Messages hostiles de la junte au pouvoir au Mali ou manifestations tendues pour bloquer des convois de Barkhane au Burkina Faso et au Niger: confrontée à la montée du sentiment anti-France, la coopération militaire pour lutter contre les jihadistes est remise en question au Sahel.
L’ancienne puissance coloniale est accusée pêle-mêle de faire et défaire les pouvoirs en Afrique, de maintenir les pays sous sa tutelle économique via le franc CFA et d’être inefficace, voire complice des jihadistes qui endeuillent le Sahel.
Au Mali, le sentiment n’est toutefois pas récent, il trouve ses racines dans une histoire coloniale tourmentée, et s’est renforcé ces derniers mois après des déclarations incendiaires de la junte au pouvoir à Bamako. Au point que le scénario d’un retrait des forces françaises est désormais sérieusement envisagé.
« Il y a toujours eu un sentiment anti-France latent dû à une sorte de condescendance, d’arrogance de la politique française en Afrique qui n’a pas connu de mutation profonde depuis la fin de la colonisation », explique à l’AFP Rodrigue Koné, chercheur à l’Institut des études de sécurité (ISS).
« La France, à l’inverse de la Grande-Bretagne, a mis en place dès 1958, sous l’égide du général de Gaulle, une politique néocoloniale en Afrique sub-saharienne. Cette politique poussa la France à routiniser les interventions militaires dans son pré carré africain », écrit de son côté le chercheur nigérien Rahmane Idrissa.
Ainsi, l’opération antijihadiste Barkhane est largement perçue dans l’opinion comme une énième intervention néocoloniale, même si elle tente d’associer les armées locales dans son combat.
« Il y a eu des erreurs de diplomatie, comme quand la France a empêché l’armée malienne de rentrer à Kidal en 2013. Ce genre d’évènements a été perçu comme de l’arrogance et a renforcé un sentiment patriotique et souverainiste qui revient au galop aujourd’hui. La junte au pouvoir (à Bamako) essaie de capitaliser sur ce sentiment », analyse Rodrigue Koné.
Nouvelle approche
Au Niger voisin, l’hostilité envers Barkhane s’est renforcée en novembre lorsque trois personnes sont mortes à Téra, en essayant d’empêcher un convoi de la force française Barkhane de passer. Il venait du Burkina où il avait déjà été bloqué pendant plusieurs jours par des manifestants en colère.
Récemment, des drapeaux français ont aussi été brûlés dans des manifestations contre le pouvoir au Tchad, « du jamais vu », dans ce pays, selon le chercheur Kelma Manatouma.
« Le passé colonisateur de la France, son intervention dans nos politiques intérieures, nos ressources dont l’uranium qui sont pillées, poussent la jeunesse à réfléchir. Nous n’avons pas de contrat gagnant-gagnant avec la France », affirme Maïkoul Zodi, responsable de la section nigérienne de Tournons La Page (TLP) qui exige notament le départ des bases militaires étrangères.
Sur les réseaux sociaux, des messages vont même jusqu’à accuser la France de complicité avec les groupes jihadistes.
« Sur le terrain, les populations ont plus confiance en Barkhane qu’en leurs propres armées. Tous les chefs jihadistes détenus ou tués au Niger, c’est Barkhane, comment peut-on alors parler d’une collusion entre Barkhane et ces terroristes ? », tempère Boubacar Diallo, dirigeant de l’Association des éleveurs de la région de Tillabéri, particulièrement touchée par les attaques au Niger.
Si l’avenir de l’intervention française au Mali semble désormais compromis, celui de son redéploiement dans le reste du Sahel demeure un grand point d’interrogation.
« Il faut se poser la question, alors que la relation est bonne avec les forces armées maliennes, de pourquoi l’opinion publique ne comprend pas pourquoi on est là », reconnaît le chef d’état-major français, Thierry Burkhard.
Pour éviter de nouvelles incompréhensions, l’armée française martèle qu’elle est là « aux côtés des pays africains ».
Drapeaux russes
En attendant, d’autres partenaires espèrent tirer leur épingle du jeu, à commencer par la Russie.
Des chancelleries occidentales affirment que des instructeurs du groupe paramilitaire Wagner sont déjà à l’oeuvre au Mali, ce que Bamako nie et qui n’a pu être vérifié de manière indépendante pour le moment.
Reste que cette nouvelle coopération est souhaitée par une partie de la population comme le montrent les drapeaux russes dans les manifestations de liesse après le coup d’Etat militaire à Ouagadougou.
« Le Burkina a besoin de tisser des partenariats avec d’autres puissances plus crédibles et de compter sur sa propre armée pour éradiquer le terrorisme », affirme le militant de la société civile Alassane Sanfo.
« La situation (sécuritaire) ne fait qu’empirer. Ce n’est pas que les gens ont plus confiance dans les Russes. Mais si vous avez essayé un remède et que ce n’est pas efficace, vous avez envie d’expérimenter d’autres formules », explique Maïkoul Zodi.
Et Rodrigue Koné de conclure: « On est sur une séquence de ressentiment profond vis-à-vis du système démocratique qui n’a pas fait émerger des élites de qualité. Il y a une envie de revenir à des hommes forts, des pouvoirs forts et la Russie n’est pas regardante là-dessus ».
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