Jeudi 23 juin 2011, face au siège du Parlement, le peuple sénégalais a fini par brûler les ailes de son « président messianique », consommant définitivement la rupture avec Abdoulaye Wade, dans un sentiment de trahison et de gâchis. Dans une ultime bravade, le président Wade a bien tenté un putsch constitutionnel pour réduire la majorité élective à 25 % dès le premier tour, afin se maintenir au pouvoir lors des élections de février 2012.
Sûr de son pouvoir, avec un Parlement qui avait déjà accepté d’enregistrer plus d’une quinzaine de modifications constitutionnelles les dix années précédentes, Wade n’avait pas pris la peine d’organiser un débat public sur la question.
Souvent partagés entre fatalisme et désintérêt pour la chose publique, les citoyens sénégalais étaient, ce jour-là, descendus dans la rue pour défendre leur Constitution et crier leur ras-le- bol, par des slogans comme « Y en a marre ! », « Touche pas à ma constitution ! » face à leur détermination, le vieux président avait reculé.
Il existe des dates qui marquent un tournant décisif dans l’histoire des Nations. Au Sénégal, le 23 Juin 2011 fait partie de ces dates glorieuses qui figurent au « panthéon » de la victoire de la démocratie sur la forfaiture. Ce jour mémorable, le peuple sénégalais s’est dressé comme un seul homme pour empêcher une ultime violation de sa Constitution aux conséquences désastreuses pour sa démocratie.
Le président Abdoulaye Wade, dans sa volonté farouche de se maintenir au pouvoir par tous les moyens, avait demandé à « ses députés » d’adopter son projet de réforme constitutionnelle d’un “ticket présidentiel” — comprenant un Président et un Vice-président susceptibles d’être élus au premier tour avec seulement 25% des suffrages exprimés.
Ce 23 Juin, il avait fallu le courage et la détermination de milliers de Sénégalais debout devant les grilles de l’Assemblée nationale pour faire avorter ce calcul politique cynique. La société civile, notamment le mouvement « Y en a marre », avait été le fer de lance de ce combat en relayant au second plan une classe politique toujours prompte à se réunir mais impuissante face aux agissements de Wade. Le « 23 Juin » était donc d’abord, et avant tout, la victoire du « citoyen sénégalais » face à ce qui risquait de constituer une régression démocratique.
La forte mobilisation citoyenne fait plier les Wade…
Ce fameux jour du 23 juin 2011, le président Me Abdoulaye Wade devait présider le Conseil des ministres dans son Palais. À quelques jets de pierres devait se tenir la plénière pour l’examen du projet de loi à polémique par les députés à l’Assemblée nationale. Pour éviter qu’une telle loi devant faciliter une dévolution monarchique du pouvoir ne passe, le peuple s’était levé pour dire non. Et ce sont les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop qui avaient ouvert le bal. En masse, ils avaient quitté le Campus de Dakar pour rejoindre l’hémicycle à pied
Ils avaient, ce jour-là, emprunté la route menant vers le supermarché Sahm. Arrivés au rond-point de ce lieudit, ils ont été bloqués par les forces de l’ordre. Mais, nombreuse et déterminée, la foule estudiantine a imposé sa loi pour continuer son chemin jusqu’à la Poste de la Médina.
Là encore, ils ont dû affronter les forces de l’ordre avant de pouvoir accéder aux grilles de l’hémicycle. Arrivés sur place, ils seront rejoints par d’autres manifestants qui scandaient comme eux des slogans comme « Touche pas à ma constitution », « Non à la dévolution monarchique du pouvoir », « Y en a marre » etc.
Malgré les jets de grenades lacrymogènes et d’eau chaude par les forces de l’ordre, les milliers de jeunes manifestants n’ont pas désarmé. Parfois, ils étaient obligés d’enlever leurs T-shirts et de se les attacher au visage pour se protéger de la fumée des lacrymogènes.
En même temps, ils balançaient des pierres sur les policiers. Dakar était en feu. La banlieue était entrée dans la danse. Les régions ont pris plus tard le relais. Le bilan provisoire faisait état de 107 blessés répartis entre les hôpitaux Le Dantec, Principal et l’infirmerie du camp Abdou Diassé.
Le colonel Lam et le commissaire de la police centrale de Dakar, Arona Sy, faisaient également partie des blessés. La maison du ministre Farba Senghor, située à côté de l’Assemblée nationale, est attaquée, ses véhicules incendiés. Il n’a dû son salut qu’à la prompte intervention des forces de l’ordre qui l’ont exfiltré avec sa famille.
L’hôtel des députés est également incendié et pillé. Touba et Tivaouane jouent les sapeurs- pompiers. Le khalife général des Mourides, Serigne Sidy Mokhtar Mbacké, dépêche son porte-parole, Serigne Bassirou Abdoul Khadre, pour convaincre Wade de retirer son projet. Serigne Abdoul Aziz Sy « Junior » joint le chef de l’Etat au téléphone, sur ordre du Khalife général des Tidianes, Serigne Mansour Sy, pour lui demander la même chose.
L’objectif des guides religieux était le même : « Trouver une solution pour sauver le Sénégal ». Wade donne des garanties et rassure. Vers les coups de 14h30, le président Wade appelle d’urgence son ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, Madické Niang, et lui demande de se rendre à Touba pour porter un message au Khalife. Il décide de retirer le projet de loi.
16 heures 15 mn, le président Mamadou Seck suspend la séance plénière pour 15 minutes. Le président du groupe Libéral et démocratique, Doudou Wade, est briefé sur le retrait du texte.
17 heures 40 mn. Doudou Wade monte au créneau et joue son rôle dans un scénario ficelé par les stratèges du palais Léopold Sédar Senghor. Le neveu du chef de l’Etat demande au gouvernement de retirer le projet. Le ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy, abdique et applique la consigne qu’il avait déjà reçue de Wade.
Le vieux président a joué et perdu. Il renonce a son projet dont le but caché, a-t-on dit, était la transmission du pouvoir au « prince » Karim Wade. Le peuple avait gagné. Une victoire obtenue grâce à la détermination de citoyens qui ne sont d’aucune formation politique. Et qui n’appartenait donc ni à Massamba encore moins Mademba…
C’est l’héritage de cette victoire que se disputent aujourd’hui le camp du présidentiel Macky Sall et celui de l’opposition regroupé au sein du Mouvement de défense de la démocratie ou M2D.
Bassirou DIENG
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