutefois la construction de logements, de marchés, de centres de santé, de châteaux d’eau, des écoles, pour un coût global de 800 millions de FCFA (près de 1,3 million de francs).

«Tout ce qui doit revenir à la région de Jacqueville passe par l’État. Au point où, même pour offrir une aiguille, le conseil doit avoir l’aval de l’État», abonde Francis Lézou Bombro sénateur de Jacqueville.

«Malédiction du pétrole»
Certains analystes pointent également la faiblesse de la part de l’État dans le partage du gâteau pétrolier avec les compagnies étrangères. Alors que la Côte d’Ivoire a récemment annoncé une «découverte majeure» de pétrole et de gaz naturel au large de ses côtes, des experts plaident pour une meilleure utilisation de cette exploitation.

«La malédiction du pétrole c’est lorsque (…) les recettes fiscales se volatilisent, que l’intégration du secteur pétrolier dans le reste de l’économie ne se réalise pas et que les ressources tirées du pétrole impactent de manière négative la qualité de la gouvernance et des institutions», avertit l’économiste Jean Etté.

Pour M. Etté, également porte-parole de «Jacqueville propre», une association de la société civile, «il faudra faire vite» pour «désamorcer la bombe sociale», car la jeunesse locale est prête à «manifester plus qu’avant pour se faire entendre».

Cadeau empoisonné
Dans les années 2010, les habitants de Jacqueville avaient déjà manifesté, en érigeant des barricades, brûlant des pneus et bloquant la construction d’un pipeline pour protester contre la mauvaise répartition de la manne pétrolière.

L’heure est donc à la réflexion côté politique pour éviter que la découverte de ces ressources ne se transforme en cadeau empoisonné. Récemment élu député de la majorité, M. Lobo, croit en la «négociation» avec les compagnies pétrolières sur le partage des bénéfices. «Nous tirerons des bénéfices de l’exploitation du pétrole dans la coexistence pacifique avec les pétroliers et en plaçant notre confiance en l’État de Côte d’Ivoire», assure-t-il. «Le pétrole ici ne sera pas une malédiction», veut-il croire.

Pour le sénateur Francis Bombro, également de la majorité, «l’idéal serait que Jacqueville ait un statut spécial, avec un budget spécial d’investissement pour le département».

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