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Guerre en Ukraine : « La poutinophilie d’une partie des Africains relève d’abord d’un rejet de l’Occident »

Le chercheur Paul-Simon Handy décrypte le positionnement des Etats africains et des opinions publiques vis-à-vis de Moscou et de sa guerre en Ukraine.

Paul-Simon Handy est un chercheur camerounais du bureau d’Addis-Abeba (Ethiopie) de l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (IESUE), dont l’objectif est de « promouvoir une culture de sécurité européenne commune, de contribuer à développer et à faire connaître la politique étrangère et de sécurité, et d’enrichir le débat stratégique ». Alors que l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) a adopté, mercredi 2 mars, à une écrasante majorité (141 Etats sur 193), une résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, dix-sept Etats africains se sont abstenus et sept autres, absents, n’ont pas pris part au vote.

L’abstention de dix-sept pays africains lors du vote de la résolution de l’ONU condamnant l’agression russe en Ukraine constitue-t-elle une surprise ?
Non, on pouvait même s’attendre à un nombre plus important d’abstentionnistes africains, pour deux raisons. En premier lieu, l’éloignement géographique du conflit crée une certaine distance émotionnelle. Ensuite, cette guerre met aux prises de grandes puissances, ce qui, comme souvent en Afrique, provoque un réflexe de non-alignement. Plus que ces abstentions ou que le vote isolé de l’Eythrée contre la résolution, ce qu’il faut retenir, c’est plutôt la condamnation massive par des pays africains de l’invasion russe. Ils sont en effet 28 sur 55 dans ce cas, soit plus que lors du vote de la résolution de mars 2014 qui condamnait l’annexion de la Crimée par Moscou. Cela montre qu’une majorité de pays africains tiennent au principe d’intangibilité des frontières et au respect, par les grands pays, de l’intégrité territoriale des petits Etats – des principes non négociables, selon eux. A Moscou, ces abstentions ont pourtant été perçues comme un geste amical, voire une victoire.

Parmi les pays qui n’ont pas pris part au vote, la Guinée et le Burkina Faso sont aux mains de juntes militaires. Cette configuration politique a-t-elle joué un rôle ?
En Guinée comme au Burkina Faso, les mécanismes de transition peinent à se mettre en place. Leurs dirigeants n’attendent pas de clémence de la part des organisations régionales, de la France et de l’Union européenne. Mais en refusant de participer au vote, Conakry et Ouagadougou laissent ouvertes toutes les options. Par ailleurs, les putschistes [à la tête] de ces deux pays ont récemment été approchés par des mercenaires russes : il s’agit de ne pas irriter un allié potentiel.

L’abstention du Sénégal, réputé proche de la France, a été très remarquée. Peut-elle s’expliquer par la peur de mécontenter la frange de l’opinion anti-occidentale ?
Je suis étonné par la surprise que suscite l’abstention du Sénégal chez les observateurs français et européens. Ils se laissent aller à une caporalisation de l’émotion, qu’ils souhaiteraient voir partagée avec la même intensité par les Africains. Le chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, a en fait adopté une double position : au nom du Sénégal, il s’est abstenu lors du vote de la résolution onusienne. Mais en tant que président en exercice de l’Union africaine (UA), il a signé un communiqué condamnant l’agression russe.

L’UA a donc réaffirmé son attachement à un principe sacro-saint, le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, tandis que le Sénégal a voté en fonction de ses intérêts propres, se réservant une marge de manœuvre vis-à-vis de Moscou. Les découvertes de pétrole et de gaz [au large des côtes sénégalaises] risquent d’aiguiser les appétits, de générer des tensions et de l’insécurité. Pour se prémunir contre ces secousses, le Sénégal multiplie les partenariats, notamment avec la Turquie et la Russie. En réalité, les Etats africains qui se sont abstenus l’ont fait en fonction d’intérêts nationaux.

Les campagnes de désinformation russes dans certains Etats africains ont-elles influé sur les votes ?
Le « soft power » russe, fondé en partie sur la désinformation, a démontré sa force en Centrafrique et au Mali. [La société de sécurité privée russe] Wagner a tissé un récit qui pose ses mercenaires en « libérateurs » et diffuse l’idée selon laquelle la Russie serait un Etat anti-impérialiste, en opposition aux anciennes puissances coloniales telles que la France.

Dans un pays comme le Sénégal, où se développe un courant d’opposition souverainiste aux accents religieux, anticolonialistes et panafricains, la propagande russe pourrait jouer contre le régime de Dakar. Cela inquiète les services de sécurité sénégalais, d’autant que les mercenaires de Wagner patrouillent désormais au Mali et tentent de se rapprocher de la Guinée. Cette fébrilité s’est manifestée le 3 mars, lorsque les autorités sénégalaises ont condamné avec fermeté un appel de Kiev [publié sur la page Facebook de l’ambassade d’Ukraine au Sénégal] à l’enrôlement de leurs ressortissants.

Les slogans prorusses se sont multipliés dans des manifestations contre la présence militaire française à Bamako, Bangui ou Niamey. S’agit-il d’une adhésion des jeunesses africaines au modèle qu’incarne la Russie de Vladimir Poutine ?
Le président russe suscite clairement une certaine fascination auprès d’une partie des opinions africaines. Il incarne l’homme fort, à la masculinité exacerbée – il est ceinture noire de judo. Il est associé à la puissance militaire de son pays et son ton martial séduit. Cependant, cette poutinophilie relève moins d’une adhésion à la politique russe que d’un rejet – sur fond d’anti-impérialisme – de l’Europe et de l’Occident. Un sentiment alimenté par le souvenir de la guerre en Libye [en 2011], dans laquelle l’OTAN est accusée d’avoir une part de responsabilité. Voir l’Europe et l’Occident à la peine face à un acteur qui a été méprisé ces dernières années est une sorte de revanche : c’est l’arroseur arrosé. D’ailleurs, hormis son soutien militaire, qu’est-ce que la Russie peut offrir à l’Afrique ? Pas grand-chose, et certainement pas son régime politique. Notons aussi que les Africains connaissent très mal la Russie. Seule une élite y a étudié. On clame donc son amour de la Russie, mais on préfère les bords de Seine pour ses vacances.

La rhétorique anti-impérialiste de la Russie qui séduit le continent est mise à mal aujourd’hui par l’invasion d’un Etat souverain…
Si un grand pays africain, comme le Nigeria ou l’Ethiopie, agissait de la sorte et envahissait un Etat voisin, il y aurait une levée de boucliers des autres nations du continent. Ce geste belliqueux de la Russie remet en cause les avancées, en termes de sécurité collective dans le monde, de ces trois dernières décennies. Les Africains devraient s’inquiéter de l’invasion de l’Ukraine, car cet acte pourrait créer un précédent aux conséquences graves pour le continent.

L’appel de médias, en Occident, à accueillir sans réserve les réfugiés ukrainiens n’est pas passé inaperçu sur le continent. Cela a-t-il influencé les opinions africaines ?
Je ne le pense pas. Que la guerre en Ukraine indigne les Européens plus que la guerre en République démocratique du Congo n’a rien d’étonnant, dans la mesure où ils ont un continent en partage. C’est aux dirigeants africains de s’indigner des guerres qui sévissent sur leur continent. Mais peut-être que nous, Africains, avons perdu la capacité de nous indigner de nos malheurs, tant les crises sont nombreuses chez nous. Les critiques adressées aux journalistes européens révèlent surtout la puissance des médias occidentaux dans le paysage audiovisuel africain : ce sont eux qui disent le monde et l’Afrique. C’est aussi ce déséquilibre des points de vue qu’il faut interroger.

En Ouganda, le général Muhoozi Kainerugaba – fils du président Yoweri Museveni et chef de l’armée de terre jusqu’au 8 mars – a soutenu Vladimir Poutine dans un tweet. Existe-t-il une connivence idéologique de certaines élites africaines avec la Russie ?
Il faut distinguer les préférences des dirigeants africains de celles de leurs populations ; elles ne se rejoignent pas toujours. Beaucoup d’hommes politiques valorisent des régimes forts, car la démocratie est une épine dans leur pied. Mais les sondages d’opinion de l’Afrobaromètre révèlent que les populations africaines réclament, elles, toujours plus de démocratie, même si les Africains sont nombreux à se déclarer insatisfaits de son fonctionnement actuel. Certains considèrent les élections comme une farce, souvent accompagnée de moments de violence extrême. Mais le modèle russe n’offre pas plus de démocratie.

Quelles pourraient être les conséquences économiques de la guerre en Ukraine pour les Etats africains ?
La flambée des prix des matières premières va peser sur les dépenses des familles, dans les pays qui importent leur blé d’Ukraine et de Russie. Cependant, pour les producteurs de pétrole tels que l’Algérie et l’Angola, il peut y avoir un effet d’aubaine. Gardons à l’esprit aussi que la Russie n’est pas un partenaire économique majeur pour le continent, hormis l’Afrique du Sud et l’Algérie, avec qui Moscou entretient des liens historiques.

Aujourd’hui, la Russie tente d’affermir ses positions dans les mines d’or et de diamants, en Centrafrique et au Mali, dont le contrôle lui permet de payer les services des mercenaires de Wagner. Ce que fournit Moscou au continent africain, ce sont avant tout des services de défense et de sécurité. Or, en ces temps de montée de l’extrémisme [religieux] et du terrorisme, la Russie séduit des gouvernements en état d’alerte. L’insécurité peut aussi entraîner l’adhésion des populations au discours militariste de la Russie, qui propose de ramener la stabilité en échange de ses services.

Propos recueillis par Coumba Kane

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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1 Commentaire

  1. Franck says:

    N’importe quoi, l’on sent bien que le chercheur Paul-Simon Handy est payé par l’Union Européenne.
    En très peu de mot je dirais que ce qui fait que les pays africains aient réagis ainsi et l’impérialisme et le néocolonialisme des pays occidentaux de plus en plus croissant sur l’Afrique. Même ceux qui ont voté pour…c’était surtout pour éviter de se faire sanctionner (investissements, prêts de la banque mondiale, FMI…), si les votes étaient anonymes à l’ONU, il y aurait des surprises vous pouvez me croire.

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