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L’Agence Nationale du Médicament en France demande aux français de ne plus utiliser Humex, Actifed, Dolirhume, Nurofen rhume et Rhinadvil

L’Agence Nationale du Médicament  en France demande aux français de ne plus utiliser Humex, Actifed, Dolirhume, Nurofen rhume et Rhinadvil

Inquiète de la persistance d’effets secondaires rares mais gravissimes, alors que la pathologie est bénigne, le gendarme du médicament prend une position rare et recommande aux Français, en concertation avec les professionnels de santé, de ne plus consommer ces comprimés.

L’air s’est à peine rafraîchi qu’Adrien renifle déjà. Le week-end dernier, il est reparti d’un mariage à la campagne avec un rhume, malencontreusement attrapé à la fin de l’été indien. D’habitude, le garçon de 33 ans, croisé ce jeudi 19 octobre en col roulé devant la pharmacie de la place de la République à Paris, avale aussitôt de l’Humex ou de l’Actifed, ses remèdes anti-nez bouché.

« C’est très efficace ! En quarante-huit heures, le rhume a quasi disparu mais le problème, c’est qu’ils me font somnoler. » Alors, il ne les utilise plus qu’avec parcimonie, misant d’abord sur ses anticorps. « Moi, c’est terminé ! » abonde Blandine, 58 ans, qui passe en trombe devant l’officine. « Ça me casse, je mets trois jours à m’en remettre », lâche-t-elle, préférant humer de l’huile d’eucalyptus sur un mouchoir.

Dans le camp des enrhumés, les adeptes des antidotes naturels sont majoritaires. « Je me lave le nez avec de l’eau tiède et du gros sel de mer dans une poire. C’est dégoûtant mais ça me libère instantanément ! » raconte Lucile, 18 ans, qui applique la méthode du paternel. Mais il reste les irréductibles des vasoconstricteurs, ces cachets bien connus, à base de pseudoéphédrine, pour déboucher le nez. Dès qu’il se sent KO, Jean-Baptiste, 42 ans, dégaine son Dolirhume. « En trente minutes, je respire mieux. C’est radical ! » Grâce à eux, même malade, il peut continuer à travailler. Pourtant Jean-Baptiste le sait, ils sont « controversés ».

Prendre les devants sur une décision européenne
Tellement qu’aujourd’hui, l’Agence nationale du médicament lance un cri d’alerte au Parisien-Aujourd’hui en France : « Je veux dire aux Français : ne les utilisez plus ! » enjoint sa patronne Christelle Ratignier-Carbonneil à propos de ces comprimés antirhume, vendus depuis plus de vingt ans dans les officines de France. Une prise de position aussi forte que rare de la part du gendarme du médicament, soutenue par une grande partie du corps médical : Ordre national des pharmaciens, syndicats, Collège de la médecine générale, ORL.

À l’approche de l’hiver, tous s’associent et montent au créneau contre l’Humex, l’Actifed, le Dolirhume, le Nurofen rhume, le Rhinadvil, susceptibles de provoquer des effets indésirables graves. « Des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux peuvent survenir après leur utilisation.

Le risque est très faible mais ces événements très graves peuvent se produire quelle que soit la dose et la durée du traitement », détaille la directrice de l’ANSM. Le problème n’est pas nouveau, les mises en garde récurrentes. En février, l’Europe a même pris la décision de réévaluer ces médicaments. Mais la France ne compte pas attendre ses conclusions en début d’année et prend les devants.

Pourquoi anticiper l’arbitrage européen ? « Malgré la mise en place de mesures, on le voit, les cas persistent. Des données récentes montrent toujours des effets graves, alors que le rhume est une pathologie bénigne, voilà pourquoi nous nous mobilisons avec les médecins et les pharmaciens », précise Christelle Ratignier-Carbonneil. De 2012 à 2018, la base nationale de pharmacologie fait état de 307 cas graves.

La délivrance déjà mieux contrôlée
Pour comprendre l’action de ces médicaments, prenons l’image d’un robinet qui se ferme. Dans le cas d’un rhume, la muqueuse est inflammée par un virus. « En réaction, les vaisseaux se dilatent pour apporter des globules blancs à l’organisme afin qu’il se défende et le sérum se déverse, voilà pourquoi on se mouche », vulgarise le docteur Gilles Munier, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins.

À l’inverse, les vasoconstricteurs, qui passent dans le sang, viennent légèrement refermer les vaisseaux et dégager le nez. « Mais ils diffusent aussi dans tous ceux du corps, prévient le docteur. Ainsi, si vous avez déjà un problème au cœur, ce resserrement peut provoquer une obstruction totale et aboutir à un AVC ou à un infarctus ! Même sans maladie, il y a un risque. Très clairement, le rapport bénéfice-risque est défavorable. »

Dans le viseur des autorités, la délivrance de ces médicaments a été renforcée ces dernières années : interdiction de publicité depuis 2017, fiche d’aide à la dispensation pour les pharmaciens, trois ans plus tard. Si les sprays sont uniquement délivrés sur prescription, les comprimés, eux sont vendus sans ordonnance au comptoir des officines.

Mais d’abord faut-il savoir qui peut les prendre car la liste des contre-indications est longue : hypertension, diabète, antécédents d’AVC, de convulsion, insuffisance coronarienne, hyperthyroïdie, glaucome oculaire, grossesse… « Cela fait des années qu’on nous recommande de ne pas les conseiller », assure Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France.

Au fil des années, les ventes ont piqué du nez : 16 millions de boîtes en 2010, 11 en 2014, 2,8 en 2020 et 3 millions en 2021. « C’est encore trop ! » tonne la patronne de l’Agence nationale du médicament, qui assure aussi suivre de près les effets secondaires des sprays sur prescription.

Vers une interdiction ?
D’un côté, ces comprimés sont risqués, de l’autre, ils soulagent seulement les symptômes d’une pathologie qui guérit spontanément en 7 à 10 jours. Alors pourquoi ne pas tout simplement les interdire ? « Bonne question ! s’exclame le docteur Gilles Munier, qui préconise d’utiliser à la place des sérums concentrés en sel. Les lavages de nez permettent d’obtenir des résultats similaires même s’ils sont moins spectaculaires. » En réalité, ces comprimés sont commercialisés sur le Vieux Continent, la décision de les proscrire revient donc à l’Europe. « Les effets graves sont contestés, nuance Philippe Besset. Pour certains pays, ils sont liés à la maladie et non à l’action des médicaments. »

Mais d’autres, comme le pharmacologue Jean-Paul Giroud, appelle à aller plus loin. Auteur de 33 livres sur nos médicaments, membre de l’Académie de médecine, le docteur réputé mondialement, alerte depuis des années sur ces vasoconstricteurs et les dangers de l’automédication. Durant sa carrière de chef de service à l’hôpital parisien Cochin, il a vu « des dizaines et des dizaines de patients » victimes de ces comprimés. Le problème : leur accès, sans ordonnance, en pharmacie. « Vous croyez qu’à chaque fois que vous en achetez, on vérifie si votre état de santé est compatible ? La réponse est non ! »

Pour Jean-Paul Giroud, « le mieux est de les retirer définitivement du marché ». Contactés, les laboratoires n’ont pas donné suite à notre demande.

Par Elsa Mari

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