Le pays a adopté en 2020 une loi interdisant les plastiques à usage unique, mais celle-ci est restée lettre morte en ce qui concerne l’eau en sachet, dont la fabrication et la distribution font travailler des milliers de personnes.
Moussa Ndoye, 28 ans, boit d’un trait deux sachets en plastique d’eau fraîche et les jette sur une plage de Dakar. « Ici, c’est notre poubelle », rigole-t-il devant ses copains approbateurs assis autour du thé à l’ombre d’une grande pirogue.
Ce geste négligent, ils sont innombrables à le faire chaque jour. Les sachets vides transparents, de la taille d’une poche, traînent partout, surtout en ces mois où la température ne descend pas sous les 30 °C. Sur la plage de Hann, ils se mêlent à une masse de déchets drainée par les eaux nauséabondes de canalisations défectueuses. Ils jonchent les abords des stades et le pied des chantiers. Personne n’y prête attention.
« Il y en a beaucoup sur la plage, ça fait partie des déchets plastiques qu’on voit le plus », constate Pape Diop, responsable d’une association de protection de l’environnement. Pratiques, partout disponibles dans les commerces ou auprès des vendeurs de rue, moins chers que les bouteilles, ils font partie du quotidien, même de l’importante corporation des pêcheurs.
« Avant pour boire, ils emportaient des bidons en mer. Maintenant ils utilisent les sachets d’eau puis les jettent. Ces déchets finissent tous ici [sur la plage] car la mer les rejette », rapporte Pape Diop.
Ces sachets sont un produit de consommation courante dans un certain nombre d’autres pays d’Afrique, comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso. Ils sont proscrits au Kenya et au Rwanda, en vertu d’interdictions sur les plastiques à usage unique remontant à 2017 et 2019.
Le Sénégal lui-même a voté une loi analogue en 2020, mais elle est restée lettre morte en ce qui concerne les sachets d’eau. L’Ouganda connaît une situation similaire.
Le recyclage est balbutiant
Conséquence : des quantités de sachets finissent dans la rue, végétant sur le béton dakarois ou disparaissant dans le sable, omniprésent même en ville. Les poubelles publiques sont inexistantes. Le nettoyage laisse à désirer, le recyclage est balbutiant. Plus de 250 000 tonnes de plastique sont jetées chaque année, près de 30 000 seulement sont recyclées, indiquait un rapport du ministère de l’urbanisme en 2022.
Différents interlocuteurs de l’AFP soulignent la nocivité de ces sachets, qui mettent quatre cents ans à se décomposer en microplastiques, selon le professeur Adams Tidjanis, environnementaliste. Non seulement ils polluent les eaux, mais ils obstruent les évacuations et contribuent aux inondations qui affligent chaque année les Dakarois. Il est commun qu’on les brûle, ce qui libère des dégagements toxiques.
La loi adoptée en 2020 complétait une législation de 2015 qui proscrivait la vente de sacs plastiques fins mais n’était guère appliquée. Le nouveau texte visait les plastiques à usage unique et jetables, comme les pailles pour les boissons ou les emballages dans le commerce.
Les autorités avaient presque immédiatement consenti des exceptions, dont les sachets d’eau font partie. Le Sénégal était en plein Covid-19, les restrictions affectaient durement la population, dont une grande partie vit au jour le jour. Le gouvernement avait décidé d’assouplir l’application.
Khadidjatou Dramé, chargée des affaires juridiques au ministère de l’environnement, le reconnaît : « Nos réalités socio-économiques ne nous permettent pas d’aller vers leur interdiction totale. » La fabrication des sachets, dans des unités artisanales ou industrielles, et leur distribution font travailler des milliers de personnes. Si Belle, Mame Dior, Ci Weul, Kontoma… Des dizaines de marques se disputent le marché. Elles se vendent à l’unité ou par lots de 30. Le sachet de 400 ml coûte 50 francs CFA (0,08 euro) et celui de 250 ml 25 francs CFA.
Fabrication clandestine
Amadou Diallo, âgé d’une soixantaine d’années, a lancé la marque Débèya en 2017. Dans sa petite unité de la banlieue dakaroise, l’eau du robinet transite par trois tubes bleus qui renferment du coton, du fil et du charbon.
Le liquide ainsi « filtré » et « purifié », à en croire Amadou Diallo, abonde deux réservoirs superposés de 1 000 litres chacun, qui eux-mêmes approvisionnent une machine d’emballage. L’appareil remplit les sachets, les scelle puis les dépose dans une bassine bleue. Amadou Diallo dit produire de 300 à 400 packs par jour en période de chaleur.
Toutes les marques sont censées disposer d’une autorisation délivrée par les autorités. Certaines ont meilleure réputation que d’autres. Un certain nombre de clients disent s’être déjà posé des questions sur la provenance de l’eau qu’ils ingurgitaient. Beaucoup d’unités de fabrication manquent aux règles d’hygiène, dit le lieutenant Mbaye Loum, responsable au Service national de l’hygiène.
Cela ne freine pas la production, au contraire. Se lancer ne coûte pas grand-chose. Le mètre cube d’eau du robinet coûte 202 francs CFA. « Imaginez : ils filtrent cette eau du robinet, parfois même pas, la mettent en sachet et la revendent, c’est une manne pour eux », dit un responsable de la société d’exploitation et de distribution de l’eau, Sen’Eau, sous couvert de l’anonymat. « On ne peut même pas compter » ceux qui opèrent clandestinement, affirme Amadou Diallo : « Ils installent leur usine dans des maisons fermées et tu ne peux même pas te douter qu’on y fabrique de l’eau. »
Dakarecho avec AFP
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