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Le Nobel de littérature au romancier d’origine tanzanienne Abdulrazak Gurnah

Le Nobel de littérature a sacré jeudi le romancier Abdulrazak Gurnah, né à Zanzibar mais exilé au Royaume-Uni depuis un demi-siècle, pour ses récits sur l’époque coloniale et post-coloniale en Afrique de l’Est et le destin difficile des réfugiés coincés entre deux mondes.

Né en 1948, il est le premier auteur africain à recevoir la plus prestigieuse des récompenses littéraires depuis 2003, et le cinquième du continent au total.

L’écrivain, connu notamment pour ses romans « Paradise » (1994) et « By the sea » (« Près de la mer », 2001) a été récompensé pour son récit « emphatique et sans compromis des effets du colonialisme et le destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents », selon l’Académie suédoise qui décerne le prix.

Ayant des origines de la péninsule arabique par sa famille, il a fui Zanzibar, archipel de l’océan Indien, pour l’Angleterre à la fin des années 60, après l’indépendance de cet ancien protectorat britannique et son union avec le Tanganyka pour former la Tanzanie, à un moment où la minorité arabe était persécutée. Il n’a remis les pieds à Zanzibar qu’en 1984, au chevet de son père mourant.

S’il écrit depuis ses 21 ans, Abdulrazak Gurnah a publié dix romans depuis 1987, ainsi que des nouvelles. Son dernier ouvrage, « Afterlives » (« Vies d’après, ndrl), la suite de « Paradise », se déroule au début du XXe siècle à la fin de l’époque coloniale allemande en Tanzanie.

Il écrit en anglais même si sa première langue d’origine était le swahili.

« Pas les mains vides »
Lors de sa première interview à la Fondation Nobel, le lauréat a appelé l’Europe à changer de point de vue sur les réfugiés d’Afrique et la crise migratoire.

« Beaucoup de ces gens qui viennent, viennent par nécessité, et aussi franchement parce qu’ils ont quelque chose à donner. Ils ne viennent pas les mains vides », a affirmé l’écrivain, soulignant qu’il s’agissait « de gens talentueux et pleins d’énergie ».

Si l’Académie le place dans la tradition littéraire de langue anglaise sous le patronage de Shakespeare et de V.S Naipaul, « il faut souligner qu’il rompt consciemment avec les conventions, bousculant la perspective coloniale pour mettre en valeur celle des populations locales », selon le jury Nobel.

Son oeuvre s’éloigne des « descriptions stéréotypiques et ouvre notre regard à une Afrique de l’Est diverse culturellement qui est mal connue dans de nombreuses parties du monde », a-t-il expliqué.

Jusqu’à sa récente retraite, il était professeur de littérature anglaise et post-coloniale à l’Université du Kent à Canterbury, où il était un fin connaisseur de l’oeuvre du Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka et du Kenyan Ngugi wa Thiong’o, qui figurait parmi les favoris pour le Nobel cette année.

Il est aussi le premier auteur noir africain à recevoir la plus prestigieuse des récompenses littéraires depuis Soyinka en 1986.

« Une blague »
Ce prix est une surprise et de nombreux critiques et éditeurs confessent qu’ils ne connaissaient pas l’écrivain, absent de la liste des pronostics, même comme simple outsider. Son propre éditeur en Suède, Henrik Celander, a expliqué à la presse suédoise qu’il n’aurait jamais imaginé qu’il décroche le Graal littéraire.

Quand l’Académie suédoise a appelé, « j’ai cru à une blague », a pour sa part confié Abdulrazak Gurnah.

Le Nobel de littérature, souvent critiqué pour son eurocentrisme, cherche depuis 2019 à élargir ses horizons géographiques. Même si le président du comité Nobel Anders Olsson avait pris soin de réaffirmer en début de semaine que le « mérite littéraire » restait « le critère absolu et unique ».

En sacrant un auteur dont l’oeuvre est largement centrée sur les questions coloniales et post-coloniales, et sur le thème de l’émigration, le Nobel consacre des thématiques très actuelles.

Le prix est historiquement très occidental. Sur les 117 précédents lauréats en littérature depuis la création des prix en 1901, 95, soit plus de 80% sont des Européens ou des Nord-Américains.

Avec le prix 2021, ils sont 102 hommes au palmarès pour 16 femmes.

L’an passé, la méconnue poétesse américaine Louise Glück avait été sacrée par la plus célèbre des récompenses littéraires pour son oeuvre « à la beauté austère ».

Après les sciences en début de semaine, la saison Nobel se poursuit vendredi à Oslo avec la paix, pour s’achever lundi avec l’économie.

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