Cambodge

Le Cambodge accentue encore la surveillance en ligne

Kea Sokun, célèbre rappeur cambodgien, a passé des mois en détention pour des clips en ligne jugés subversifs.

Redoutant que le régime accentue encore son contrôle sur l’internet, il cherche des parades pour déjouer la censure.

A partir du 16 février, le trafic web du Cambodge sera connecté au réseau mondial par un portail gouvernemental unique.

Cette « passerelle internet nationale » permettra aux autorités de surveiller les contenus et bloquer des sites ou des communications perçus comme contraires à « la sécurité, l’ordre social, la moralité, la culture… », d’après la nouvelle règlementation.

On va assister à « un niveau de contrôle de l’information inédit depuis la dictature des khmers rouges », s’inquiète Reporters sans frontières, des experts des droits humains de l’ONU évoquant « un impact dévastateur sur la vie privée ».

Opposants, journalistes, militants, artistes redoutent ce nouveau tour de vis du régime de Hun Sen, l’homme fort du Cambodge, au pouvoir depuis 37 ans.

« Il va être encore plus difficile d’exprimer librement ses opinions », commente à l’AFP le rappeur Kea Sokun, mais « je continuerai à écrire (…) je ne m’excuserai jamais » pour mes textes.

L’artiste risque de voir sa peine de six mois avec sursis révoquée et de retourner en prison.

Condamné pour « incitation à l’agitation sociale », il a passé un an derrière les barreaux entre 2020 et 2021. En cause, ses clips, visionnés des millions de fois sur Youtube, qui accusent le gouvernement de mauvaise gestion économique et de corruption.

« Grand Pare-feu » chinois
A l’instar d’un nombre croissant de pays (Russie, Turquie …), le Cambodge s’inspire du « Grand Pare-feu » mis en place à partir des années 2000 par Pékin, une panoplie d’outils particulièrement sophistiqués pour censurer l’internet chinois.

La loi sur les télécommunications de 2015 donnait déjà au gouvernement de Hun Sen de larges pouvoirs en matière de répression numérique, notamment pour obtenir des données d’utilisateurs.

Et les autorités ont profité de la pandémie pour accroître la censure en ligne, d’après des experts.

L’année dernière, au moins 39 Cambodgiens ont été arrêtés, emprisonnés ou ont fait l’objet de mandats d’arrêt pour des propos ou des images diffusées sur internet, d’après le Centre cambodgien des droits de l’homme (CCDH).

Un adolescent autiste, fils d’une figure de l’opposition emprisonnée, a même été condamné à huit mois de prison pour des messages sur la messagerie Telegram jugés insultants pour le gouvernement. Il a été libéré sous la pression de la communauté internationale.

Museler l’opposition
Le CCDH estime que « la passerelle internet nationale » est mise en place pour museler les opinions dissidentes à l’approche des élections de 2023.

Depuis la dissolution du principal parti d’opposition en 2017, Hun Sen a encore renforcé son emprise sur le pays: son parti a raflé l’intégralité des sièges au parlement lors des législatives de 2018, des résultats vivement contestés.

Le gouvernement défend, lui, son projet comme un outil nécessaire.

« La liberté d’expression s’accompagne de responsabilités », commente à l’AFP le porte-parole du gouvernement, Phay Siphan. « L’insulte ou la manipulation de l’information peut affecter la sécurité nationale ».

Les fournisseurs de services auront un an pour se connecter à la passerelle, faute de quoi ils pourront perdre leur licence d’exploitation ou voir leurs comptes bancaires gelés.

Des activistes promettent que ce nouveau tour de vis ne les découragera pas.

Mais il faut « changer nos habitudes de communication », explique San Mala du Réseau de la jeunesse cambodgienne, emprisonné pendant dix mois en 2015 et 2016 pour avoir dénoncé des opérations qu’il jugeait désastreuses pour l’environnement.

A l’instar de Kea Sokun, il commence à basculer vers des messageries cryptées de type Signal ou Telegram. Il utilise aussi un vocabulaire codé pour éviter d’employer des mots trop sensibles.

De plus en plus de Cambodgiens devraient aussi avoir recours à un VPN (réseau virtuel privé), un outil qui permet de se cacher sur internet et de déjouer le blocage des sites censurés.

La demande en VPN a bondi de 56% dans le royaume entre le début et la fin de 2021, note Top10VPN, un groupe de défense de la sécurité numérique.

Les autorités « chercheront sûrement à interdire » de tels outils, mais il y aura toujours des failles, souligne Simon Migliano chez Top10VPN.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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