Genève, capitale de la paix et terrain neutre. Face-à-face entre diplomates américains et russes, il est question de missiles, d’armes nucléaires, de dissuasion, de sphères d’influence et de velléités d’invasion. Un film sur la Guerre froide? Non, la crise actuelle entre Washington et Moscou.
L’impression est saisissante d’un retour en arrière vers les tensions entre blocs qui ont caractérisé la seconde moitié du XXe siècle, de l’après Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991.
Les deux camps rivaux commencent à esquisser ouvertement la comparaison, même si des observateurs notent des différences significatives.
« Nous assistons actuellement à une sorte de remake de la Guerre froide, une Guerre froide 2.0 », a déploré fin décembre l’ambassadeur adjoint de la Russie aux Nations unies, Dmitri Polianski, en rejetant la responsabilité sur les Etats-Unis.
A Berlin, la ville du mur emblématique de cet affrontement Est-Ouest, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a lui prévenu jeudi que toute invasion russe de l’Ukraine, que les Occidentaux disent redouter, ramènerait le monde à cette époque où l’Europe « était divisée en deux », « avec la menace d’une guerre totale planant au-dessus de la tête de chacun ».
« Politique de la corde raide »
Les similarités sont frappantes.
Géographiques, d’abord, avec cette confrontation entre l’Occident et Moscou.
Militaires aussi: le risque est bien celui de voir un conflit local par forces supplétives interposées dégénérer en une confrontation beaucoup plus vaste et plus directe.
Et comme au temps de la Guerre froide, les deux grandes puissances rallient leurs alliés, défendent leur sphère d’influence, dans une véritable logique de blocs.
Alors que les Américains soupçonnent les Russes de vouloir utiliser le Bélarus comme base arrière d’une potentielle offensive en Ukraine, l’Otan, cette alliance transatlantique que les Etats-Unis tentaient dernièrement de rediriger contre la Chine, retrouve la raison d’être de sa naissance en 1949, à savoir défendre l’Europe non soviétique d’une éventuelle attaque de Moscou.
Le président russe Vladimir Poutine « pratique une politique de la corde raide au goût de Guerre froide, multipliant les menaces et intimidations pour polir son image d’homme fort », dit à l’AFP Sarah Kreps, professeure à l’université Cornell.
Les codes, le vocabulaire, ont aussi un parfum vintage, avec des pourparlers à Genève et le marchandage sur le déploiement de missiles et de troupes aux portes du bloc adverse.
L’idéologie en moins
Pour autant, relève John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale sous la présidence de Donald Trump, il manque au face-à-face actuel l’ingrédient « idéologique », communisme contre libéralisme démocratique, qui « a façonné la Guerre froide ».
« On assiste plutôt à une logique et une confrontation de puissances typiques du XIXe siècle », explique à l’AFP cette figure du courant souverainiste américain. « Ce dont il s’agit, ce n’est pas seulement de l’Ukraine, c’est de Poutine qui veut rétablir le contrôle russe, ou à tout le moins son hégémonie, sur l’ex-Union soviétique », et « revenir aux frontières de 1991 pour instaurer une Grande Russie ».
Selon lui, la crise actuelle est l’aboutissement d’une longue dérive née de l’aveuglement des Occidentaux qui, bercés dans les années 1990 par l’illusion d’un monde sans conflit majeur, n’ont pas vu que Moscou n’avait jamais vraiment accepté la dissolution de son empire — qualifiée de « plus grande catastrophe géopolitique » du siècle dernier en 2005 par Vladimir Poutine.
« Poutine est à la fois patient et agile », et ce processus « n’a pas été rapide, mais il a été cohérent », ajoute cet ex-ambassadeur américain à l’ONU en évoquant l’intervention militaire russe en Géorgie en 2008 puis l’annexion de la Crimée ukrainienne en 2014.
Si la crise éclate aujourd’hui, c’est aussi car la puissance américaine s’est elle en partie désengagée de la scène mondiale — le président Joe Biden a clairement fait savoir qu’il n’avait aucune intention d’impliquer directement les Etats-Unis dans un nouveau conflit. « Poutine estime que la Russie est vouée au statut de grande puissance », note également John Bolton, et accepte probablement mal que Pékin l’ait remplacée dans le rôle de rival numéro un de Washington.
Guerre froide ou pas, les enjeux stratégiques n’ont guère changé.
A l’époque, « il y avait beaucoup d’armes nucléaires mais la dissuasion marchait » car « aucun camp n’avait intérêt à provoquer une guerre nucléaire que personne ne pourrait gagner », rappelle Sarah Kreps.
« Cette dynamique n’a quasiment pas changé » et « le calcul stratégique reste le même », ajoute-t-elle, estimant que ces crises se répéteront « mais la dissuasion devrait permettre d’éviter une escalade majeure ».
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