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La Falémé survivra-t-elle à la fièvre de l’or ?

– Plus important affluent du fleuve Sénégal, la Falémé qui sert de frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali est aujourd’hui victime d’agressions multiples qui font craindre sa disparition pure et simple.

Il était une fois la Falémé ; une source de vie pour les populations installées sur ses rives. Agriculture, pêche et autres activités, sans compter l’approvisionnement en eau à usage domestique que permettait la proximité avec le cours d’eau, sont en train de péricliter allant tout droit vers l’anéantissement.

Plus important affluent du fleuve Sénégal avec un apport de 25% (données de l’organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal –Omvs), la Falémé qui sert de frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali est aujourd’hui victime d’agressions multiples qui font craindre sa disparition pure et simple; et par ricochet l’affaissement de pans importants de secteurs socio-économiques dont elle était à l’origine.

« Il y a urgence extrême parce que le fleuve est en état de mort presque clinique ; c’est préoccupant », avait alerté l’ancien haut-commissaire de l’Omvs, Ahmed Diane Semega, lors d’une visite de terrain en 2019.

A l’origine de cette situation, les effets de l’orpaillage devenu principale activité dans la zone de Kédougou et tout autour du cours d’eau. « Quand j’ai découvert qu’il y avait de l’or dans notre champ, j’ai mobilisé toute la famille pour qu’on travaille désormais à l’orpaillage », raconte Sémou Koulibaly, dont le périmètre champêtre est désormais devenu un dioura (site d’orpaillage artisanal).

Considéré jadis comme activité complémentaire pendant la saison sèche, l’orpaillage a connu un boom ces dernières années avec l’arrivée de sociétés d’exploration ainsi que la flambée du prix de l’or.

Regain d’intérêt pour le métal précieux
Il suffit désormais juste que des filons soient découverts sur une roche pour que l’endroit devienne un site artisanal que les enfiévrés de l’or ne tardent pas à investir. Selon un décompte établi par les populations locales, il y aurait près de 600 diouras tout au long de la Falémé.

« Dans le temps, on recourait juste aux calebasses et bassines pour laver les alluvions et récupérer l’or mais aujourd’hui l’extraction du minerai se fait en creusant des puits souvent prolongés par des galeries », ajoute l’ancien cultivateur.

Comme lui, beaucoup d’habitants de la région orientale de Kédougou (694 km de Dakar) se sont mués en orpailleurs soit grâce à la découverte d’or dans leurs champs soit pour disposer de revenus plus conséquents.

D’après un rapport de l’étude monographique sur l’orpaillage au Sénégal, publié en 2018 par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), un orpailleur gagne 21 fois plus qu’un agriculteur.

« Le revenu des orpailleurs est en moyenne de 3 198 546 FCFA/an (5 414 USD/an) alors qu’un agriculteur gagne en moyenne 150 000 FCFA/an (253 USD/an) », a relevé la publication de l’agence.

La valeur de la production d’or provenant de l’activité d’orpaillage au Sénégal s’est élevée à 86,6 milliards de FCFA (environ 147 220 millions USD) entre avril 2016 et avril 2017, d’après le même rapport.

Eaux étranglées par l’orpaillage
Cette activité qui requiert de grandes quantités d’eau fait ainsi de la Falémé un point de traitement de roches aurifères mais en même temps un lieu de recherche du métal précieux par les exploitants disposant d’outils semi-mécanisés.

« La situation du fleuve est devenue un problème très sérieux. D’ailleurs le cours du fleuve est occupé par les chercheurs d’or qui ont rendu l’eau complètement polluée. Il y a le dragage pratiqué par des locaux mais aussi des Maliens et autres Burkinabè. Pire encore, il y a les Chinois installés dans la zone qui participent davantage à la détérioration de la Falémé », estime, pour sa part, Kama Dansokho, un jeune habitant de Kolia, une localité de Kedougou.

« Le lavage et la concentration de l’or implique l’utilisation d’une table inclinée pour faciliter l’écoulement de l’eau et des particules légères », explique Dansokho, indiquant que tout ceci va finir dans le fleuve. « Le cours d’eau permettait à nos parents de faire le maraîchage et la pêche et malheureusement ces activités sont plombées à cause de la pollution », se désole-t-il.

« Il y a aussi les industriels, comme Afrigold implanté dans la commune de Kolia, qui participent au phénomène. Ils tirent l’eau pour le traitement des minerais et la rejettent par circuits inversés faisant ainsi ingurgiter au fleuve des détritus et produits de toute sorte », poursuit le jeune très engagé dans la lutte contre la pollution de la Falémé.

Cette forte concentration pour une activité qui draine des centaines de milliers de locaux et autres travailleurs en provenance de la sous-région fait ainsi étouffer le fleuve.

« Ce sont les Chinois qui font les actions les plus pernicieuses sur le fleuve car ils coupent même le fleuve pour leurs opérations de dragage. Quand ils terminent quelque part, ils migrent ailleurs sans même daigner dégager les barrières de sable qu’ils ont installées », affirme à ce propos Alioune Bakhoum, membre de l’ONG La lumière, une des trois entités engagées dans le cadre de l’Observatoire citoyen international du fleuve Falémé (OCIF/ Falémé).

« Quand ils draguent, ça aspire et ça creuse une tranchée. Les eaux usées retournent dans le fleuve et contribuent à l’altération de la qualité de l’eau. Il y a aussi les fuites d’essence et d’huile sur les dragueurs. Ce sont tous ces éléments ainsi que la grande quantité de terre déversée dans le lit du fleuve qui sont à l’origine de ce scandale écologique », regrette Bakhoum.

SOS pour la Falémé
« Des mesures hardies des gouvernements maliens et sénégalais se doivent d’être prises urgemment pour interdire ces opérations d’une gravité extrême », confie-t-il à l’Agence Anadolu.

L’Ocif/ Falémé, dont les deux autres composantes (Asfa 21 et Sauvons la Falémé) sont issues de la Guinée Conakry et du Mali, a été lancée en mars 2020 à Kéniaba au Mali. « La détérioration de la qualité des eaux de la Falémé, rendant tendancieuse son utilisation du fait de sa pollution et l’insécurité grandissante du fait de la surpopulation liée à l’exploitation minière, a motivé sa mise sur pied », poursuit-il.

« Aujourd’hui, nous sommes sur un plan triennal à dérouler pour un montant de 3 milliards francs CFA (4.9 millions USD) », note Bakhoum, assurant de la nécessité d’une synergie d’actions pour contribuer efficacement à la survie du fleuve.

« C’est obligatoire afin de sauver la Falémé d’une mort lente mais certaine si rien n’est fait », avertit-il.

Une nouvelle direction pour le sous-secteur
Au ministère sénégalais des Mines et de la Géologie, une nouvelle entité a été mise sur pied en mai 2021 pour justement encadrer l’orpaillage artisanal. Il s’agit de la direction de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (Demape). « En décembre, la direction a lancé le programme d’encadrement de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle pour mieux prendre en charge les aspects de dégradation de l’environnement et de pollution des eaux », a déclaré à Anadolu Abou Sow, chef de la Demape.

Il est envisagé de mettre sur pied un centre de traitement des minerais issus de l’exploitation minière artisanale dans la localité de Kharakheina. Un centre sur une superficie de 10 hectares où on aura 400 unités de traitement », a-t-il expliqué, assurant que l’objectif est de drainer tous les minerais issus de l’Emape vers un seul lieu pour le traitement.

« Cela va permettre de surveiller le traitement sans utilisation de produits chimiques mais d’avoir aussi une estimation sur la quantité d’or issue de ces minerais », a-t-il soutenu.

Revenant sur les mécanismes à mettre en place pour interrompre la chaîne de contamination de la Falémé, Sow est d’avis que seule une synergie des actions devra prévaloir en ce sens que le sous-secteur de l’orpaillage artisanal est transversal. « Il touche plusieurs domaines dont celui des mines mais aussi de l’environnement, de la santé, de la sécurité », a-t-il insisté.

« D’année en année, le fleuve va se dégrader et il n’est pas exagéré de dire qu’il peut disparaître un jour », a-t-il alerté.

Le mercure, facteur aggravant
« Les puits dans un dioura sont souvent distants de quelques dizaines de centimètres (…) Les morceaux de roche aurifère sont collectés dans des sacs. Les roches sont par la suite concassées manuellement au pilon ou par des gens équipés de moteurs. C’est avec l’eau que nous travaillons la poudre obtenue pour isoler l’or », explique, par ailleurs, Sémou Koulibaly, revenant sur le processus faisant aussi appel à l’usage du mercure.

La quantité de mercure utilisée dans l’Emape (exploitation minière artisanale à petite échelle) au Sénégal est de 5.2 tonnes selon les estimations faites dans le cadre d’un projet de plan d’action national réalisé en 2018 pour réduire l’usage du mercure dans l’activité.

« Cette estimation correspond aux deux principales régions aurifères, à savoir les régions de Kédougou et de Tambacounda. La région de Kédougou utilise 3,9 t/an », a relevé l’inventaire réalisé grâce au soutien du Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM), du Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) et le Conseil de l’Or Artisanal.

D’après toujours cet inventaire, la région de Kédougou produit 2.9 tonnes de la production totale d’or sur le territoire national évalué à 3.9 tonnes. Tambacounda autre région aurifère fait juste les 968.6 kg restants.

« Les sédiments au niveau des principaux sites d’exploitation de l’or présentent des teneurs en mercure très élevée avec par exemple une valeur maximale de 9.9 mg/ Kg », affirme à ce propos Birane Niane, auteur de travaux sur les impacts de l’exploitation de l’or à Kédougou. Une valeur qui dépasse selon lui les seuils maximums conseillés pour les eaux douces.

« Les concentrations en mercure total dissous et de méthyl-mercure mesurées dans l’eau confirment la contamination au mercure et la méthylation active au niveau de l’écosystème aquatique », relève-t-il encore.

Paradoxalement à cela, le Sénégal a bien souscrit à la convention de Minamata qui interdit l’usage de mercure dans l’activité minière. « Le Sénégal dispose d’un plan d’éradication du mercure dans le sous-secteur minier artisanal mais le constat est que l’utilisation de ces produits se fait de plus belle », admet le chef de la Demape.

Il évoque toutefois l’initiative ‘’ dioura vert’’ comme alternative que sa direction est en train de tester sur un site à Bantako pour un traitement sans mercure. « Nous comptons déployer ce mécanisme pour pouvoir accompagner les orpailleurs dans l’abandon du mercure », assure-t-il.

La Falémé fait, ainsi, face à autant d’agressions que rien ne semble freiner pour le moment. Survivra-t-elle à cette catastrophe écologique imminente qui la guette ? Seules des mesures importantes et concertées à l’échelle des pays concernés pourront inverser la tendance. Faute de quoi, le cours d’eau de 414 km va irréversiblement tarir engendrant des conséquences incommensurables pour le fleuve Sénégal (1750 km), 2ème plus long d’Afrique de l’ouest après le Niger.

Avec Aatr

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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