Lieu du débat démocratique par excellence, l’Assemblée nationale du Sénégal se distingue de plus en plus comme un lieu de règlement de comptes politiques.
En effet, de plus en plus, des parlementaires semblent profiter du privilège de l’immunité parlementaire que leur confère la Constitution pour s’adonner à des déclarations fracassantes jamais prouvées dans le temps, sinon des accusations fallacieuses sur fond de désinformation. Du coup, l’espace de dialogue politique qu’est censé être l’hémicycle se retrouve dénaturé.
D’un lieu par excellence du débat démocratique, serein, courtois et impersonnel » (Article 55 du règlement intérieur) sur les sujets d’intérêt public, l’Assemblée nationale est-elle en train de devenir un espace de non droit où se fabrique la désinformation ? Cette question mérite bien d’être posée au regard de certains faits qui éclaboussent cette institution monocamérale exerçant le pouvoir législatif du Sénégal.
En effet, depuis quelques temps, la solennité de l’Assemblée nationale est gravement perturbée par les comportements de certains parlementaires qui semblent profiter du privilège de l’immunité parlementaire que leur confère la Constitution pour s’adonner à des déclarations fracassantes jamais prouvées dans le temps.
Dernières déclarations en date, les graves accusations du député Makhtar Diop, militant du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr), contre le leader du parti Pastef, dissous par décret présidentiel du 31 juillet, Ousmane Sonko qui aurait reçu de l’argent du Qatar en échange d’un engagement de renégociation des contrats pétroliers et gaziers en cas d’élection à la magistrature.
Prenant la parole lors du débat qui a précédé le vote du budget du ministère du Pétrole et des Énergies, le 25 novembre dernier, à l’Assemblée nationale, le député du groupe parlementaire de la majorité, Benno Bokk Yakaar était allé même plus loin en indiquant que Sonko aurait adressé au Président Macky Sall « une correspondance, signée de sa propre main » dans laquelle il demandait assistance et protection pour sa famille qui subirait des menaces de représailles des bailleurs étrangers du maire de Ziguinchor.
Près d’une semaine après cette sortie qui n’avait suscité aucune réaction mise à part celle du patron du Groupe avenir communication éditeur du journal « Le quotidien » Madiambal Diagne qui a consacré le lundi 4 décembre dernier sa chronique « Les lundis de Madiambal » à ces accusations, le député de Touba est monté au créneau pour enfoncer Sonko.
Dans un entretien accordé à nos confrères du site « Dakaractu.com » hier, mercredi 6 décembre, l’honorable Makhtar Diop, revenant sur les raisons qui l’ont poussé à faire ces accusations contre Sonko, a précisé que sa sortie était en réaction aux accusations de son collègue député Guy Marius Sagna contre Aliou Sall sur les fameux « 400.000 Frs du pétrole et gaz » et Mamour Diallo, ancien directeur des Domaines, sur les 94 milliards.
Des postures répétitives de parlementaires
Il faut dire que ce n’est pas la première fois que la tribune de l’Assemblée nationale est utilisée par des députés pour faire certaines déclarations qui n’ont jamais été prouvés dans le temps. En effet, avant le député Makhtar Diop et son collègue Guy Marius Sagna, l’actuel président du groupe parlementaire de la majorité, Abdou Mbow, avait lui aussi tenté en 2015 de jeter en pâture sa collègue député Aida Mbodji, en l’accusant « de tentative de transhumance » alors que cette dernière était en plein conflit avec son camarade de parti, Modou Diagne Fada, pour le contrôle de la présidence du groupe parlementaire des Libéraux et démocrates.
S’exprimant sur ces accusations, la député-présidente du Conseil départemental de Bambey avait considéré que son jeune collègue, « Abdou Mbow ne mérite pas son mandat de député. Car un représentant du peuple ne peut pas se permettre de mentir de la sorte ».
Toujours, dans cette liste des députés qui se sont illustrés par leurs déclarations fracassantes aux fondements douteux, on peut également citer l’ancienne députée libérale, Fatou Thiam. Invitée à prendre la parole lors du débat qui a précédé le vote du budget du ministère de la Justice le 4 décembre 2013 dans un contexte politique marqué par la traque des biens supposés mal acquis, la parlementaire libérale avait profité de cette présence du ministre de la Justice d’alors, Sidiki Kaba, pour accuser l’actuel chef de l’Etat d’être le « premier des voleurs ».
« S’il y a vraiment une justice équitable dans ce pays, alors nous n’aurons plus de Président de la République, car celui qui nous dirige est le premier des voleurs», avait-elle indiqué.
Le règlement intérieur envoyé aux oubliettes
Toutefois, au-delà des dispositions de l’article 51 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale relatif à l’immunitaire parlementaire qui précise « qu’aucun député́ ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée », ce règlement intérieur de l’Assemblée nationale ne semble pas encourager les déclarations et autres affirmations gratuites lors des débats parlementaires.
En effet, les dispositions de l’article 68 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale relatives aux débats en séances plénières précisent que : « L’orateur ne doit pas s’écarter de la question en discussion, sinon le Président l’y ramène. S’il ne se conforme pas à cette invitation, le Président peut décider que ses paroles ne figureront pas au procès-verbal.
S’il y a persistance dans le refus opposé à l’invitation du Président, l’orateur est rappellé à l’ordre ». N’empêche, beaucoup de députés n’ont pu s’empêcher durant ces deux dernières mandatures, de s’adonner à des accusations légères souventes gratuites mais fortement attentatoires à la crédibilité des institutions, des personnalités publiques et même de leurs propres pairs.
Ce qui démontre à souhait combien l’Assemblée nationale a récusé son statut classique de centre de débat démocratique axé sur les grandes préoccupations des populations et des grands enjeux de l’heure mais surtout d’espace par excellence du dialogue politique.
NANDO CABRAL GOMIS
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