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Les clés pour comprendre le coup d’État au Mali et la démission du président Ibrahim Boubacar Keita

La démission forcée du président malien Ibrahim Boubacar Keïta fait craindre une période de grave instabilité dans le pays.

Une mutinerie qui se transforme en coup d’État. Au Mali, dans la nuit du 18 août au 19 août, le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a annoncé sa démission à la télévision publique, poussé par les soldats désormais au pouvoir. «

Nous avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire », a déclaré celui qui a été présenté comme le porte-parole des militaires, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air. Une nouvelle étape dans la crise traversée par le pays.

Comment en est-on arrivé là ?
Depuis plusieurs mois voire plusieurs années, le pays est plongé dans une crise multidimensionnelle, « qui s’est cristallisée au moment des élections législatives », note Caroline Roussy, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et responsable du programme Afrique/s.

Maintenues, en pleine épidémie de coronavirus, les élections ont été marquées par des enlèvements, dont celui du principal opposant au président, Soumaïla Cissé, et ont fait l’objet de fraudes massives. Trente-et-un députés dont l’élection était pourtant contestée ont notamment été imposés avec l’aval du Conseil constitutionnel. « C’est le vol de trop. […] Cela a accru la défiance des Maliens à l’égard du pouvoir politique alors que le fossé était déjà creusé », note la spécialiste.

Dans la foulée, l’influent imam conservateur Mahmoud Dicko, des partis d’opposition et un mouvement de la société civile ont noué une alliance inédite : le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques du Mali (M5-RFP). Ils appelaient alors à manifester pour réclamer la démission du président, dénonçant de concert l’impuissance du pouvoir face à l’insécurité, le marasme économique et la décision de la Cour constitutionnelle. Des manifestations ont éclaté, dont certaines ont fini dans le sang. Le régime a finalement basculé ce mardi, quand une mutinerie de soldats s’est transformée en coup d’Etat.

Que souhaite faire l’armée ?
Difficile encore de le savoir réellement. Dans une première déclaration, « les mutins » se sont voulus rassurants à l’égard de la communauté internationale, en promettant à la fois de respecter les accords signés dans le passé, tel que le processus d’Alger -l’accord de paix signé en 2015 entre Bamako et les groupes armés du nord du pays-, et d’organiser des élections.

« Évidemment, ils font un geste car ils ont besoin d’être légitimés par la communauté internationale. D’autant que la CEDEAO (NDLR : Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) a promis des sanctions », assure Caroline Roussy. Mais de nombreuses zones restent à éclaircir. « Ils n’ont pas dit combien de temps ils allaient rester, et quelle attitude ils allaient avoir à vis du M5. »

Qu’en pense la population sur place ?
De nombreux observateurs et journalistes locaux ont fait état d’une « liesse » populaire après l’annonce de la démission du président Keïta.

Une satisfaction de la population qui ne vaut pas un soutien total à l’armée, note la chercheuse à l’Iris. « C’est vrai que quand on voit les scènes de l’extérieur, il y a toujours une émotion de voir un peuple se soulever pour sa liberté. La démocratie devrait passer par les urnes, mais lorsque les urnes sont truquées, la seule voie (et voix) reste celle de la rue. Et il y a une forme d’émotion devant cette liesse. Mais attention, cette liesse est très circonscrite, on ne sait pas comment le reste du pays a réagi », tempère-t-elle.

Quel rôle pour la communauté internationale ?
Si elle a unanimement condamné le putsch survenu cette nuit, appelant à la libération d’IBK, la communauté internationale est aussi face à son propre échec. Et notamment celui de la Cédéao, déployée depuis juin pour des missions de médiation. « Elle a perdu en crédibilité. Car un certain nombre de ses chefs d’États font et défont, sans ambages, les constitutions en fonction de leur propre trajectoire », souligne Caroline Roussy.

Quant à Barkhane, la mission militaire française qui compte encore près de 5000 hommes sur le territoire malien, son bilan est contrasté. « Que Barkhane soit un facteur de déstabilisation, ce n’est pas à exclure. Ce sont des choses qui se mesurent sur la moyenne à longue durée. Ce qui est sûr, c’est que la présence étrangère est toujours perçue comme une armée colonisatrice, ce n’est pas propre à l’Afrique », analyse la chercheuse qui rappelle que la menace djihadiste est loin d’être jugulée dans la région.

Quelles conséquences peuvent avoir ce coup d’État ?
Une instabilité à l’intérieur du pays, mais également à l’extérieur. « C’est un temps qui peut être mis à profit par les groupes extrémistes violents et terroristes pour propager l’insécurité à l’intérieur du pays », selon Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité de Bamako, interrogé sur RFI.

« Cela peut gagner les pays voisins », renchérit de son côté Caroline Roussy. « Quand on peut faire tomber un chef d’État car il ne respecte pas la constitution, alors qu’il s’agit du socle premier, cela peut avoir de l’influence sur d’autres pays. Cela peut créer une forme d’appétence, voire d’engouement », avance Caroline Roussy.

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