Dakar-Echo

Impact des réseaux sociaux et des médias numériques dans le populisme politique – Par Ngoor Bukar NJAAY

Impact des réseaux sociaux et des médias numériques dans le populisme politique – Par Ngoor Bukar NJAAY

Les réseaux sociaux et les médias numériques ont révolutionné les dynamiques de communication et de participation politique à l’échelle mondiale. Leur impact est particulièrement marqué en Afrique, où ils sont devenus des outils essentiels pour mobiliser les citoyens, diffuser des idées et structurer les débats publics. Cependant, cette transformation s’accompagne de défis majeurs, notamment la propagation de la désinformation, la polarisation des opinions et l’homogénéisation des discours. Ces plateformes jouent un rôle ambivalent : elles renforcent à la fois les dynamiques populistes et celles de la pensée unique, tout en offrant des opportunités pour contester les récits dominants et mobiliser des mouvements citoyens.

Amplification des récits populistes
Les réseaux sociaux, notamment Facebook, Twitter, WhatsApp et TikTok, sont devenus les vecteurs privilégiés des discours populistes. Leur format, basé sur l’immédiateté et l’émotion, favorise les contenus percutants et polarisants, qui sont des caractéristiques centrales du populisme. Les leaders populistes en Afrique, comme Julius Malema en Afrique du Sud, utilisent ces plateformes pour contourner les médias traditionnels et établir une relation directe avec leurs partisans.

Cette stratégie repose sur la capacité des réseaux sociaux à mobiliser rapidement des masses critiques en diffusant des messages simplistes et manichéens. Les algorithmes, conçus pour maximiser l’engagement, privilégient les contenus qui suscitent des réactions émotionnelles fortes, comme la colère ou l’indignation. Cette logique amplifie les récits populistes, souvent fondés sur la dénonciation des élites et des institutions, et les rend omniprésents dans l’espace numérique.

Cependant, cette amplification s’accompagne de risques. Les politologues _Cas Mudde et Cristóbal Rovira Kaltwasser_ soulignent que le populisme numérique, bien qu’il mobilise efficacement les citoyens, tend à polariser les sociétés et à affaiblir les débats nuancés. En Afrique, où les institutions démocratiques sont parfois fragiles, cette polarisation peut aggraver les divisions sociales et réduire les capacités de dialogue.

Contribution à la pensée unique
En parallèle, les réseaux sociaux et les médias numériques reproduisent souvent les asymétries de pouvoir des médias traditionnels, consolidant ainsi la pensée unique. Les grandes plateformes, contrôlées par des multinationales, priorisent les récits qui bénéficient de soutiens économiques ou politiques, réduisant l’espace pour des perspectives alternatives.

Eli Pariser, dans _The Filter Bubble_, explique que les algorithmes des réseaux sociaux enferment les utilisateurs dans des écosystèmes informationnels homogènes, où ils sont exposés à des contenus conformes à leurs croyances préexistantes. Ce phénomène limite la diversité des idées et renforce la pensée unique, en marginalisant les récits critiques ou dissidents.

Au Sénégal, des chercheurs comme Alioune Sall et Mame Diarra Diop ont observé que les plateformes numériques, bien qu’elles aient démocratisé l’accès à l’information, tendent à reproduire des récits alignés sur les intérêts des élites. Les débats sur la gestion des ressources naturelles, par exemple, sont souvent dominés par des perspectives favorables aux investisseurs étrangers, tandis que les critiques sur les inégalités de redistribution peinent à émerger dans l’espace numérique.

Propagation de la désinformation
Les réseaux sociaux sont également des vecteurs puissants de désinformation, notamment en période électorale. En exploitant la logique des algorithmes, les campagnes de désinformation ciblent des segments spécifiques de la population avec des récits manipulés ou mensongers. Ces campagnes, souvent orchestrées par des acteurs politiques ou économiques, renforcent les cadres narratifs imposés par la pensée unique ou le populisme.

Un exemple frappant est celui du Nigeria, où des campagnes de désinformation lors des élections de 2023 ont exploité des tensions ethniques et religieuses pour polariser l’électorat. Ces récits manipulés, largement diffusés sur WhatsApp, ont non seulement influencé les perceptions publiques, mais aussi alimenté des violences post-électorales. Des chercheurs comme _Nic Cheeseman et Gabrielle Lynch_ ont souligné que la désinformation numérique, en amplifiant les divisions sociales, constitue une menace sérieuse pour la démocratie en Afrique.

Opportunités de résistance
Malgré ces défis, les réseaux sociaux offrent également des opportunités pour contester les récits dominants et promouvoir une diversité idéologique. Des initiatives citoyennes comme _Africa Check_ ou _Y’en a marre_ démontrent que les plateformes numériques peuvent être utilisées pour lutter contre la désinformation et mobiliser les citoyens autour de causes démocratiques.

En outre, les réseaux sociaux permettent à des voix marginalisées d’émerger et de s’organiser. Les mouvements de protestation comme _#EndSARS_ au Nigeria ou _#FeesMustFall_ en Afrique du Sud ont montré que ces outils peuvent être des catalyseurs de changements politiques et sociaux significatifs. Ces mobilisations, souvent initiées par des jeunes connectés, mettent en lumière le potentiel des réseaux sociaux pour transcender les divisions traditionnelles et construire des alliances inclusives.

La nécessité d’une régulation et d’une éducation numérique
Pour maximiser les opportunités offertes par les réseaux sociaux tout en minimisant leurs effets délétères, une régulation stricte des plateformes numériques est essentielle. Shoshana Zuboff, dans _The Age of Surveillance Capitalism_, appelle à une transparence accrue dans la gestion des algorithmes et à une protection renforcée des données personnelles.

Parallèlement, une éducation numérique est indispensable pour former des citoyens capables de naviguer de manière critique dans l’espace numérique. Felwine Sarr et Souleymane Bachir Diagne insistent sur l’importance de développer des compétences en éducation numérique, afin que les citoyens puissent reconnaître et contester les récits manipulés.

Conclusion
L’impact des réseaux sociaux et des médias numériques sur les dynamiques politiques en Afrique est profond et ambivalent. Bien qu’ils amplifient les discours populistes et contribuent à la pensée unique, ils offrent également des outils puissants pour la résistance citoyenne et la diversification des récits. La clé réside dans une régulation efficace et une éducation critique, qui permettront de transformer ces outils en leviers pour une participation démocratique inclusive et une véritable pluralité idéologique. Ces efforts nécessitent une collaboration entre les gouvernements, la société civile et les acteurs technologiques pour garantir que les réseaux sociaux servent les intérêts de la démocratie plutôt que de la polarisation et de la manipulation.

Coach Ngoor Bukar NJAAY

Articles similaires

Laisser un commentaire