C’est sa « maison ». Tout sourire, Younouss s’élance sur le terrain. Arrivé à 13 ans dans l’archipel espagnol des Canaries, ce Sénégalais s’en est sorti grâce au foot et aide aujourd’hui les jeunes migrants à s’intégrer comme lui.
« Je suis arrivé dans une embarcation de fortune. Nous étions 110 », se souvient-il. « J’ai dit au revoir à ma famille ». Le voyage a duré onze jours, « un enfer. Les nuits sont dures, les journées sont dures ».
Younouss Diop a rejoint Tenerife en 2006, année d’une vague migratoire record.
Agé aujourd’hui de 30 ans, il n’oublie pas ses angoisses d’alors, celles qui agitent encore les jeunes migrants venus de pays d’Afrique subsaharienne ayant débarqué ces derniers mois dans l’archipel, où les arrivées ont bondi, tutoyant les niveaux de 2006.
« Tu montes sur la pirogue et la première chose à laquelle tu penses, c’est à la mort, à la peur de mourir. Tu laisses ta famille et tu penses: mourir ou arriver, mourir ou arriver », se souvient-il.
Venu du Sénégal, Younousse Diop est arrivé adolescent par la route migratoire qui mène aux Canaries. Il a trouvé sa voie grâce au football et entraîne désormais, à son tour, des jeunes migrants pic.twitter.com/2xuDA3jzoE
— Le journal Afrique TV5MONDE (@JTAtv5monde) October 27, 2023
Selon Francisca Ortiz, psychologue de l’ONG CEAR (Commission espagnole d’Aide aux Réfugiés), la traversée, souvent meurtrière, des côtes africaines vers les Canaries « est l’évènement le plus traumatisant pour eux, souvent même plus traumatisant que ce qu’ils ont vécu dans leur pays d’origine ».
Les aider à se sentir mieux est un défi, raconte-t-elle, d’autant qu’ils « ignorent même ce qu’est un psychologue ».
Younouss, pour sa part, a surtout été aidé par le ballon rond. Repéré rapidement lors d’un match dans le centre d’accueil où il est hébergé, il intègre les équipes de jeunes du club de Tenerife et évolue ensuite dans plusieurs clubs espagnols de troisième et quatrième divisions.
« Survivants »
Depuis deux ans, il entraîne à son tour de jeunes migrants dans le cadre d’un projet baptisé « Sansofé » (« Bienvenue », dans une langue vernaculaire aujourd’hui en désuétude), initié par l’université La Laguna de l’île et le club de Tenerife, actuellement en deuxième division du championnat d’Espagne.
La plupart de ces mineurs non accompagnés, qui sont plusieurs milliers dans l’archipel, où ils sont pris en charge par les autorités régionales, « ne parlent pas espagnol », explique Antonio Rodríguez, professeur de psychologie à l’université La Laguna. « L’idée est de favoriser leur intégration (pour) qu’ils s’en sortent », poursuit-il.
« Si on se met à leur place et qu’on pense à ce qu’ils ont dû traverser pour arriver ici (…) Ils ont quitté leur chez-eux pour se lancer dans un périple tragique. Ces garçons sont des survivants », ajoute-t-il.
« Le foot attire tout le monde » et le projet « Sansofé » essaye de trouver à ces jeunes des clubs où ils peuvent jouer malgré « l’instabilité » de leur parcours, dit encore Antonio Rodríguez.
« Suivre ses rêves »
Ce matin-là, ils sont une petite quinzaine à fouler la pelouse du centre d’entraînement de Tenerife sous un soleil de plomb.
Entre les coups de sifflet, l’entraîneur donne ses instructions en exagérant ses gestes pour que les jeunes le comprennent.
Les jeunes appellent la balle en wolof. Mamadou Ndoye traduit en espagnol. Ce Sénégalais de 17 ans est arrivé il y a deux ans aux Canaries après onze jours en mer. De la traversée, il ne veut rien dire.
Ce fan du Real Madrid sourit lorsqu’il parle du foot, « qui nous rend heureux depuis qu’on est tout petit », et confie « (son) rêve d’être footballeur, de jouer dans des clubs comme Barcelone, le PSG, ou ici à Tenerife ».
A Tenerife, ils sont nombreux à nourrir le même rêve, comme Abdou, arrivé il y a quatre mois aux Canaries.
Devenu éducateur, Younouss leur explique qu’il faut suivre ses rêves, qu’on veuille être footballeur ou mécanicien.
Mais « ce dont ils ont besoin avant tout, c’est d’être écoutés, qu’on leur prenne la main et qu’on les regarde. Ils ont besoin d’affection, d’un psychologue et d’entrer au plus vite en contact avec leur famille », détaille-t-il.
Younouss se souvient d’avoir dû attendre neuf ans avant de pouvoir retourner chez lui à Gandiol, dans le nord du Sénégal.
« Cela a été des retrouvailles très, très bizarres. Ma mère m’a vu et a dit: ‘mon fils a grandi et je ne l’ai pas vu grandir' ».
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