Dakar-Echo

La Ligue de Football Professionnelle s’attaque aux pratiques occultes (khons) sur les terrains de foot du Sénégal

La Ligue de Football Professionnelle s’attaque aux pratiques occultes (khons) sur les terrains de foot du Sénégal

Interdictions « d’entrer en reculant dans le terrain », d’y « creuser un trou », d’être « couvert de tissus de toutes sortes » ou encore d’« exhiber un talisman dans l’aire de jeu » : les nouvelles mesures prises par la Ligue sénégalaise de football professionnel pour lutter contre les pratiques occultes sortent autant de l’ordinaire que leur objectif dépasse du cadre sportif.

Les rituels mystiques ont beau être des pratiques courantes dans l’autre sport roi, la lutte sénégalaise, elles ne sont plus les bienvenues dans le football local. Longtemps critiquée par le public pour sa passivité, la ligue promet de sévir cette année avec des sanctions allant d’amendes de milliers d’euros au retrait de points ou à la perte de match sur tapis vert.

« Il y va de la crédibilité et de l’image positive du championnat », juge Amsatou Fall, le directeur exécutif de la Ligue de football sénégalaise, qui considère que « sur cinq incidents, quatre prennent leur source dans ces pratiques ».

Dès lors, si rien n’est fait, « nous assisterons à des scènes de violences lors de chaque rencontre du championnat », prédit le journaliste sportif Saikou Seydi. Ce dernier estime que, du fait de ces méthodes supposées vous apporter la victoire, il est désormais « difficile de voir plus de 70 bonnes minutes de jeu dans une rencontre. C’est tantôt un joueur qui va se coucher par ici, tantôt un autre qui va jeter un objet dans les buts de l’équipe adverse ».

Son confrère Cheikh Diop, se souvient ainsi d’un match agité entre deux ténors du championnat, Casa Sports et l’AS Douanes. Une bouteille d’eau placée dans les buts a créé la controverse au point de provoquer une interruption de la rencontre.

« A chaque coup de pied arrêté, un attaquant de l’AS Douanes venait prendre la bouteille pour l’envoyer hors du terrain avant qu’elle ne soit encore récupérée et remise à nouveau au gardien de Casa Sports », raconte-t-il. Ironie de l’histoire, un but a été inscrit quelques minutes après le retrait de la « mystique » bouteille.

Scènes cocasses
Ces scènes cocasses faisaient jusqu’ici partie du folklore du football sénégalais, mais elles sont devenues plus visibles avec les retransmissions sur Internet du championnat local. Si les footballeurs en sont les premiers acteurs, « ce sont les dirigeants qui donnent les consignes aux joueurs puisque ce sont eux qui ont accès au terrain », relate, sous couvert d’anonymat, Abdou, passé par plusieurs équipes locales avant de s’expatrier en Europe. D’après lui, pratiquement tous les clubs sont concernés.

Ce recours aux marabouts ou féticheurs est le « prolongement des réalités et des croyances sociétales », analyse le docteur Hameth Dieng, enseignant chercheur en sciences sportives à l’Université de Saint-Louis. « Joueurs, entraîneurs, dirigeants… Tous pensent qu’elles sont sources d’amélioration de la performance », affirme le coauteur d’une étude sur ces pratiques appelées « khons » dans le milieu des « Navetanes », un championnat populaire.

Le football professionnel local doit beaucoup à ces tournois entre quartiers où des jeunes talents se sont révélés avant de devenir des stars mondiales. Les tensions récurrentes lors des rencontres ont d’ailleurs poussé leurs coordonnateurs à annoncer le 15 octobre la suspension des Navetanes dans le département de Dakar après un week-end de « violence inouïe et gratuite ».

Plusieurs observateurs font le lien entre les scènes observées et le poids des croyances surnaturelles, mais pour Hameth Dieng, l’exclusion de ces pratiques du football local sera ardue, car très « présentes dans toutes les sphères de la société sénégalaise ».

La ligue n’ignore pas l’ampleur de la tâche alors que le début du championnat est prévu le 28 octobre. « Nous sommes tous des Sénégalais, on n’empêche pas qu’il y ait des prières avant de venir ou dans les vestiaires, mais ça doit être fait dans la discrétion non pas sur le terrain ou dans les abords », tranche ainsi Amsatou Fall, le directeur exécutif de la ligue de football sénégalaise.

Moussa Ngom avec Le Monde

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