France

La fin des diplomates professionnels français a du mal à passer

Il n’y aura plus de « corps diplomatique » en France, c’est-à-dire plus de diplomates formés par le ministère des Affaires étrangères. Le décret publié dimanche 17 avril ne fait pas l’unanimité.

C’est un tremblement de terre dans le milieu feutré de la diplomatie. D’ici l’an prochain, 900 hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay vont perdre leur statut pour devenir « administrateur d’État », comme les préfets, les sous-préfets ou les inspecteurs des finances. Les ambassadeurs et consuls seront désormais choisis dans ce vivier de profils pour la plupart interchangeables, ou pourront venir du privé, en tout cas il n’auront plus de filière spécifique. Le texte publié ce dimanche 17 avril au Journal Officiel signe l’arrêt de mort du diplomate professionnel.

Il concerne deux corps au cœur des rouages de la diplomatie française : celui des conseillers des affaires étrangères et celui des ministres plénipotentiaires. Mais comme la suppression de l’ENA, ce n’est pas une surprise, c’est la conséquence de la refonte de la haute fonction publique promise par Emmanuel Macron en 2017 et ressortie du placard après la crise des « gilets jaunes ». Il s’agit de mettre fin au corporatisme et aux « carrières à vie ».

Une diplomatie sans diplomates ?
Sauf que les intéressés ne sont pas d’accord. La ministre chargée d’appliquer cette réforme, Amélie de Montchalin, a beau expliquer que le réseau diplomatique français restera « l’un des plus importants au monde”, les premiers concernés y voient une forme de déclassement, une fragilisation de l’action extérieure de la France. “Que sera une diplomatie sans diplomates ? » C’est la question posée par les 150 signataires d’une tribune publiée en novembre dans le journal Le Monde. En pleine guerre en Ukraine, certains jugent aussi le moment très mal choisi.

Pourtant on a déjà vu des ambassadeurs qui n’avaient pas suivi le parcours officiel : des écrivains notamment, Jean-Christophe Rufin, ambassadeur au Sénégal entre 2007 et 2010, Daniel Rondeau, à Malte de 2008 à 2011, Olivier Poivre d’Arvor, à Tunisie de 2016 à 2020.

La nomination de Philippe Besson retoquée
Mais ce genre de nomination ne passe pas toujours très bien. Souvenez-vous de la polémique autour de Philippe Besson en 2018. Comme de nombreux soutiens de la première heure, l’écrivain était présent à La Rotonde au côté d’Emmanuel Macron le soir du premier tour de l’élection présidentielle. Il avait eu accès aux coulisses de la campagne et en avait tiré un livre jugé très élogieux, Un personnage de roman aux éditions Julliard. Un an plus tard, il était proposé pour le poste de consul à Los Angeles, poste peu exposé et très convoité.

À l’époque, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, se félicitait : « il faut des profils différents, disait-il, venus de la société civile, du monde de la culture (…) du monde de l’entreprise, ça fera du bien à nos administrations ». Sauf que les accusations de copinage ont beaucoup pesé. Le conseil d’État a fini par annuler sa nomination en annulant le décret qui permettait d’ajouter à la liste des emplois pour lesquels la nomination était laissée à la décision du gouvernement une vingtaine de consuls généraux (Barcelone, Bombay, Boston, Le Cap, Djeddah, Dubaï, Edimbourg, Erbil, Francfort, Hong-Kong, Istanbul, Kyoto, Los Angeles, Marrakech, Milan, Munich, Québec, Saint-Pétersbourg, Sao Paulo, Shanghaï et Sydney).

Critique des politiques et des diplomates
La crainte aujourd’hui est d’avoir des profils trop proches du pouvoir : c’est ce que disent les politiques de droite comme de gauche qui se sont opportunément emparés du sujet avant le deuxième tour de la présidentielle. « La France voit détruire au bout de plusieurs siècles son réseau diplomatique. Le 2e du monde. Les copains de promo vont pouvoir être nommés. Immense tristesse », regrette Jean-Luc Mélenchon sur Twitter. « Présidente, je rétablirai un statut de diplomate fondé sur le mérite et l’intérêt national », promet de son côté Marine Le Pen sur le même réseau social.

Mais les critiques viennent aussi d’anciens diplomates qui jugent que cette réforme est une erreur.

Gérard Araud, ex-ambassadeur de France aux États-Unis, regrette la fin d’une tradition de deux siècle qui remonte à Napoléon. C’est, dit-il, la porte ouverte « aux nominations à l’américaine ». Autrement dit au recasage de personnalités davantage choisies pour leur proximité avec les puissants que pour leurs compétences.

Isabelle Labeyrie

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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