Surendettée, la compagnie nationale sénégalaise paie aujourd’hui ses mauvais choix stratégiques, et ses investissements massifs dans des Airbus flambant neufs. Décryptage d’un naufrage programmé.
Air Sénégal : comment éviter le crash ?
Macky Sall a-t-il causé la quasi-faillite d’Air Sénégal dont il voulait faire l’un de ses fleurons nationaux, lorsqu’il a lancé la compagnie en 2017 ? Sept ans après sa création, le constat est sans appel : à la mi-2024, l’endettement d’Air Sénégal – qui n’a jamais publié ses comptes – est évalué par le ministère de tutelle à près de 100 milliards de francs CFA, soit environ 150 millions de dollars. Et les mouvements d’avions d’Air Sénégal sur la période allant de janvier à mai 2024 ont chuté de 14,4 % par rapport à l’année précédente (440 opérations de moins).
Cette situation financière délicate trouve en grande partie son origine dans les choix stratégiques qui ont été pris dès le début par les dirigeants de la compagnie aérienne. En effet, comme le révèle Jeune Afrique dans l’enquête sur les raisons de la chute du pavillon sénégalais, l’achat de plusieurs Airbus neufs – sur une courte période – a fortement déséquilibré les comptes de l’entreprise. Cette erreur industrielle a, de facto, provoqué une profonde crise de confiance : les passagers, échaudés par les retards, la qualité de confort discutable de certains appareils loués, voire apeurés par la « sortie de piste » d’un appareil juste après son décollage, en mai dernier, boudent désormais Air Sénégal.
Que pèse, aujourd’hui, la compagnie ? Quels sont les avions qui portent haut ses couleurs ? Dans ce quatrième et dernier volet de notre enquête, JA brosse le portrait de la flotte sénégalaise : des deux A330neo achetés en 2018 lors du salon du Bourget qui ont fait la fierté de la compagnie avant d’être cloués au sol pour des problèmes de maintenance, aux L-410 NG – plus petits et plus légers – achetés pour assurer les vols intérieurs.
Mais plus que les avions qui composent la flotte – qu’ils soient la propriété d’Air Sénégal, de l’État ou qu’ils soient en « dry lease », c’est-à-dire loués sans leur équipage –, ce sont les résultats de l’activité de la compagnie qui donnent à voir l’ampleur des difficultés qu’elle traverse.
En un an, Air Sénégal a vu tous ses indicateurs passer au rouge. Ainsi, si en janvier 2024 la compagnie a enregistré une hausse du nombre de passagers, le premier semestre 2024 a enregistré des baisses mensuelles allant jusqu’à près de 20 % par rapport à l’année précédente. Une décroissance qui trouve écho sur le volume des mouvements aériens, en chute constante entre janvier et mai 2024.
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Maÿlis Dudouet et Nelly Fualdes avec Jeune Afrique
Carlyle Aviation menace de saisir les appareils d’Air Sénégal pour une dette d’environ 10 millions de dollars
« La compagnie aérienne sénégalaise risque d’être dépossédée de ses appareils. C’est en quelque sorte, ce, à quoi s’attèle la société américaine Carlyle Aviation« , selon Pressafrik qui reprend Africa intelligence.
La cause ? D’après la même source, l’américain Carlyle Aviation, qui réclame près de 10 millions de dollars à Air Sénégal, a obtenu de la justice américaine une ordonnance immobilisant quatre appareils loués par la compagnie nationale sénégalaise.
« Une décision qui intervient alors qu’une mission d’Air Sénégal séjourne actuellement discrètement à Miami. La décision a été arrêtée le 21 août 2024. Faisant suite à une réclamation de Carlyle Aviation, la justice américaine a ordonné l’immobilisation de quatre appareils mis à disposition par cette société de location d’avions américaine à Air Sénégal.
La compagnie sénégalaise lui doit près de 10 millions de dollars d’arriérés liés à la location de cinq appareils au cours des derniers mois. Toujours opérés par Air Sénégal, quatre d’entre eux, deux A319 et deux A321, pourraient se voir cloués au sol, faute d’accord à l’amiable entre les deux parties dans les prochaines heures. La compagnie sénégalaise, qui fait voler actuellement huit avions, se verrait alors amputée de la moitié de sa flotte… Le timing de cette décision de justice est loin d’être anodin.
Si elle n’a pas encore été communiquée de manière officielle, celle-ci a été émise quelques heures avant que deux hauts représentants d’Air Sénégal n’arrivent aux États Unis. Composée du président du conseil d’administration de la compagnie, le général Joseph Diop, et de sa directrice juridique, Dolores Diop, la délégation s’efforce à l’heure actuelle de négocier un compromis avec Carlyle Aviation, dont le siège est à Miami, en Floride« , selon toujours la même source.
Avant de poursuivre : « nommé au début du mois d’août, le nouveau directeur général, Tidiane Ndiaye, n’a, de son côté, pas pu effectuer le déplacement faute d’obtenir un visa. Les dirigeants de Carlyle Aviation espèrent désormais que le court order émis par la justice américaine va inciter la compagnie détenue par l’État sénégalais à honorer ses dettes dans les plus brefs délais.
Si Air Sénégal a versé au loueur 700 000 dollars à la mi-août, ce montant a été jugé dérisoire par l’état-major de Carlyle Aviation au vu de la somme réclamée. Ces derniers mois, l’entreprise américaine a fait parvenir plusieurs mises en demeure à la compagnie sénégalaise, notamment en juin 2024, comme l’a détaillé le mensuel français Jeune Afrique« .
Nos confrères parlent d’un plan de sauvetage de la compagnie aérienne sénégalaise qui reste suspendu sur l’audit ordonné par l’actuel Président Bassirou Diomaye Faye. Ce dernier tient à une mise en œuvre d’un plan de sauvetage et d’un changement de stratégie.
Outre Carlyle Aviation, nos confrères soulignent que « la compagnie sénégalaise a accumulé des retards de paiement auprès d’une poignée d’autres créanciers, parmi lesquels Bpifrance, l’assureur Euler Hermes – détenu par l’allemand Allianz – et l’agence de crédit à l’export UK Export Finance (UKEF).
En 2019, ces trois entités ont financé l’achat de deux Airbus A330 Neo, pour plusieurs centaines de millions de dollars. Une fois Air Sénégal officiellement déclaré en défaut de paiement, ils pourraient, eux aussi, se tourner vers la compagnie pour réclamer le versement de leurs arriérés à courte échéance« .
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