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Fin de Barkhane : quelles répercussions sur le Sénégal ?

DÉFIS. La question mérite d’être posée alors que le pays en dépit de son système de sécurité partage les mêmes vulnérabilités que les pays sahéliens.
Depuis plusieurs années, on note une prise de conscience réelle de la part des autorités sénégalaises autour de l’urgence de répondre a la problématique du terrorisme.

Fréquemment présenté comme un îlot de stabilité dans une région en crise politique et sécuritaire, le Sénégal regarde avec attention son voisin malien. Reliés par l’histoire et la culture, les deux pays le sont aussi économiquement. La récente annonce de la fin de l’opération française Barkhane au Mali préoccupe plus que jamais le Sénégal et lui fait craindre des répercussions sur son territoire national.

« Il est important de rappeler que le président Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane sous sa forme actuelle mais qu’en parallèle, c’est le dispositif Takuba (forces spéciales européennes et armées africaines) qui sera développé », juge important de rappeler Mouhamadou Lamine Bara Lo, directeur de Tullius Africa, chercheur en sciences politiques et Diplômé du Centre de Hautes-Etudes en défense et sécurité, actuellement en thèse sur la question de la sécurité au Sahel à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Si les modalités restent encore floues quant au planning, les inquiétudes du côté sénégalais n’ont pas tardé à surgir sitôt l’annonce du chef de l’État français faite le 10 juin dernier.

Une menace sécuritaire réelle
« Ce qui touche le Mali peut très bien atteindre le Sénégal », annonce d’emblée Boubacar Bertrand Baldé, directeur exécutif du cabinet Conseils, stratégies et développement (Cosdev). Pour lui, l’une des graves répercussions du retrait de Barkhane serait le risque de fragiliser le Sénégal. Depuis plusieurs années, l’extension dans les pays voisins de groupuscules terroristes est notable. La découverte d’individus en lien avec des djihadistes ainsi que de cellules dormantes sur le territoire sénégalais sont autant de preuves de l’avancement de la menace terroriste vers l’ouest.

Pour Mouhamadou Lamine Barra Lo, « le Sénégal est menacé, comme tous les pays du Sahel le sont : les groupuscules terroristes et leur logique de crime organisé se développent et cherchent toutes les opportunités d’extension possibles ». Mais pour Boubacar Bertrand Baldé, le Sénégal présente certains atouts susceptibles de particulièrement les intéresser : « De par sa position géographique, un port ouvert sur l’Atlantique, et géostratégique, le pays attire les intérêts. La découverte de pétrole et l’exploitation de ressources telles que l’or ou le zircon, peuvent aussi aiguiser l’appétit », avance-t-il.

À l’inverse de nombre pays du Sahel, le Sénégal jouit d’une stabilité politique et sociale. « Les régulateurs sociaux que sont les confréries religieuses font barrière et constituent une force » souligne M. Baldé avant d’ajouter que selon lui « cela ne signifie pas pour autant que le pays est à l’abri de la menace terroriste notamment en raison de son instabilité économique et de ses fortes disparités monde rural/monde urbain, génératrices de frustrations ». Et les étroites relations économiques entre le Mali et le Sénégal, au profit de ce dernier qui en tire une balance excédentaire n’arrangent pas vraiment la situation. Une réduction des échanges commerciaux risque en effet de se répercuter lourdement sur l’économie sénégalaise, déjà fortement touchée par la pandémie mondiale.

Le gouvernement sur le qui-vive
Face à ce constat, l’État sénégalais a pris au sérieux cette menace réelle. À l’Est avec les régions pauvres de Kédougou et Tambacounda, où des cellules dormantes ont déjà été démantelées, au Nord avec la ville de Saint-Louis ou encore dans le sud du pays avec la Casamance, les portes d’entrées sur le territoire national sont nombreuses. Les frontières sont particulièrement poreuses.

Aussi d’importants efforts sécuritaires ont été opérés au niveau étatique. « Depuis 2013-2014, le Sénégal a les yeux braqués vers l’est et a graduellement mis en place un dispositif face à la menace en provenance du Mali » rapporte M. Lo. La lutte contre le terrorisme est ainsi devenue l’une des priorités du gouvernement, qui coopère avec plusieurs armées étrangères présentes sur son pays dont notamment la France qui dispose d’une base militaire.

Commencé en avril 2017, le programme GARSI-SAHEL (Groupes d’action rapide – Surveillance et Intervention au Sahel), vise à « renforcer les capacités opérationnelles des autorités nationales pour permettre un contrôle effectif du territoire et élargir l’action de l’État par la création d’unité policières et de la gendarmerie flexibles, mobiles, multidisciplinaires et autosuffisantes afin de permettre un contrôle des territoires » selon les explications du site du Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique.

Mis en œuvre par la FIIAPP (Fondation internationale et ibéroaméricaine), un consortium européen, le GARSI a été dupliqué dans 6 pays : le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Sénégal, et devrait prendre fin en novembre 2021. Mouhamadou Lamine Bara Lo insiste : « Le gouvernement ne se limite pas uniquement à des actions répressives et sécuritaires, mais développe également des programmes sociaux dans les zones de vulnérabilité. L’action est globale. »

Exode migratoire
Avec le retrait de Barkhane, Boubacar Bertrand Baldé craint un important exode migratoire dont « le premier pays d’accueil sera le Sénégal ». Une importante communauté malienne est déjà présente dans le pays. Car en dehors de leur appartenance à la même communauté de la CEDEAO (Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest), le Sénégal et le Mali partagent aussi une histoire commune et une culture qui les rassemblent. « La question migratoire est centrale avec les actualités maliennes. Des déplacements de populations ainsi que des conséquences humanitaires sont à prévoir » s’inquiète-t-il.

Mouhamadou Lamine Bara Lo voit trois perspectives dans la situation présente : « Avec le vide qui sera laissé par le départ des forces françaises, la CEDEAO pourra mettre en œuvre les mécanismes de sécurité collective relevant de l’architecture pour la paix et la sécurité en Afrique de l’Union africaine qui prévoyait l’instauration d’une brigade régionale chargée du rétablissement de la paix et des opérations miliaires. L’appui du Sénégal au G5 Sahel, actuellement financier, pourra se trouver renforcé, tout comme le mandat de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), dont les forces sénégalaises constituent des effectifs importants, un renforcement souhaité par les pays du Sahel. »

En attendant, incertain quant à l’évolution de la situation, le pays reste aux aguets.

Clémence Cluzel avec Le Point

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