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La difficile régulation des loyers au Sénégal

Alors que le coût du logement explose à Dakar, un décret entré en vigueur le 1er mars impose une baisse de 15 % des mensualités de moins de 300 000 francs CFA.

La loi a beau être de son côté, Aminata Diop* pourrait bien être obligée de quitter le petit appartement du quartier populaire des Parcelles assainies, dans le nord de Dakar, qu’elle occupe avec ses quatre enfants.

« Ma propriétaire préfère que je parte plutôt que d’appliquer le nouveau décret sur la baisse des loyers. Avec de nouveaux locataires, elle pourrait même augmenter le prix », s’alarme la divorcée, qui comptait sur le décret entré en vigueur le 1er mars pour réduire sa facture.

Conçu pour limiter l’envolée des prix qui plombe le budget des classes moyennes sénégalaises, le nouveau texte sur l’encadrement des loyers impose une diminution de 15 % des mensualités de moins de 300 000 francs CFA (457 euros). Une baisse fixée à 10 % pour celles inférieures à 500 000 francs CFA et à 5 % au-delà.

Des coupes bienvenues, mais insuffisantes au regard de l’explosion des dernières années, notamment dans la capitale. Entre 1994 et 2014, les loyers ont augmenté de 256 % dans la région de Dakar, d’après les données gouvernementales les plus récentes. Au cours des dix dernières années, ils auraient encore été multipliés par trois ou quatre, selon Elimane Sall, président de l’Association de défense des locataires du Sénégal (ADLS). Les frais dévolus au logement représentent en moyenne 37 % du budget des ménages.

En 2014, une loi avait tenté de réguler les prix en imposant une baisse de 4 à 29 % en fonction du montant du loyer et en fixant les prix selon la taille, l’emplacement ou la vétusté du logement. Mais dans la pratique, elle avait été peu appliquée.

« Cette fois-ci, les autorités ont anticipé les problèmes de manque de suivi et de contrôle sur le terrain pour que le décret soit davantage appliqué », se réjouit M. Sall. Une Commission nationale de régulation des loyers (Conarel) a été mise en place et un numéro vert a été créé pour répondre aux questions des locataires comme des bailleurs. Depuis le 1er mars, plus de 3 000 appels ont été reçus, dont 75 % pour des demandes de renseignements et 25 % pour des incompréhensions ou contentieux.

« Les textes relatifs aux loyers sont souvent mal appliqués. Cela demande de la pédagogie et de la sensibilisation, car il existe un réel manque d’information », explique Momar Ndao, le président de la Conarel, qui rappelle qu’en cas de non-respect de la réglementation, le bailleur peut être sanctionné par deux à six mois de prison ou par une amende de 20 000 à 1,5 million de francs CFA.

Subterfuges
Ces menaces n’ont pas suffi à convaincre l’agence immobilière qui gère le logement de Souleymane Ndiaye. Elle a refusé de réduire son loyer, « mais moi je vais appliquer cette baisse, car je sais que je suis dans mes droits », explique le sexagénaire, qui habite dans son appartement depuis deux ans. « Avec un loyer de 230 000 francs CFA, une baisse de 15 % va me faire économiser 414 000 francs CFA sur douze mois, soit près de deux mois de loyer. C’est énorme ! », se félicite le retraité.

Mais tous les locataires ne sont pas si confiants. « Face au refus du bailleur, beaucoup baissent les bras, soit par peur d’être expulsés, soit par manque de moyens pour payer un huissier », remarque M. Sall, de l’ADLS. Il a aussi observé que des bailleurs « utilisent des subterfuges pour faire sortir les locataires, pour des raisons d’utilisation personnelle ou de reconstruction… puis ils louent à un prix plus élevé à de nouveaux entrants ».

Pour aider les locataires, le décret prévoit aussi de fixer la caution à une somme équivalente à deux mois de loyer, mais « seul l’équivalent d’un mois est payable à l’entrée en jouissance ». Autre coup de pouce : « Les frais liés à la commission d’agence ou de courtage sont ramenés à la moitié d’un mois de loyer pour les baux dont les montants sont inférieurs ou égaux à 500 000 francs CFA. »

Une mesure qui ne satisfait pas Mamadou Mbaye, président de la Fédération des agences et courtiers immobiliers du Sénégal (Facis). « Ce décret va réduire les revenus des agences immobilières, car la commission est notre gagne-pain. Comment allons-nous pouvoir gérer notre quotidien ? », se demande le professionnel, qui a reçu plusieurs appels inquiets des bailleurs de son portefeuille. « Ils ont des prêts bancaires à rembourser, sans parler des frais de gestion ou des taxes de revenus locatifs… Comment faire si leurs revenus diminuent ? »

Lui aurait voulu des mesures plus structurelles sur le long terme : « Il faut des logements locatifs sociaux à Dakar, où l’Etat serait le principal bailleur pour concurrencer le privé, ainsi que des mesures pour revenir à la location-vente, qui permet d’acquérir un logement plus facilement. Il ne faut pas se limiter à une baisse des loyers. Pour le moment, cette mesure enlève de la poche d’un Sénégalais pour le remettre dans celle d’un autre Sénégalais. »

* Le prénom a été changé.

Théa Ollivier avec Le Monde (Dakar, correspondance)

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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