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Grosses fesses, gros business

Grosses fesses, gros business

Pour la première fois dans la région, un trafic de médicaments pour grossir a été démantelé. Surfant sur la tendance des postérieurs rebondis, le cerveau en tirait un profit juteux.

C’ÉTAIT UNE MODE, c’est devenu une tendance, et c’est maintenant un business. L’effet « boum boum », l’expression consacrée dans le milieu de la beauté pour désigner les fesses (très) rebondies, frappe à la porte de la délinquance.

Pour la première fois, un trafic de médicaments pour prendre du poids vient d’être démantelé, a-t-on appris d’une source proche de l’enquête. À la suite d’un signalement de La Poste, quatre personnes ont été placées en garde à vue par la gendarmerie des transports aériens puis jugées en comparution immédiate il y a quelques jours.

Le service sécurité du groupe venait de saisir à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle une enveloppe contenant de mystérieux comprimés rose et blanc.

Après analyse dans un laboratoire, les gendarmes découvrent que ces cachets contiennent de la Dexamethasone. Cette puissante hormone de synthèse, utilisée en médecine notamment pour son effet anti-inflammatoire, est aussi un produit dopant interdit aux sportifs et aux chevaux de course. Il permet en effet d’augmenter le taux de protéines tout en diminuant le taux de lipides. Et il est évidemment interdit d’en prendre hors prescription médicale.

Le problème, c’est que ces comprimés étaient utilisés dans le cadre d’une « cure pour grossir ». Avec l’aide de trois de ses proches, S., une jeune femme de Seine- Saint-Denis, les vendait à des milliers de clients du monde entier. Elle vient d’être condamnée par le tribunal correctionnel de Bobigny, en plus d’une amende de 10 000 €, à un an de prison, dont six mois ferme aménageables, pour trafic de psychotrope. « Une peine clémente, se réjouit son avocate, Me Laure Berrebi Amsellem. Les magistrats ont compris que ma cliente était une personne authentique qui voulait surtout partager sa propre expérience. »

« J’ai toujours été maigre, confie l’intéressée. Cela me complexait énormément. Impossible de grossir. Jusqu’au jour où ma belle-sœur m’a rapporté d’Afrique un produit qui a tout de suite super bien fonctionné. En une semaine, j’ai pris 3 kg sans effets secondaires ! C’était un truc de malade. »

Des cures pour prendre 5 ou 10 kg
L’affaire aurait pu en rester là. « Mais tout le monde me demandait comment j’avais fait. Ma sœur, mes copines, des connaissances… » À l’époque, en 2019, S. est surtout dans le commerce de vêtements via notamment les réseaux sociaux. Elle travaille alors avec des influenceurs, c’est- à-dire des gens suivis par énormément de personnes et dont la parole est particulièrement écoutée.

S. flaire que le business des grosses fesses peut rapporter gros. « J’ai carrément changé mon activité, explique-t-elle. J’ai créé une nouvelle page Instagram. » Elle trouve un fournisseur, que les enquêteurs ne retrouveront jamais, et propose deux « cures ». L’une, à suivre sur dix jours, permet de prendre 5 kg. Elle coûte 75 €. L’autre, sur vingt jours, vous fait grossir de 10 kg et maigrir de 120 €. S. achète les produits, les conditionne et les livre chez le client, que ce soit directement ou par voie postale.

La jeune femme mise sur une technique marketing qui a fait ses preuves. « Les clientes, toutes satisfaites, m’envoyaient des photos d’elles. Alors, j’ai joué la carte du avant-après. » Les influenceurs, avec qui elle signe des partenariats, disent tout le bien qu’ils pensent de cette cure miraculeuse. Le compte Instagram de la jeune femme approche des 40 000 abonnés. « Des femmes d’une vingtaine d’années, et pas seulement des Africaines. J’avais aussi des Françaises de souche. Plein de gens veulent grossir. C’est juste qu’on en parle très peu. »

Le succès grossit en effet à vue d’œil, comme les bénéfices. Depuis janvier der- nier jusqu’à son interpellation, la businesswoman aurait engrangé 250 000 € de chiffre d’affaires.

Avec des clients partout « En Belgique, au Canada et même au Venezuela. » Son business, « c’était une machine de guerre », sourit-elle aujourd’hui. S. mène la belle vie, part en voyage.

Le hic, évidemment, « c’est que c’était au black », reconnaît-elle. Et surtout, le gros souci, c’est que ce produit miraculeux est un psychotrope potentiellement dangereux qui ne doit être administré que par des médecins. « Je n’avais que des retours positifs de mes clientes. L’une d’entre elles m’avait même dit qu’elle en avait parlé à son docteur qui ne voyait pas le problème. J’étais rassurée. Je n’ai pas fait beaucoup d’études et je suis loin d’être médecin. Je ne savais pas du tout qu’il s’agissait d’un psychotrope. »

Un arnaque dangereuse pour la santé
Quelques semaines avant le coup de filet des gendarmes, la «machine de guerre » s’enraye. « J’ai reçu un message d’une cliente qui avait des problèmes de sommeil et des fourmis dans les jambes. Je me suis inquiétée. Si elle m’en parlait, elle, c’est que d’autres personnes étaient susceptibles d’avoir les mêmes symptômes. » Elle décide de tout arrêter. « J’ai expliqué pourquoi sur ma page Instagram », assure-t-elle.

« Les médicaments qui font grossir sont des arnaques, alerte le docteur Jean- Michel Cohen. Ce sont le plus souvent des stéroïdes. Quand on prend ce genre de substances, on fiche en l’air son système hormonal et on s’expose à de très gros risques pour la santé. Ceux qui proposent ces produits jouent sur la détresse des gens. »

Si on trouve aussi facilement en quelques clics des comprimés pour faire grossir, c’est que la demande est beaucoup plus forte qu’on imagine. « Il y a trois ans, j’ai fait une vidéo sur le sujet, se souvient le nutritionniste. Pas pour prendre du poids à un endroit localisé mais globalement. En deux semaines, elle a été vue 300 000 fois sur YouTube et elle atteint aujourd’hui près de 1,7 million de vues ! La maigreur dérange autant les maigres que l’obésité gêne les gros.

Il y a les vraies maigreurs qui méritent une prise en charge an niveau nutritionnel mais c’est le plus souvent la question de l’image de notre corps. »

Et la tendance est effectivement aux formes très rebondies. « Ce n’est pas illogique, analyse Jean-Michel Cohen. Si l’on observe l’évolution de la silhouette féminine à travers les siècles, on se rend compte que c’est très fluctuant. Regardez Marilyn Monroe à l’époque de sa gloire ». On n’en est pas, néanmoins, à désirer des rondeurs au niveau du ventre. « C’est toujours des zones sexuelles », remarque le nutritionniste.

« Il suffit de regarder les émissions de télé-réalité aujourd’hui, souligne Emma, qui s’est essayée, en vain, à des produits achetés dans des boutiques de Château- Rouge pour prendre des fesses. Il y a toujours une fille avec des formes très marquées. Elles dégagent beaucoup de sensualité. »

« C’est assez révélateur, confirme Jean-Michel Cohen. Dans ces émissions, des filles à grosses fesses sont draguées par des garçons à gros muscles. » Pour les « vrais » maigres, le nutritionniste conseille plutôt de manger chaque matin des fruits secs comme des noisettes ou des pistaches tout en buvant des jus de fruit comme raisin ou pruneau, particulièrement sucrés. Avec évidemment beaucoup de sport.

« Depuis quatre à cinq ans, il y a une vraie demande pour gonfler les fesses, sans prendre des cuisses », constate Lucille Woodward, coach sportive très suivie sur Instagram (plus de 250000 abonnés), qui vient de lancer un programme pour muscler les fessiers. Mais la YouTubeuse de 39 ans passe beaucoup de temps à expliquer aux jeunes femmes qui lorgnent le fessier de Kim Kardashian qu’il est « un peu impossible » de gonfler les fesses sans prendre des cuisses.

« C’est une tendance un peu rêvée, car les gens voient ces images photoshopées ou implantées sur les réseaux sociaux. Mais la plupart des mouvements qui font gonfler les muscles du fessier mécaniquement font travailler aussi les cuisses. » Et la coach sportive de prévenir : « Pour avoir des fesses ultra-galbées, il faut un entraînement très intense en salle avec un coach, pendant des années ! »

Les maigres « pas légitimes »
pour dénoncer le diktat de la mode Le genre de message difficile à faire passer. Tellement plus simple, en apparence, d’obtenir la silhouette rêvée sans faire d’efforts. Une tentation à laquelle de plus en plus de personnes cèdent facilement. S., la jeune femme dont le commerce de psychotropes a fait un carton pendant près de deux ans, persévère dans le « gros business » malgré sa condamnation.

« J’ai appris énormément de choses pendant cette période, notamment en me rendant à Dubaï, nous confie-t-elle. Je lance maintenant ma marque Body Swell pour proposer des crèmes qui font prendre du volume au niveau des fesses et des seins. Il suffit de masser pendant cinq minutes et les résultats arrivent rapidement. » « Ce produit, assure-t-elle, vient d’un laboratoire français. Tout est aux normes, tout est déclaré, tout est licite. »

Autant de méthodes et de techniques qui feraient bondir aujourd’hui ceux qui militent pour une acceptation de son corps. Notamment les « body positivistes », du nom de ce mouvement né en 1996 aux États-Unis pour développer « une communauté qui libère des messages sociaux étouffants maintenant les gens dans une lutte perpétuelle contre leur corps ».

En France, la comédienne Juliette Katz, 32 ans, a justement créé la chaîne YouTube « Coucou les girls » où elle poste régulièrement des photos d’elle dévoilant ses rondeurs. Pour autant, la jeune femme avait compris que le mouvement « body positive » ne concernait pas toutes les morphologies.

« Certes, il s’agit d’accepter son corps tel qu’il est mais, dans les faits, ce sont surtout des grosses qui s’expriment, nous avait-elle confié. Et quand d’autres personnes, minces ou avec des complexes différents, prennent la parole, on leur dit qu’elles ne sont pas légitimes. » En clair, tous les corps, même les moins en chair, ne doivent pas subir le diktat de la mode ou du business.

Denis Courtine ET Caroline Piquet avec Le Parisien

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