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L’entretien à la télé de Macky Sall: retour sur un exercice chaotique du point de vue journalistique – Par Adama Diouf

Ce qui s’est passé hier sur la RTS1, TFM, Sen TV et 2STV, c’est une atteinte aux normes et pratiques journalistiques. Un président de la République qui paie des groupes de presse qui lui envoient des journalistes dits « indépendants » pour l’interviewer. Ca n’existe seulement qu’au Sénégal.

Même pas dans les dictatures où le tyran se contente seulement des médias publics. Ce qui est extraordinaire, c’est que Macky Sall associe, dans sa propagande politique, des médias indépendants.

Dans ce cas on ne parle plus d’interview, mais de « pseudo-interview » ou « d’interview truquée », selon les formules du journaliste canadien, Claude Sauvé dans son livre, « Faire Dire: l’Interview Radio-télévision ».

Selon M. Sauvé « La pseudo-interview est une conversation à moitié truquée puisqu’elle n’a pas comme objectif premier de dégager une information utile au public, mais plutôt celui de convaincre ce public d’adopter un produit ou une idéologie ». On peut l’appeler aussi un publireportage, c’est à dire une publicité qui prend la forme d’un contenu journalistique.

C’est ce qui s’est passé exactement hier avec Macky Sall. Un journaliste qui se veut crédible ne va jamais se mêler de ce genre d’exercice fantasmagorique ou cosmétique. Au moins qu’il travaille pour une agence de communication ou qu’il soit un agent de relations publiques dans une entreprise ou entité administrative ou politique.

A l’opposée de pseudo-interview, l’interview consiste à poser des questions pour obtenir des réponses qui informent et éclairent. Dans ce cas, l’intervieweur, selon Dominique Payette, ancienne journaliste et professeur agrégée en information et en communication (Canada), joue le « rôle de médiateur entre les événements et le public ».

Il ne doit être « ni complaisant » « ni offensant », mais « parfois offensif et impertinent ». Il « ne se contente pas de lieux communs et de phrases toutes faites, et qui ne se laisse pas raconter n’importe quoi sans réagir ». L’intervieweur doit « soulever les contradictions », « souligner les omissions », « relever les incohérences » et « signaler les mensonges sans jamais accuser son interlocuteur ».

En d’autres termes, il doit adopter la typologie de, ce que Claude Sauvé appelle, « la sellette »-c’est à dire faire asseoir l’invité comme un accusé devant un tribunal. Que ça soit clair, ici, il ne s’agit pas d’accuser son invité, mais de  » mener une démarche d’enquête, de mise au point, de critique ou de controverse ». Si vous avez vu ça hier, veuillez me le signaler s’il vous plaît.

Pourtant les journalistes avaient l’occasion de mettre, à plusieurs fois, le président sur la sellette. La question du mandat par exemple. Ici on n’adopte pas la « typologie » du « divan » ou de « la chaise » parce qu’on connaît déjà la réponse du président. Donc on le met directement sur la sellette en le renvoyant sur la constitution, ses déclarations antérieures et celles de ses plus proches collaborateurs notamment Ismaïla Madior Fall qui était présent dans la salle.

Mais pour réussir un tel exercice, il faut d’abord être libre, c’est à dire refuser l’argent du publireportage et demander une interview à la place.

Donc ce qui s’est passé hier, c’est une mascarade, une propagande honteuse, une entorse aux règles du journalisme.

C’est à dénoncer avec force. Le CNRA ne le fera pas. De même que le SYNPICS et le CORED qui sont pourtant indépendants de l’Etat.

Adama Diouf

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